mercredi 1 janvier 2014

Scandale de la viande de cheval : les promesses non tenues

Scandale de la viande de cheval, saison 2. Onze mois après la découverte de viande chevaline dans des lasagnes estampillées bœuf – une fraude à grande échelle qui avait secoué l'Europe et conduit à la chute de l'entreprise française Spanghero –, la gendarmerie a mis à jour, lundi 16 décembre, un important trafic de viande en gros. Les investigations visent essentiellement la mise sur le marché de cheval impropre à la consommation car issu de l'industrie pharmaceutique. Une enquête est en cours pour établir à ce stade si la viande concernée est nuisible pour la santé humaine ou pas

Pourtant, depuis un an, autorités et entreprises ont multiplié les annonces pour mieux « surveiller » et « contrôler » la filière, tant du point de vue des risques sanitaires que de la fraude. Ont-elles été suivies de mesures concrètes ? Tour d'horizon des différents échelons et acteurs d'un secteur encore opaque.
  • Une législation française en progression
C'était l'une des principales promesses du gouvernement, soucieux de rassurerles consommateurs : un étiquetage obligatoire sur l'origine de l'ensemble des viandes. Le président, François Hollande, lui-même avait plaidé en ce sens, lors de son inauguration du Salon de l'agriculture en février.
Le sujet a été inscrit au menu du projet de loi sur la consommation, adopté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale lundi 16 décembre. Après un long et épineux débat, les parlementaires ont tranché en faveur d'une plus grande transparence. « L'indication du pays d'origine est obligatoire pour toutes les viandes, et tous les produits à base de viande ou contenant de la viande, à l'état brut ou transformé », indique le texte. « La France est le premier pays en Europe à l'avoir inscrit dans sa loi, s'est félicité le ministre de la consommation, Benoît Hamon, lundi sur RTLNous attendons maintenant de Bruxelles qu'elle nous donne le feu vert, je l'espère en janvier prochain. » 
Car la mesure est louable, la France ne peut pas obliger les industriels à modifierles étiquettes. Seule une évolution de la législation européenne pourra les ycontraindre. Les modalités du projet de loi doivent être fixées par décret après que la Commission européenne a déclaré cette obligation compatible avec le droit de l'Union européenne.
  • Une absence de consensus sur l'étiquetage au niveau européen
De l'ADN de cheval a été identifié dans un produit sur huit censés contenir du bœuf en France, contre 5 % en Europe.
Pour l'heure, la mention d'origine ne s'applique qu'à la viande de bœuf fraîche. En vertu du règlement européen concernant l'information des consommateurs de 2011, dit INCO, l'étiquette doit indiquer où le bovin est né, a été élevé et abattu. Ce règlement doit être étendu, d'ici à fin 2014, aux autres types de viande : porcs, poulets, caprins et ovins.
En ce qui concerne les plats préparés, par contre, la réglementation contraint seulement les industriels à mentionner le type de viande qui entre dans leurs préparations, mais pas l'origine. Cette dernière se voit donc indiquée sur une base volontaire, à la discrétion des fabricants.
Après quelques mois de retard, la Commission européenne a publié, mardi, unrapport sur la pertinence d'étendre l'étiquetage obligatoire aux plats préparés à base de viande mis sur le marché dans l'Union européenne (UE). Trois scénarios sont étudiés : le premier maintient un statut quo (étiquetage volontaire) ; le deuxième introduit un étiquetage obligatoire avec la mention UE/non-UE ou UE/pays tiers ; le troisième, enfin, rend l'étiquetage obligatoire avec le nom des pays d'origine, qu'il s'agisse d'un Etat membre ou d'un pays tiers.
Si la Commission se garde de trancher, elle se montre néanmoins réservée sur l'étiquetage obligatoire, le jugeant coûteux pour l'industrie et le consommateur. Elle chiffre des surcoûts pouvant grimper jusqu'à 25 % pour le scénario 2, et de 15-20 % à 50 % pour le scénario 3, en raison notamment de « l'adaptation des pratiques d'approvisionnement » et « des systèmes de traçabilité »
« De nombreux Etats membres, et l'industrie agroalimentaire, sont contre l'étiquetage obligatoire, car ce système obligerait à afficher des pays d'origine qui ne collent pas forcément avec l'image que l'on veut donner du produit et à limiterle nombre de fournisseurs et de traders », décrypte Olivier Andrault, chargé de mission alimentation et agriculture à l'UFC-Que Choisir. La France fait pression auprès de Bruxelles pour plus d'étiquetage, rejointe par l'Allemagne et leRoyaume-Uni, mais des résistances demeurent, des pays nordiques notamment.
  • Des contrôles toujours insuffisants
En France, 80 % de la consommation de viande bovine vient de vaches réformées, c'est-à-dire menées à l'abattoir au terme de leur production laitière ou de leur fonction de reproductrices.
A défaut d'étiquetage et de transparence, la Commission européenne est plus en avance sur les contrôles : elle doit financer un nouveau cycle de tests d'ADN sur les lots de viande pour tous les Etats membres avant la fin de l'année. En avril, les résultats de la première campagne avaient conclu que 5 % des produits testés, plats préparés ou minerais de bœuf, contenaient du cheval, et que la France était le pays le plus touché par cette fraude. 
Un rapport, publié en novembre par les services vétérinaires européens, à l'issue d'un audit réalisé en juin au niveau de la filière de la volaille française, concluait « à de graves non conformités au niveau des inspections ante mortem et post mortem » et regrettait que « les modalités nationales de mise en œuvre s'écartent toujours considérablement de la législation actuelle de l'Union européenne ».
Or, malgré les promesses du gouvernement de mettre la filière sous surveillance, les contrôles officiels n'ont pas vraiment été renforcés. Une seule mesure a été prise : le gel des baisses d'effectifs des autorités compétentes, à la demande de Benoît Hamon. La Direction générale de l'alimentation (DGAL, qui dépend du ministère de l'agriculture), compétente pour les questions sanitaires, et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF, relevant du ministère de l'économie et des finances), qui intervient sur les affaires de fraude et de tromperie, ont vu leurs équipes stabilisées à respectivement 4 600 et 2 000 agents – après une baisse de 19 % en sept ans pour la DGAL et de 15 % en six ans pour la DGCCRF.
« Mais nous n'avons pas eu de moyens supplémentaires pour mieux contrôler, déplore Norbert Lucas, président du SNISPV, le syndicat des inspecteurs vétérinaires. Notre priorité est toujours le contrôle des carcasses dans les abattoirs, où nous avons des agents postés. Nous n'avons donc que très peu de temps et d'effectifs pour inspecter les ateliers de découpe et de transformation ou les distributeurs. » En réalité, ce sont les entreprises qui assurent elles-mêmes la grande majorité des contrôles, ce que l'on appelle les « autocontrôles » au nom du principe de responsabilisation de l'industrie alimentaire soumise à un agrément.
  • Des distributeurs et producteurs qui ne jouent pas le jeu
Une barquette de lasagnes surgelées Findus.
Les marques et distributeurs qui ont multiplié les promesses de transparence en février sont en réalité une minorité à avoir joué le jeu de la transparence, selon une enquête de l'UFC-Que Choisir publiée le 9 décembre. L'assocation de consommateurs a décortiqué 91 produits de consommation courante contenant des « quantités significatives » (de 6 à 39 %) de viande de bœuf. Résultat : l'origine de la viande reste encore absente dans 62 % des produits.
Si un effort a été fait sur le rayon frais, avec 74 % de mentions de l'origine sur les produits, du côté des surgelés, pourtant particulièrement touchés par le scandale, moins d'un produit sur deux (48 %) comporte une mention de l'origine. Dans les autres rayons, l'origine de la viande n'est mentionnée que dans 29 % des produits en conserve, dans 21 % des plats préparés en barquette, et dans 17 % des sauces en bocal verre.
L'assocation distribue les bons et mauvais points aux enseignes : Picard et Auchan font office de bons élèves avec la mention de l'origine de la viande dans respectivement 83 et 78 % de leurs plats. Viennent ensuite Carrefour et Système U, avec un produit sur deux étiqueté. Le score chute ensuite chez Casino (43 %), Intermarché (38 %) et Leclerc (18 %). Enfin, le bonnet d'âne revient à Monoprix et Leader Price, dont aucun des produits testés ne fait figurer de mention.
Les marques nationales se révèlent, elles, « globalement encore moins transparentes sur l'origine des viandes utilisées dans leurs produits » que les distributeurs. Seules quatre sur dix étudiées (Panzani, Findus, Marie, Fleury Michon) portent la mention de l'origine. Les autres (Zapetti, William Saurin, Barilla, Charal, Maggi, Louis Martin) n'indiquent aucune mention. Selon l'UFC-Que Choisir, les marques et enseignes ayant choisi de mettre en place cet affichage n'ont pas subi de hausse de prix notable.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire