Nanomatériaux, danger ! C'est l'alerte que lance l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), dans un avis rendu public jeudi 15 mai.
Certains de ces matériaux microscopiques, présents dans de multiples produits de la vie courante, sont « toxiques pour l'homme » et peuvent avoir des effets délétères sur les milieux naturels. L'agence appelle donc à « mettre en place sans attendre un encadrement réglementaire européen renforcé ». Et à « peser l'utilité » de leur mise sur le marché.Quels sont ces ennemis invisibles ? Des particules lilliputiennes, dont la taille se mesure en nanomètre, ou milliardième de mètre, soit 50 000 fois moins que l'épaisseur d'un cheveu.
Elles donnent aux matériaux auxquels elles sont incorporées des propriétés physiques, chimiques ou biologiques hors du commun (robustesse, élasticité, adhérence, conductivité, réactivité…), qui intéressent toute une palette de secteurs industriels. Voilà pourquoi, depuis une décennie, les nanomatériaux se sont multipliés dans la sphère de la vie quotidienne, le plus souvent à l'insu du public.
CRÈMES SOLAIRES, DENTIFRICES, SUCRE EN POUDRE...
On en trouve dans les crèmes solaires (comme filtre contre les rayons ultraviolets), les dentifrices (pour leur pouvoir abrasif), le sucre en poudre et le sel de table (comme agent anti-agglomérant), ou encore les textiles (pour leurs vertus antibactériennes chassant les mauvaises odeurs).
Mais aussi dans les pneus des voitures, les carburants, les batteries, les articles de sport, les produits électroménagers, les appareils électroniques, les panneaux solaires, les ciments, les peintures, les isolants, les équipements médicaux… Bref, partout ou presque.
Or, souligne l'Anses, du fait de leur très petite taille, ces nanoparticules sont extrêmement réactives. Surtout, par contact, par ingestion ou par inhalation, elles peuvent pénétrer dans l'organisme, sous la peau et dans les poumons, et franchir les barrières physiologiques : cutanée, alvéolo-capillaire (isolant les alvéoles pulmonaires des vaisseaux sanguins), hémato-encéphalique (protégeant le cerveau des agents pathogènes du sang), placentaire (séparant dans le placenta les circulations sanguines de la mère et du foetus)…
Cette mobilité les rend potentiellement dangereuses pour les salariés qui produisent des nanomatériaux et qui, de ce fait, sont les plus exposés. Mais aussi pour l'ensemble de la population car des nanoparticules peuvent être relâchées par l'usure des produits manufacturés, par leur lavage quand il s'agit de vêtements, ou par leur dégradation quand ils deviennent des déchets.
RETARDS DE CROISSANCE ET MALFORMATIONS
L'Anses s'est appuyée sur les travaux d'un comité d'experts permanent, qui a passé en revue les publications scientifiques internationales. Celles-ci reposent sur des tests menés in vitro et in vivo sur des animaux (rats et souris), et ne sont donc pas directement extrapolables à l'homme, pour lequel les études épidémiologiques font encore défaut.
Le tableau clinique n'en fait pas moins froid dans le dos. Parmi les effets de certains nanomatériaux sur les organismes vivants figurent « des retards de croissance, des malformations ou anomalies dans le développement ou la reproduction chez des espèces modèles », ainsi que « des effets génotoxiques et de cancérogénèse », ou encore « des effets sur le système nerveux central, des phénomènes d'immunosuppression, des réactions d'hypersensibilité et d'allergie ».
L'une des familles les plus répandues de nanomatériaux, les nanotubes de carbone (présents par exemple dans les articles de sport, les équipements automobiles ou les écrans souples), est particulièrement montrée du doigt.
Certains d'entre eux « peuvent provoquer in vitro des effets génotoxiques, des aberrations chromosomiques, des atteintes cellulaires ou encore un processus inflammatoire ».
Dans la nature, ces mêmes nanotubes perturbent le développement racinaire de végétaux et altèrent « la croissance, la reproduction et la viabilité » de petits organismes comme la daphnie, petit crustacé.
« Nous ne disons pas que tous les nanomatériaux sont dangereux, précise Dominique Gombert, directeur de l'évaluation des risques à l'Anses. Les incertitudes restent grandes quant à leurs effets sur la santé et l'environnement, et les recherches doivent être poursuivies. Mais il existe actuellement suffisamment de données scientifiques pour pointer les risques de certains d'entre eux. Dans dix ans, il sera trop tard pour se poser la question de leur encadrement. »
En 2010, l'agence s'était contentée de mettre en avant « le principe de précaution ». Elle va aujourd'hui plus loin, en préconisant d'inscrire les nanomatériaux dans le cadre du règlement européen CLP (classification, étiquetage et emballage) sur les substances chimiques dangereuses.
Ce qui pourrait conduire à « des mesures de restriction d'usage, voire d'interdiction », en premier lieu pour les travailleurs exposés à ces substances.
Si cette préconisation est suivie, la France devra porter le dossier au niveau de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Et pousser d'autres pays – aucun n'a encore effectué une telle démarche – à suivre la même voie.
Dans le même temps, l'Anses place la collectivité – industriels comme consommateurs – face à ses responsabilités. Elle l'invite à « peser » le bien-fondé, « dès lors que des dangers sont identifiés pour la santé humaine ou pour l'environnement », de la mise sur le marché des nanomatériaux.
« Mettre des nanoparticules d'argent antibactériennes dans les textiles utilisés en milieu hospitalier peut présenter un intérêt de santé publique, illustre Dominique Gombert. En mettre dans les vêtements de randonnée pour éviter les mauvaises odeurs paraît moins utile. »
Premier cas humain de « nano-affection » Les effets sanitaires de nanoparticules chez une salariée nord-américaine sont rapportés pour la première fois dans un article publié en ligne, le 8 mai, sur le site de l’American Journal of Industrial Medecine.
Shane Journeay (département de médecine de l’université de Toronto au Canada) et Rose Goldman (Harvard School of Public Health, Etats-Unis) décrivent le cas d’une chimiste de 26 ans.
Celle-ci, après avoir manipulé des nanoparticules de nickel à l’état de poudre, avec des gants mais sans masque, a présenté divers symptômes (irritation de la gorge, congestion nasale, rougeur du visage, réaction cutanée au niveau de ses bijoux en métal) signalant une hypersensibilité au nickel. Les auteurs établissent « une forte corrélation » avec l’introduction de nanoparticules dans son environnement professionnel.
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