Au Brésil, le juge fédéral Bruno Valente va lancer une investigation sur un système permettant le « blanchiment » d'un nombre important de bois illégal. Transferts de crédits de coupe, abattages frauduleux, faux papiers pour le bois, un vaste réseau de criminels détourne la réglementation.
C'est une partie de ce trafic qu'a révélé Greenpeace, jeudi 15 mai, dans une enquête extrêmement détaillée consacrée au Pará. Ce bois abattu illégalement est massivement exporté. La France est le principal importateur européen de bois issu de l'Amazonie brésilienne, notamment de l'ipé, parfois décrit comme le « nouvel acajou ». Selon l'organisation écologiste internationale, « les chaînes d'approvisionnement sont contaminées par du bois issu de scieries qui se sont procurées du bois illégal ».LA DÉFORESTATION A BONDI DE PRÈS D'UN TIERS AU BRÉSIL
Au Brésil, le taux de déforestation de l'Amazonie – le plus grand massif de forêts tropicales intacts – a bondi de 28 % en 2013, après quatre années de baisse consécutives. Depuis le mois de novembre, un système de cartographie forestière développé par les équipes de l'Université du Maryland et de Google établit une nouvelle base de référence pour l'évaluation de la déforestation à travers le monde. Les résultats sont inquiétants. Chaque minute, la planète perd l'équivalent de 50 terrains de football de forêt.
Selon les relevés de l'Institut national de recherche spatiale (INPE), les Etats du Roraima (nord), du Maranhão (nord-est) et surtout du Pará (nord) et du Mato Grosso (centre-ouest), ces terres de grands producteurs de soja et éleveurs de bovins, ont connu les plus forts pics de déforestation avec des hausses oscillant de 37 % à 52 %. Le Pará décroche la palme de la plus grande surface déboisée, avec 2 379 km².
NOUVEAU CODE FORESTIER CRITIQUÉ PAR LES ÉCOLOGISTES
Ce rebond coïncide avec l'entrée en vigueur du nouveau code forestier, promulgué en mai 2012 par la présidente Dilma Rousseff. Le puissant lobby des représentants du secteur agricole avait alors pesé de tout son poids pour assouplir ce texte de 1965 et considéré comme l'un des plus rigoureux au monde. La réforme, vivement critiquée par les écologistes, réduit les zones protégées et dispense notamment les petites exploitations agricoles de reboiser les surfaces détruites avant 2008. Des mesures qui ont affaibli les agences fédérales de contrôle environnemental et entraîné un sentiment d'impunité parmi les fraudeurs.
Ce cadre législatif s'est vu d'autant plus fragilisé qu'une autre réforme, adoptée en 2006 et censée rendre le système de vente de bois plus performant, avait déjà entraîné un nombre important de failles juridiques dans les opérations de contrôle. Basé sur un jeu de « crédit de coupe », la nouvelle réglementation, excessivement sophistiquée de l'aveu même des spécialistes, s'est avérée inapplicable en pratique et rapidement détournée par les trafiquants.
Sur le terrain, les Etats confrontés aux plus fortes vagues de déboisement ont également enregistré les niveaux de coupes frauduleuses les plus élevés. Le Pará, précisément, est le premier producteur et exportateur de bois de l'Amazonie brésilienne. Mais entre 2011 et 2012, 78 % de son aire de production se situait en zone où les coupes étaient interdites. Au Mato Grosso, deuxième producteur et exportateur, les estimations atteindraient 54 % de l'abattage total. Ces pratiques profitent des faibles capacités d'inspections des autorités locales.
151 % DE DÉFORESTATION FRAUDULEUSE AU PARÁ
Surtout, la demande soutenue du marché, y compris des espèces d'arbres de hautes valeurs (ipé, macaranduba, jatoba et cumaru), conjuguée à l'expansion des unités agricoles qui s'accompagne souvent d'une pratique d'abattage d'arbres comme source de revenus annexes, entraîne un regain de pression sur les terres publiques, protégées et indigènes. En 2010, l'Institut britannique Chatham House estimait qu'entre 34 % et 72 % des coupes enregistrées en Amazonie étaient illégales.
Depuis, ces chiffres ont augmenté. Au Pará, les équipes de l'Institut Imazon ont estimé que la déforestation frauduleuse avait atteint 151 % en 2012. C'est beaucoup pour un Etat qui exporte vers l'Union européenne plus de 50 % de sa production de bois. La France étant le second marché à l'exportation pour ce bois, juste derrière les Etats-Unis. Les importations de bois tropical issu de l'Amazonie brésilienne se sont élevées à plus de quarante millions d'euros en 2013. « Parmi les entreprises qui importent du bois de l'Etat du Pará en France, figurent notamment Tradelink Wood Products Ltd, Ets Pierre Robert & Cie, Guillemette& Cie, Rougier Sylvaco, Ets Peltier, Décoplus et J. Pinto Leitão SA », détaille Greenpeace dans son rapport.
DE VÉRITABLES RÉSEAUX CRIMINELS
Des études et certains médias ont relevé le large différentiel existant entre les volumes d'arbres abattus et les quantités autorisées. De fait, un nombre important de bois illégal arrive sur le marché brésilien ou international après avoir été « blanchi » à l'aide de documents obtenus frauduleusement. Selon l'Institut de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama), rien que dans les Etats du Maranhão et du Pará en 2013, quelque 500 000 mètres cubes de bois sciés ont ainsi été certifiés par des faux papiers, soit l'équivalent de 14 000 camions.
C'est une partie de ce trafic qu'a révélé Greenpeace dans son rapport. Parmi les nombreux cas recensés, cinq d'entre eux mettant en lumière les différents modes de fonctionnement de ce système illégal et ayant recours à de véritables réseaux criminels ont été rendu public cette semaine. Ils corroborent les investigations du juge fédéral Bruno Valente qui s'apprête, dans les prochains jours, à ouvrir une vaste procédure.
TRAFIC DE « CRÉDITS DE COUPE »
Ensembles, ils pointent les nombreuses lacunes de ce système dit de « crédits de coupe » dont profite ce marché illicite. La quantité commercialisée est traduite en nombre de crédits, qui passeront du vendeur à l'acheteur avec l'autorisation du Plan de management forestier (PMFS). Les opérateurs s'assurent que le nombre de crédits correspond bien à la quantité de bois commercialisé. Mais les transactions peuvent se faire entre différents Etats sans forcément utiliser les mêmes systèmes de contrôle.
Ces enquêtes pointent des « dédoublements » de crédits provoqués par un retard de transfert de l'information d'un système à l'autre. Ces failles dans le système entraînent des retours de crédits à l'entreprise vendeuse, même s'ils ont été transférés à l'entreprise acheteuse. Cette dernière contactant alors l'agence environnementale, précisant que les crédits n'ont pas été transférés, répète ainsi la même action et dédouble les crédits avec un nouveau transfert. Il s'opère donc un surplus de crédits qui apparaît au premier abord légal puisqu'il a été autorisé par l'agence environnementale…
UN SYSTÈME DE CONTRÔLE BRÉSILIEN INOPÉRANT
Conséquence : dépassement des coupes, mise en circulation de nouveaux crédits et déforestation accrue quasi invisible. L'exemple de la société Tecniflora, implantée dans la commune d'Anajás et pointée du doigt par Greenpeace, résume l'ampleur du phénomène. En 2012, l'entreprise a reçu l'autorisation de la PFMS de récolter quelque 120 000 m3 de bois dont 5 800 m3 du précieux Ipé. Or selon l'Institut géographique brésilien, cette espèce n'existe pas dans cette région humide car elle pousse en milieu sec.
Par ailleurs, selon, une inspection fin 2013 des agents Secrétariat environnemental de l'Etat (Sema) ont relevé qu'à peine 5 % de la zone avait été cultivée alors que dans les registres 99,9 % des crédits de Tecniflora avaient été exploités. Soit autant de mètres cubes d'Ipé et de bois plus traditionnels introduits dans le système de blanchiment. « Ces fraudes systématiques montrent que le système de contrôle en place au Brésil est structurellement inopérant. Si l'administration brésilienne et les importateurs continuent cyniquement de fermer les yeux sur ces fraudes, les enquêtes ponctuelles de la justice brésilienne seront impuissantes à réformer le système », déplore Jérôme Frignet, spécialiste des filières bois et du Brésil chez Greenpeace.
En janvier 2014, Antonio Carlos Hummel, ancien président de l'Agence nationale brésilienne de la forêt, avait souligné que le taux de coupes illégales en Amazonie n'avait jamais atteint dans le passé moins de 60 %. Les lois et les pratiques changent, mais les taux ne varient guère.
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