Un
projet de règlement européen fixant les limites de contamination
applicables aux aliments en cas d'accident nucléaire en Europe suscite
une polémique au Parlement européen et parmi les associations
d'expertise indépendante de la radioactivité.
C'est
dans la plus grande discrétion que le Parlement européen a adopté une
résolution législative sur les niveaux maximaux admissibles de
contamination radioactive des denrées alimentaires et des aliments pour
le bétail après un accident nucléaire, le 9 juillet dernier. Il se
prononçait sur une proposition de règlement
présenté par la Commission européenne, qui s'imposera à tous les pays
de l'Union une fois adoptée par le Conseil européen. Ce texte porte sur
quatre principaux groupes de radionucléides : plutonium, strontium, iode
et césium, et cinq catégories de denrées alimentaires : aliments pour
nourrissons, lait, boissons dont eau potable, aliments de base (viande,
poissons, légumes, fruits, céréales) et aliments dits mineurs. L'enjeu
est important pour les agriculteurs européens et l'industrie
agro-alimentaire puisque les aliments ne pourront plus être
commercialisés ni exportés selon leur niveau de contamination
radioactive.
Les eurodéputées Michèle Rivasi (France-Verts-Ale) et Piernicola Pedicini (Italie-EFDD) constatent à cette occasion que "l'opinion publique est très mobilisée lorsqu'il s'agit d'OGM, mais pour l'instant beaucoup moins quand il est question du risque nucléaire, car l'information ne circule pas. L'intérêt a été quelque peu éveillé sur ce sujet au moment des survols non revendiqués de centrales françaises par des drones. Or les centrales européennes sont partout vieillissantes et des incidents de sûreté se produisent tous les jours".
Les experts sans visage du Traité Euratom
En matière de radioprotection, l'Union européenne se réfère aux niveaux maximaux admissibles établis par le groupe d'experts associés au Traité Euratom, qui, depuis les débuts de l'Europe, régit le développement de l'industrie nucléaire européenne. Dans son avis du 21 novembre 2012, ce groupe d'experts confirme ses conclusions de 1998, par lesquelles il fixe les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive dans les aliments en cas d'accident nucléaire. Ces seuils ont été établis à la suite de l'accident de Tchernobyl, en 1986. "Ces niveaux maximaux admissibles sont toujours en accord avec les avis scientifiques les plus récents actuellement disponibles à l'échelle internationale", estime la Commission européenne.
Une position loin d'être partagée par la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) : "Il est d'autant plus nécessaire de porter un regard critique sur le travail d'expertise que les spécialistes qui interviennent le font dans le cadre du Traité Euratom, un traité qui a pour mission statutaire le développement rapide des industries nucléaires", alerte la CRIIRAD dans un courrier adressé à la Commission européenne, dans lequel elle demande les noms et références professionnelles des auteurs du rapport de 1998, et de l'avis de 2012 qui en reprend le contenu. En réponse, la Direction générale de l'énergie a opposé un refus au motif que transmettre ces données pourrait "porter atteinte aux intérêts légitimes" des experts concernés.
En outre, la CRIIRAD a procédé à des vérifications des seuils proposés par les experts, qu'elle qualifie de "trop élevés", donc "dangereux pour la santé humaine", et "fixés de manière incohérente". Exemple : les valeurs limites pour les aliments dits de moindre importance tels que les condiments, l'ail, les patates douces, les truffes, les vitamines, les fruits confits, sont fixés à 40.800 becquerels par kilogrammes, soit dix fois supérieures à celles des aliments de base.
Autre point soumis à interrogation, la dose moyenne d'aliments liquides absorbée par jour – en l'occurrence la quantité d'eau bue quotidiennement par chaque Européen – est sous-estimée par la Commission qui table sur une ou deux gorgées d'eau par jour seulement. En réalité, il faudrait définir des seuils de radioactivité de l'eau 100 fois moindres pour tenir compte du fait que chaque Européen boit au moins un litre d'eau par jour... Quant aux doses maximales admissibles pour les nourrissons, elles sont sujettes à caution : la dose de rayonnement que reçoit un bébé du fait de l'ingestion d'aliments contaminés par du plutonium 239 est minorée.
Lors de l'examen en Commission parlementaire, Mme Esther Herranz Garcia (Espagne-Parti populaire européen), rapporteure du projet, n'a pourtant pas estimé pertinent de remettre en cause les niveaux maximaux admissibles de contamination, invitant ses collègues à "faire preuve d'humilité". La rapporteure a affirmé sa confiance dans les experts : "Si je dois me faire opérer d'un lymphome, je ne vais pas demander à une association de protection de consommateurs, ni à un avocat, je vais m'adresser à un chirurgien. (…) Quand on parle de choses éminemment techniques –c'est de la technologie de haut vol, la physique nucléaire – il faut se reposer sur ce que nous disent les experts (...)".
Un accident bien lointain
Autre point saillant, selon les experts d'Euratom sur lesquels se fonde la Commission, les limites sont calculées pour un accident survenant en moyenne à plus de 1.000 kilomètres des frontières européennes, escomptant un faible taux – de 10% seulement – de contamination des aliments dans l'espace européen. Mais que se passerait-il en cas d'accident au cœur même de l'Europe ? Un amendement a proposé de diviser ce seuil par dix, mais il a été refusé.
Sur le fond, ce débat interroge sur la légitimité de ceux qui définissent le niveau de risque maximum acceptable : à qui revient-il de décider à partir de combien de morts et de malades le risque radiologique sera considéré comme trop élevé et imposera le retrait des aliments contaminés ? Les citoyens européens devraient-ils être consultés sur cette question ou celle-ci n'appartient-elle qu'aux ingénieurs nucléaires ?
La Commission devrait présenter, au plus tard le 31 mars 2017, un rapport sur la pertinence des niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive fixés dans les annexes. D'ici là, elle s'est engagée à détailler les mesures prises ainsi que les informations notifiées si un accident nucléaire ou une autre situation d'urgence radiologique provoque la contamination de denrées alimentaires et d'aliments pour bétail. On attend aussi un rapport sur la pertinence d'un mécanisme fondé sur le principe du "pollueur-payeur", destiné à dédommager les agriculteurs dont les denrées alimentaires ont été contaminées au-delà des niveaux maximaux admissibles.
Agnès Sinaï, journalisteLes eurodéputées Michèle Rivasi (France-Verts-Ale) et Piernicola Pedicini (Italie-EFDD) constatent à cette occasion que "l'opinion publique est très mobilisée lorsqu'il s'agit d'OGM, mais pour l'instant beaucoup moins quand il est question du risque nucléaire, car l'information ne circule pas. L'intérêt a été quelque peu éveillé sur ce sujet au moment des survols non revendiqués de centrales françaises par des drones. Or les centrales européennes sont partout vieillissantes et des incidents de sûreté se produisent tous les jours".
Les experts sans visage du Traité Euratom
En matière de radioprotection, l'Union européenne se réfère aux niveaux maximaux admissibles établis par le groupe d'experts associés au Traité Euratom, qui, depuis les débuts de l'Europe, régit le développement de l'industrie nucléaire européenne. Dans son avis du 21 novembre 2012, ce groupe d'experts confirme ses conclusions de 1998, par lesquelles il fixe les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive dans les aliments en cas d'accident nucléaire. Ces seuils ont été établis à la suite de l'accident de Tchernobyl, en 1986. "Ces niveaux maximaux admissibles sont toujours en accord avec les avis scientifiques les plus récents actuellement disponibles à l'échelle internationale", estime la Commission européenne.
Une position loin d'être partagée par la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) : "Il est d'autant plus nécessaire de porter un regard critique sur le travail d'expertise que les spécialistes qui interviennent le font dans le cadre du Traité Euratom, un traité qui a pour mission statutaire le développement rapide des industries nucléaires", alerte la CRIIRAD dans un courrier adressé à la Commission européenne, dans lequel elle demande les noms et références professionnelles des auteurs du rapport de 1998, et de l'avis de 2012 qui en reprend le contenu. En réponse, la Direction générale de l'énergie a opposé un refus au motif que transmettre ces données pourrait "porter atteinte aux intérêts légitimes" des experts concernés.
En outre, la CRIIRAD a procédé à des vérifications des seuils proposés par les experts, qu'elle qualifie de "trop élevés", donc "dangereux pour la santé humaine", et "fixés de manière incohérente". Exemple : les valeurs limites pour les aliments dits de moindre importance tels que les condiments, l'ail, les patates douces, les truffes, les vitamines, les fruits confits, sont fixés à 40.800 becquerels par kilogrammes, soit dix fois supérieures à celles des aliments de base.
Autre point soumis à interrogation, la dose moyenne d'aliments liquides absorbée par jour – en l'occurrence la quantité d'eau bue quotidiennement par chaque Européen – est sous-estimée par la Commission qui table sur une ou deux gorgées d'eau par jour seulement. En réalité, il faudrait définir des seuils de radioactivité de l'eau 100 fois moindres pour tenir compte du fait que chaque Européen boit au moins un litre d'eau par jour... Quant aux doses maximales admissibles pour les nourrissons, elles sont sujettes à caution : la dose de rayonnement que reçoit un bébé du fait de l'ingestion d'aliments contaminés par du plutonium 239 est minorée.
Lors de l'examen en Commission parlementaire, Mme Esther Herranz Garcia (Espagne-Parti populaire européen), rapporteure du projet, n'a pourtant pas estimé pertinent de remettre en cause les niveaux maximaux admissibles de contamination, invitant ses collègues à "faire preuve d'humilité". La rapporteure a affirmé sa confiance dans les experts : "Si je dois me faire opérer d'un lymphome, je ne vais pas demander à une association de protection de consommateurs, ni à un avocat, je vais m'adresser à un chirurgien. (…) Quand on parle de choses éminemment techniques –c'est de la technologie de haut vol, la physique nucléaire – il faut se reposer sur ce que nous disent les experts (...)".
Un accident bien lointain
Autre point saillant, selon les experts d'Euratom sur lesquels se fonde la Commission, les limites sont calculées pour un accident survenant en moyenne à plus de 1.000 kilomètres des frontières européennes, escomptant un faible taux – de 10% seulement – de contamination des aliments dans l'espace européen. Mais que se passerait-il en cas d'accident au cœur même de l'Europe ? Un amendement a proposé de diviser ce seuil par dix, mais il a été refusé.
Sur le fond, ce débat interroge sur la légitimité de ceux qui définissent le niveau de risque maximum acceptable : à qui revient-il de décider à partir de combien de morts et de malades le risque radiologique sera considéré comme trop élevé et imposera le retrait des aliments contaminés ? Les citoyens européens devraient-ils être consultés sur cette question ou celle-ci n'appartient-elle qu'aux ingénieurs nucléaires ?
La Commission devrait présenter, au plus tard le 31 mars 2017, un rapport sur la pertinence des niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive fixés dans les annexes. D'ici là, elle s'est engagée à détailler les mesures prises ainsi que les informations notifiées si un accident nucléaire ou une autre situation d'urgence radiologique provoque la contamination de denrées alimentaires et d'aliments pour bétail. On attend aussi un rapport sur la pertinence d'un mécanisme fondé sur le principe du "pollueur-payeur", destiné à dédommager les agriculteurs dont les denrées alimentaires ont été contaminées au-delà des niveaux maximaux admissibles.
Rédactrice spécialisée
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