vendredi 6 novembre 2015

Le double langage de la Corée du Sud sur le climat

D’où vient le nouveau président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ? Où siège le Fonds vert, l’institution créée en 2010 pour drainer des flux financiers nord-sud vers des plans d’actions contre le réchauffement ? Quel est le premier pays d’Asie à avoir mis en place en janvier un marché national du carbone ? A ces trois questions, une même réponse : la Corée du Sud.

François Hollande avait plusieurs raisons valables de faire escale à Séoul, mercredi 4 novembre, après deux journées passées en Chine sous le signe de la mobilisation climatique. Le chef de l’Etat était invité aussi, quinze ans après la venue de Jacques Chirac, à célébrer le 130e anniversaire des relations diplomatiques franco-coréennes et les années croisées France-Corée 2015-2016.

Rôle de médiateur

Alors qu’approche la conférence de Paris (COP21, du 30 novembre au 11 décembre), où pourrait être scellé un accord universel pour maintenir le réchauffement planétaire à moins de 2 °C, toutes les occasions semblent bonnes pour mobiliser les acteurs du dossier. Séoul est un partenaire important dans les négociations, a insisté François Hollande au cours d’une table ronde sur le climat et la croissance verte à l’université féminine Ewha pendant que Fleur Pellerin, un peu plus loin, se prêtait au jeu des selfies auprès d’étudiantes séduites par cette jeune ministre française d’origine coréenne.
« Nous sommes une passerelle entre pays industrialisés et pays émergents, nous continuerons à l’être au G20 [mi-novembre, en Turquie] », a assuré la présidente de la commission des affaires étrangères, Na Kyung-won. Depuis 2000, la Corée du Sud, la Suisse et le Mexique, rejoints depuis par Monaco et le Liechtenstein dans la coalition dite « Groupe de l’intégrité territoriale », jouent fréquemment les médiateurs dans les négociations sur le climat. Le début de la présidence de Park Geun-hye (depuis février 2013) avait donné un coup de frein à cette dynamique. « Aujourd’hui, la Corée du Sud a envie de rejouer ce rôle, assure Laurence Tubiana, la chef négociatrice de la France. Cela s’est vu pendant les réunions ministérielles organisées ces derniers mois. »

Mauvais élève dans la lutte contre le réchauffement

Mais l’habilité diplomatique sud-coréenne masque une autre réalité, celle d’un mauvais élève dans la lutte contre le réchauffement planétaire. 13e puissance économique au monde, la Corée du Sud s’industrialise et en paye le prix fort. Cette nation de 50 millions d’habitants est le 11e plus gros consommateur d’énergie et le 7e émetteur de gaz carbonique mondial. Son électricité dépend à 31 % du charbon, dont elle est le quatrième importateur mondial, derrière la Chine, l’Inde et le Japon.
La consommation de charbon a augmenté de 54 % entre 2005 et 2014, notamment pour compenser l’arrêt forcé de centrales nucléaires, en raison de scandales de corruption autour de l’entretien des installations. Pour réduire les émissions, Séoul a annulé la construction de quatre centrales au charbon mais va se doter de deux réacteurs nucléaires supplémentaires.
La Corée du Sud a annoncé en juin un objectif de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 37 % d’ici à 2030 en activités constantes. La décision a pourtant été longue à se dessiner. Le ministère du commerce, de l’industrie et de l’énergie prévoyait quatre scénarios, de 14,7 % à 31,3 %. Sous la pression du président américain, Barack Obama, qui a appelé Mme Park à « montrer sa détermination en fixant un objectif ambitieux », Séoul a finalement opté pour 37 %, dont 11,3 % d’achats de permis d’émissions, expliquant avoir « augmenté l’objectif par rapport aux scénarios envisagés » pour montrer son « leadership sur le climat ». Outre qu’un tiers des réductions passent par l’achat de permis, la stratégie revient à autoriser, selon l’organisme d’évaluation des politiques énergétiques Climate Action Tracker (CAT), « une augmentation de 81 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990 ».

Marché carbone peu attractif

Le prédécesseur de la présidente Park, Lee Myung-bak, avait voulu favoriser la croissance verte en instaurant notamment une norme pour obliger les fournisseurs d’électricité à augmenter la part des renouvelables. Mais d’autres mesures ont eu des effets désastreux sur l’environnement, en particulier le projet phare de « restauration des quatre fleuves » censé améliorer la gestion des ressources en eau.
Dans un rapport rendu public début 2013, le Bureau d’audit et d’inspection – un organisme gouvernemental – relevait des surcoûts et des problèmes de conception sur 15 des 16 barrages construits, une élévation de la pollution de l’eau autour de ces barrages et la nécessité d’intensifier les travaux de drainage. La sécheresse enregistrée cet été dans la région de Chungcheong (centre-ouest) serait une conséquence de ces travaux titanesques.
Le marché d’émissions de CO2 créé en janvier 2015, reste pour le moment peu animé, les industriels se plaignant des coûts supplémentaires sur leurs activités. Ces mêmes industriels assurent un lobbying constant pour réduire l’engagement sud-coréen avant la COP21. Quand le gouvernement a annoncé ses quatre scénarios, les organisations dont la puissante Fédération des industries coréennes, qui regroupe les chaebols (« conglomérats ») locaux, ont protesté, arguant d’une menace pour la compétitivité. Une attitude d’obstruction qui n’a pas dissuadé François Hollande de déjeuner à Séoul avec les patrons de ces conglomérats.

Bases fragiles du Fonds vert

Le chef de l’Etat français a préféré évoquer un autre sujet, l’approbation par le Fonds vert, réuni depuis le 2 novembre en conseil d’administration à Livingstone en Zambie, de ses premiers projets. Les discussions, toujours en cours jeudi matin, devraient concerner 8 projets (Bangladesh, Fidji, Malawi, Maldives, Pérou, Sénégal, Afrique de l’Est et zone Caraïbe) pour un montant total de 168 millions de dollars.
« C’est un signal hautement symbolique vers Paris » selon Youssef Arfaoui, coordinateur atténuation du Fonds vert, présent à la table ronde du 4 novembre. Mais ses bases demeurent fragiles. Seuls 60 % des 10 milliards de promesses financières des pays industrialisés sont converties en accord de contribution, et son horizon se borne pour l’instant à la période 2015-2018. Du 8 au 10 novembre, un autre signal pourrait être envoyé, cette fois par Laurent Fabius, qui convie les ministres de près de 80 pays à une pré-COP à Paris.

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