Le développement rapide du Bangladesh, aux portes de la forêt de
mangroves des Sundarbans souillée récemment par une marée noire, accroit
le risque de nouveaux désastres environnementaux dans ce fragile
écosystème, estiment les experts.
Un pétrolier a percuté la
semaine passée un cargo dans un épais brouillard dans une rivière des
Sundarbans, réseau de voies d'eau et de mangroves abritant en
particulier de rares espèces de dauphins et des tigres du Bengale en
danger, dans le sud du Bangladesh.
Les autorités ont été
incapables d'organiser le nettoyage pendant les quatre premiers jours,
laissant des dizaines de milliers de litres de pétrole se déverser dans
ce sanctuaire de dauphins. Il a ensuite ordonné aux habitants des
village et aux pêcheurs d'éponger artisanalement le liquide visqueux.
Les
Sundarbans, classés patrimoine mondial de l'Unesco, sont «une bombe
prête à exploser» depuis la décision du gouvernement en 2011 de laisser
les navires commerciaux traverser le delta du Gange, selon les experts
environnementaux.
Une série de projets, en particulier une
centrale à charbon et un énorme silo à grains, menacent la plus grande
forêt de mangroves du monde, estiment-ils.
«La forêt a perdu la
moitié de sa surface sur les cinq dernières décennies. Maintenant les
bases ont été jetées pour mettre le dernier clou du cercueil», dit
l'expert indépendant Mohsinuzzaman Chowdhury à propos de ces projets.
L'arrivée massive de travailleurs risque en outre de mettre un peu plus ce fragile environnement sous pression.
«Environ
un million de personnes dépendent directement ou indirectement de cette
forêt. Mais leur nombre pourrait passer à plus de cinq millions au
cours de la prochaine décennie», ajoute-t-il.
- Centrale à charbon -
La
centrale à charbon, prévue à 14 km au nord de l'entrée du delta, doit
fournir de l'électricité cruciale pour la population encore pauvre de ce
pays en croissance.
Ce projet a valu aux autorités du Bangladesh
de sévères critiques lors d'un récent congrès à Dacca sur la sauvegarde
des tigres dans le monde.
Le responsable national des forêts,
Yunus Ali, a dit avoir fait part de la préoccupation de ses services sur
ce projet, prévu sur les rives du fleuve Poshur qui court jusqu'à la
forêt.
«Mais les autorités ont adopté un plan de gestion environnemental pour limiter tout impact négatif éventuel», a-t-il dit.
Un
responsable forestier des Sundarbans, sous couvert d'anonymat, exprime
cependant son inquiétude pour les rejets que la centrale déversera dans
le fleuve, une fois en fonctionnement en 2018.
«Notre principale
inquiétude concerne la gestion des déchets et de l'eau chaude. La
centrale va déverser ses boues dans les rivières des Sundarbans. Elle va
aussi cracher une poussière épaisse qui va se propager dans la forêt»,
dit-il.
Les populations locales ont longtemps pu pêcher et chasser
dans cette région qui s'étend sur 10.000 km2, aux deux tiers sur le
Bangladesh et un tiers en Inde.
En 2011, le Bangladesh a autorisé
les navires commerciaux à traverser le delta pour aller du port de
Chittagong dans le Golfe du Bengale au centre du pays, leur offrant un
gain de temps et d'argent.
Un port situé à l’extrémité du Poshur a
vu multiplier par six le nombre de bateaux lors des dernières années,
une tendance qui risque de se renforcer avec l'ouverture prochaine d'un
silo de 50.000 tonnes sur sa rive.
- «Une préservation compromise» -
Des poissons et crabes morts se sont échoués depuis la marée noire dont l'impact exact n'est pas encore connu.
Les
experts ont craint pour les tigres du Bengale, dont plusieurs centaines
vivent dans cette région, mais également pour 300 espèces d'oiseaux et
pour les dauphins Irrawady.
Le delta, situé à l'embouchure du
Gange, du Brahmapoutre et de la Meghna, abrite aussi un lieu de
reproduction crucial pour l'industrie de la crevette et la pêche du
hilsa, un poisson tropical.
La centrale à charbon et la
circulation fluviale risquent d'avoir un impact «désastreux» et de
mettre en danger «un ensemble de races aquatiques et les tigres du
Bengale», dit Y.V. Jhala, professeur au Wildlife Institute of India.
«Le
Bangladesh compromet la préservation (de l'environnement) au profit du
développement», dit-il, plaidant pour l'interdiction des navires et le
déplacement de la centrale.
Cet écosystème «a une forte valeur
économique et agit comme un rempart contre les désastres
environnementaux dus aux cyclones du Golfe du Bengale». «Le perdre sera
une grosse perte pour l'humanité».
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