samedi 20 décembre 2014

Kuujjuarapik, avant-poste de la fonte de l'Arctique canadien

De mémoire d'anciens, les ours polaires ne s'aventuraient jamais aussi au sud. Mais 30 ans après la fonte de la toundra, Kuuajjuarapik a appris que nul ne pouvait prédire les pires conséquences du réchauffement climatique.

  Le village inuit de Kuujjuarapik au Canada, le 7 décembre 2014



De mémoire d'anciens, les ours polaires ne s'aventuraient jamais aussi au sud. Mais 30 ans après la fonte de la toundra, Kuuajjuarapik a appris que nul ne pouvait prédire les pires conséquences du réchauffement climatique.
Le mot a rapidement fait le tour: un ours blanc, puis deux, ont été vus en train de rôder autour de cette bourgade de la baie d'Hudson, avant-poste méridional du peuple inuit à 1.800 km au nord de Montréal.
Dès l'alerte, les enfants ont été privés de sortie au-delà des dernières maisons du village de 1.500 âmes. En plein blizzard, les hommes ont pris armes et motoneiges et ont abattu l'une des deux bêtes, ce qui jadis était impensable.
«Dans les années 1920, quand j'étais enfant, les ours polaires n'existaient que dans les histoires. Maintenant ils viennent, toujours plus nombreux», raconte Alec Tuckatuck, l'un des chasseurs du village.
Les plus gros carnivores de la planète s'aventurent désormais autour de Kuujjuarapik car en ce début décembre, la banquise, où ils chassent le phoque, ne se forme plus au large comme depuis la nuit des temps.
«Les hivers sont plus courts et les étés plus longs, on a désormais sept mois sans neige», observe Alec, expliquant que les Inuits ne se risquent plus sur la glace, comme ils en avaient l'habitude.
Emmitouflé dans sa salopette de ski jaune kaki, le vieux chasseur se souvient que la hausse de la température a commencé à se faire sentir «au milieu des années 1980», avec la fonte du pergélisol (le sol gelé en permanence). «Cela a modifié le rythme de formation de la glace, puis le moment de la fonte. (...) À présent la végétation pousse plus vite».

- Bombe climatique -

Si la hausse du mercure peut avoir ses avantages pour les locaux, tels qu'entraîner une plus grande abondance en poissons dans cette partie de la Baie d'Hudson, le dégel de la toundra est redouté par les scientifiques.
«Ça pourrait être une bombe climatique», résume Florent Domine, rare spécialiste du pergélisol, détaché du CNRS au laboratoire d'études nordiques Takuvik à l'université Laval de Québec.
Accroupi dans la neige par -25 degrés celsius, ce chercheur français a déployé ses instruments de mesure au sommet d'une tourbière, à quelques minutes d'hélicoptère du bourg inuit.
A Kuujjuarapik, comme dans le Haut Arctique, le biologiste dresse le même constat: le sol se réchauffe inexorablement. «Si le pergélisol dégèle rapidement, une partie du carbone (qu'il emmagasine) sera libérée dans l'atmosphère sous forme de Co2 (dioxyde de carbone) et de CH4 (méthane), sous l'action bactérienne, aggravant de manière considérable l'effet de serre».
Il y a au moins deux fois plus de carbone présents dans le pergélisol que dans l'air, selon les données disponibles. Ce phénomène est si peu connu et étudié que le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) de l'ONU ne l'intègre pas dans ses modèles climatiques, souligne ce chercheur.
Le pire des scénarios actuels du Giec évoque une hausse moyenne des températures de 4 à 5°c d'ici 2100. Florent Domine s'attend pour sa part à une augmentation de l'ordre de 8°c, en prenant en compte l'effet démultiplicateur de la fonte du pergélisol.
Pour évaluer les volumes de gaz à effets de serre (GES) dégagés lors de la «minéralisation» des sous-sols organiques se réchauffant, M. Domine et son équipe suivent notamment l'évolution des dizaines d'étangs créés par l'effondrement de la toundra dégelée. En particulier Pascale Bégin, une biologiste québécoise, surveille le déversement de blocs tourbeux dans ces mares où ils sont alors dégradés par les bactéries. En l'absence d'oxygène, la fermentation des sédiments produit du méthane, un GES 20 fois plus nocif que le C02, note la jeune femme.
Le cercle vicieux du réchauffement semble donc s'accélérer dans l'Arctique et les habitants de cette région polaire n'ont «pas d'autre choix que de s'adapter», remarque le vieux chasseur inuit, Alec Tuckatuck.
Même les ours polaires, déboussolés par la fonte de la banquise, semblent avoir intégré cette nouvelle réalité: à force de s'aventurer plus au sud, à la recherche de nourriture, les carnivores ont commencé à s'accoupler avec leurs cousins grizzlis. Il y a quelques années une telle hybridation aurait semblé contre-nature.

 








































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