De mémoire d'anciens, les ours polaires ne
s'aventuraient jamais aussi au sud. Mais 30 ans après la fonte de la
toundra, Kuuajjuarapik a appris que nul ne pouvait prédire les pires
conséquences du réchauffement climatique.
De mémoire d'anciens, les ours polaires ne s'aventuraient jamais
aussi au sud. Mais 30 ans après la fonte de la toundra, Kuuajjuarapik a
appris que nul ne pouvait prédire les pires conséquences du
réchauffement climatique.
Le mot a rapidement fait le tour: un
ours blanc, puis deux, ont été vus en train de rôder autour de cette
bourgade de la baie d'Hudson, avant-poste méridional du peuple inuit à
1.800 km au nord de Montréal.
Dès l'alerte, les enfants ont été
privés de sortie au-delà des dernières maisons du village de 1.500 âmes.
En plein blizzard, les hommes ont pris armes et motoneiges et ont
abattu l'une des deux bêtes, ce qui jadis était impensable.
«Dans
les années 1920, quand j'étais enfant, les ours polaires n'existaient
que dans les histoires. Maintenant ils viennent, toujours plus
nombreux», raconte Alec Tuckatuck, l'un des chasseurs du village.
Les
plus gros carnivores de la planète s'aventurent désormais autour de
Kuujjuarapik car en ce début décembre, la banquise, où ils chassent le
phoque, ne se forme plus au large comme depuis la nuit des temps.
«Les
hivers sont plus courts et les étés plus longs, on a désormais sept
mois sans neige», observe Alec, expliquant que les Inuits ne se risquent
plus sur la glace, comme ils en avaient l'habitude.
Emmitouflé
dans sa salopette de ski jaune kaki, le vieux chasseur se souvient que
la hausse de la température a commencé à se faire sentir «au milieu des
années 1980», avec la fonte du pergélisol (le sol gelé en permanence).
«Cela a modifié le rythme de formation de la glace, puis le moment de la
fonte. (...) À présent la végétation pousse plus vite».
- Bombe climatique -
Si
la hausse du mercure peut avoir ses avantages pour les locaux, tels
qu'entraîner une plus grande abondance en poissons dans cette partie de
la Baie d'Hudson, le dégel de la toundra est redouté par les
scientifiques.
«Ça pourrait être une bombe climatique», résume
Florent Domine, rare spécialiste du pergélisol, détaché du CNRS au
laboratoire d'études nordiques Takuvik à l'université Laval de Québec.
Accroupi
dans la neige par -25 degrés celsius, ce chercheur français a déployé
ses instruments de mesure au sommet d'une tourbière, à quelques minutes
d'hélicoptère du bourg inuit.
A Kuujjuarapik, comme dans le Haut
Arctique, le biologiste dresse le même constat: le sol se réchauffe
inexorablement. «Si le pergélisol dégèle rapidement, une partie du
carbone (qu'il emmagasine) sera libérée dans l'atmosphère sous forme de
Co2 (dioxyde de carbone) et de CH4 (méthane), sous l'action bactérienne,
aggravant de manière considérable l'effet de serre».
Il y a au
moins deux fois plus de carbone présents dans le pergélisol que dans
l'air, selon les données disponibles. Ce phénomène est si peu connu et
étudié que le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du
climat (Giec) de l'ONU ne l'intègre pas dans ses modèles climatiques,
souligne ce chercheur.
Le pire des scénarios actuels du Giec
évoque une hausse moyenne des températures de 4 à 5°c d'ici 2100.
Florent Domine s'attend pour sa part à une augmentation de l'ordre de
8°c, en prenant en compte l'effet démultiplicateur de la fonte du
pergélisol.
Pour évaluer les volumes de gaz à effets de serre
(GES) dégagés lors de la «minéralisation» des sous-sols organiques se
réchauffant, M. Domine et son équipe suivent notamment l'évolution des
dizaines d'étangs créés par l'effondrement de la toundra dégelée. En
particulier Pascale Bégin, une biologiste québécoise, surveille le
déversement de blocs tourbeux dans ces mares où ils sont alors dégradés
par les bactéries. En l'absence d'oxygène, la fermentation des sédiments
produit du méthane, un GES 20 fois plus nocif que le C02, note la jeune
femme.
Le cercle vicieux du réchauffement semble donc s'accélérer
dans l'Arctique et les habitants de cette région polaire n'ont «pas
d'autre choix que de s'adapter», remarque le vieux chasseur inuit, Alec
Tuckatuck.
Même les ours polaires, déboussolés par la fonte de la
banquise, semblent avoir intégré cette nouvelle réalité: à force de
s'aventurer plus au sud, à la recherche de nourriture, les carnivores
ont commencé à s'accoupler avec leurs cousins grizzlis. Il y a quelques
années une telle hybridation aurait semblé contre-nature.
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