François Gemenne
samedi 13 décembre 2014
En parlant de stratégie d’adaptation à propos des migrations environnementales, les négociations internationales ont cherché à « dé-victimiser » les migrants. Et le terme de « réfugié »
a été abandonné. Mais ne sont-ils pas les premières victimes d’un
processus politique et intentionnel de transformation de la Terre ? La question des migrations, dans les conférences sur le climat, ne doit pas être dépolitisée.
Cela fait maintenant plusieurs années que d’importants mouvements de populations ont été identifiés comme l’un des impacts les plus spectaculaires, et les plus dramatiques, du changement climatique.
Et les dégradations de l’environnement, pour beaucoup déjà liées au réchauffement global, sont effectivement devenues l’un des principaux facteurs de migrations dans le monde, que celles-ci soient forcées ou volontaires. Entre 2008 et 2013, 165 millions de personnes ont été déplacées à la suite d’une catastrophe naturelle, et ce chiffre n’inclut pas tous ceux qui ont été déplacés à la suite de dégradations plus lentes de l’environnement, comme la désertification et la hausse du niveau des mers.
Ceux-là échappent à tout comptage statistique, et leur nombre demeure dès lors inconnu. Il y a donc aujourd’hui au moins autant de personnes déplacées dans le monde à la suite de dégradations de l’environnement que de personnes déplacées par des guerres et des violences.
Une affaire de politiques d’adaptation
Pendant longtemps, ces ‘réfugiés climatiques’ ont incarné les canaris dans la mine du changement climatique : leur migration était une catastrophe humanitaire à éviter à tout prix, et que nous ne nous pourrions éviter que par une réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre. Mais au fur et à mesure que ces migrations devenaient une réalité de plus en plus importante, elles sont aussi devenues un phénomène social à encadrer, à maîtriser et à accompagner.
Et logiquement, c’est vers les négociations internationales sur le climat que l’on s’est tourné lorsque l’on a envisagé des solutions politiques à la question. La montée en puissance de la question de l’adaptation, en particulier, a semblé fournir un cadre adéquat à ces débats.
Et la gestion des migrations environnementales est ainsi devenue une affaire de politiques d’adaptation, plutôt que de politiques migratoires. Les organisations internationales et ONGs en charge de ces questions ont investi les COPs, convaincues que c’était là que la question allait pouvoir se régler.
La migration a été reconnue comme une potentielle stratégie d’adaptation aux impacts du changement climatique, qu’il fallait encourager et faciliter. En 2010, le Cadre de Cancún sur l’Adaptation a formalisé cette reconnaissance, et la migration s’est formellement invitée à la table des négociations. Aujourd’hui, elle est également abordée dans le cadre du mécanisme de Varsovie sur les pertes et dommages liés au changement climatique.
Dépolitisation du changement climatique
Ce faisant, les négociations internationales ont aussi cherché à ‘dé-victimiser’ les migrants, désormais acteurs de leur stratégie d’adaptation. Le terme de ‘réfugié climatique’, pourtant si éloquent, a été abandonné sous la pression des juristes, au motif qu’il ne correspondait à aucune réalité dans le droit international : ces ‘réfugiés’ n’étaient victimes d’aucune persécution politique.
Mais dans ce processus de ‘dé-victimisation’ des migrants, les impacts du changement climatique ont aussi été utilisés comme un Cheval de Troie pour dépolitiser les causes profondes de la migration. Car le changement climatique, au fond, n’est-il pas une forme de persécution à l’encontre des plus vulnérables ?
Car il existe bel et bien un risque à traiter des migrations dans le cadre des négociations internationales sur le climat : celui de considérer les migrants comme des pions dont il s’agit de gérer le déplacement, et de dépolitiser les causes profondes de celui-ci. En ‘environnementalisant’ la politique, on risque aussi de dépolitiser l’environnement.
Je ne dis pas ici que la question des migrations n’a pas sa place dans les négociations sur le climat. Au contraire. Mais il faut prendre garde à ne pas oublier que les migrants, quelles que soient les ressources qu’ils trouvent au fond d’eux-mêmes pour s’adapter, aussi admirables soient-ils dans leur résilience, sont aussi les victimes d’un processus de transformation de la Terre qui les dépasse.
Voilà pourquoi il est au fond très légitime de parler de ‘réfugiés climatiques’ : parce que ceux-ci sont les premières victimes d’un processus politique et intentionnel de transformation de la Terre. C’est bien une forme de persécution, éminemment politique.
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