mercredi 16 septembre 2015

Evaluations complémentaires de sûreté ECS : Analyser la résistance des installations françaises

Derrière le sigle ECS se cachent les évaluations complémentaires de sûreté post-Fukushima. Cet état des lieux complet des installations nucléaires françaises a nécessité un long travail.
Les visites d'inspection chez l'exploitant sont assurées par des inspecteurs ASN, accompagnés d'experts de l'IRSNLes accidents nucléaires de Three Mile Island aux États-Unis en 1979 ou de Tchernoby en Ukraine en 1986 avaient pour origine des défaillances internes. Celui de Fukushima en mars 2011 a été provoqué par des agressions naturelles extrêmes. Ceci a conduit à se demander jusqu’à quel niveau de séisme et d’inondation les centrales européennes, et notamment françaises, pouvaient résister. Et quels seraient les délais avant que des rejets surviennent dans l’environnement en cas de perte totale d’alimentation électrique ou de source de refroidissement.
Ces questions sont l’objet des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) demandées aux exploitants français le 5 mai 2011 par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
La démarche des ECS répond à une double demande : celle, en date du 23 mars 2011, du Premier ministre François Fillon, de réaliser un audit de la sûreté des installations françaises et celle du Conseil européen, lors de sa réunion des 24 et 25 mars 2011, de réaliser des stress-tests (tests de résistance). « Les deux requêtes étaient comparables », résume Karine Herviou, expert de l’IRSN chargée de l’instruction des dossiers ECS.
« C’est sur la base du cahier des charges rédigé par l’association européenne des chefs des autorités de sûreté nucléaire, Wenra, que le cahier des charges français a été rédigé. »

79 installations prioritaires

Des installations observées à la loupe
carte des installations nucléaires françaises 

Il y a quelques différences entre les stress tests européens et les ECS français. Ils ont justifié deux rapports différents dans la forme, même si le fond reste le même : « Le périmètre des évaluations françaises est plus large. Elles couvrent non seulement les réacteurs, mais aussi les installations de recherche et les usines du cycle du combustible. Un chapitre dédié à la sous-traitance a été ajouté à la demande du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire », explique Daniel Quéniart, conseiller du directeur général de l’IRSN, qui a participé à la mise au point du rapport d’analyse critique des dossiers des exploitants.
La quasi-totalité des installations françaises sont concernées par les ECS. Cela correspond aux 58 réacteurs à eau sous pression, à l’EPR en construction, aux installations de recherche et aux usines du cycle du combustible.
Soixante-dix-neuf installations jugées prioritaires par l’ASN, dont les réacteurs, ont fait l’objet de rapports remis par les exploitants le 15 septembre 2011. Pour les autres, les exploitants disposent d’une année supplémentaire.
Examen du canal de transfert des combustibles usés à l’Institut Laüe-Langevin, Grenoble (Isère). © Grégoire Maisonneuve/IRSNDans la pratique, si les installations visées sont nombreuses, les opérateurs le sont beaucoup moins, avec EDF, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Areva et l’Institut Laüe-Langevin (ILL). Afin de faciliter les ECS, une étape intermédiaire a été observée.
« Début juin 2011, les exploitants ont transmis un document synthétisant la démarche qu’ils comptaient mettre en place pour réaliser les ECS », explique Caroline Lavarenne, expert à l’Institut et pilote de l’instruction des dossiers d’ECS. « Les groupes permanents d’experts [GPE] apportent un appui technique à l’ASN. Sur la base d’une analyse de l’IRSN, ils ont jugé satisfaisantes ces démarches, en indiquant certains points de vigilance. Ensuite, l’Autorité a imposé aux exploitants de prendre en compte l’impact d’éventuelles installations à risque, comme des usines chimiques, situées à proximité d’une centrale. »

Chaque dossier d’évaluationcomporte huit chapitres :
1. Présentation du site
2. Séisme
3. Inondation
4. Phénomènes naturels extrêmes (grêle, foudre, tornade)
5. Perte de source froide/perte de source électrique
6. Gestion des accidents graves
7. Entreprises prestataires
8. Synthèse du site et du plan d’action associé 

Durant l’été 2011, les exploitants des 79 installations prioritaires se sont donc attelés à la tâche pour remettre leur rapport le 15 septembre. « Pendant ce laps de temps, nous avons identifié les écarts de conformité, les points à améliorer sur les installations et calculé les délais disponibles avant rejets, réexaminé les aléas sismiques des sites... afin de disposer d’une grille d’analyse des rapports d’ECS en septembre », explique Karine Herviou.
Puis l’analyse des dossiers reçus a eu lieu. Un mois et demi plus tard, l’IRSN présentait devant les groupes permanents une synthèse et une analyse critique des propositions des exploitants, afin que les GPE puissent rendre un avis.

Les dates clés des évaluations complémentaires de sûreté :  
 

 

Le 17 novembre 2011, lors d'une conférence de presse organisée conjointement par l'ASN et l'IRSN, a été présenté le rapport d’expertise remis par l’IRSN à l’ASN et aux membres des groupes permanents d’experts à la suite de l’examen des rapports des Evaluations complémentaires de sûreté (ECS) des exploitants nucléaires.
Cet imposant travail d’analyse a été réalisé dans un délai très court à la fois par les exploitants d’installations nucléaires (EDF, CEA et Areva notamment) et par l’IRSN, qui a mobilisé sur ce sujet une centaine de ses experts pendant plusieurs mois.
La contre-expertise menée par l’IRSN sur les dossiers de sureté soumis par les industriels, en cas de catastrophe exceptionnelle, a permis de dégager plusieurs constats.

Les conclusions des experts
Première conclusion : si les installations autorisées en France peuvent être légitimement considérées comme sûres, il s’avère que certaines d’entre elles ne répondent pas complètement aux exigences définies dans les référentiels de sûreté qui leur sont applicables. Ces écarts doivent être résorbés rapidement.
Concernant la résistance des installations à des scénarios dépassant ceux imaginés, lors de la conception ou de la réévaluation de sûreté, la conclusion des experts est double. D’abord, l’accident de Fukushima et les ECS ont mis en évidence certaines limites des référentiels de sûreté actuels. « Ils ne considèrent pas le cumul de la perte totale des alimentations électriques ou de sources de refroidissement avec les agressions externes prises en compte dans les référentiels », explique Caroline Lavarenne. « Or Fukushima a montré que c’était possible. »
Aussi, faute d’envisager la concomitance d’événements, les équipements nécessaires à la gestion de ces situations ne sont pas tous protégés et la survenue d’une perte totale de refroidissement ou de sources d’énergie affectant simultanément plusieurs installations d’un site n’est pas envisagée. « Certains équipements comme des pompes ou les dispositifs de dépressurisation et de filtration sont communs à deux tranches. Des moyens de secours mobiles existent sur les sites, mais sont prévus pour un réacteur ou une installation uniquement », illustre Karine Herviou.
Dernière conclusion : la nécessité de renforcer ou de mettre en place des équipements essentiels à la gestion de situations extrêmes, capables de résister à des séismes ou des inondations importants. Ils constitueraient un “noyau dur”.
Aujourd’hui, chaque installation doit disposer d’un minimum d’équipements vitaux et extrêmement robustes, disponibles en toutes circonstances, pour prévenir l’accident grave ou en maîtriser les conséquences. « À ne faire que de la prévention, on risque toujours d’oublier quelque chose et d’assister impuissants à un rejet tel qu’à Fukushima », explique Emmanuel Raimond, chef de projet des études sur les accidents graves. « Il faut aussi concevoir des dispositifs pour maîtriser l’éventuel accident. » Ce que Karine Herviou résume d’une expression : “ceinture et bretelles”. Les moyens de gestion de crise doivent également être rendus robustes pour ces situations. 

Des items déjà connus
Certaines des conclusions des ECS recoupent des travaux de longue date, par exemple sur les réacteurs. « L’inondation survenue en 1999 à la centrale nucléaire du Blayais avait déjà posé la question du cumul des agressions climatiques. La protection face aux inondations avait été renforcée », rappelle Martial Jorel, spécialiste de la sûreté des réacteurs à l’IRSN.
« Après l’accident de Three Mile Island, les centrales françaises ont été équipées de filtres à sable pour dépressuriser l’enceinte en cas d’accident grave, et de recombineurs d’hydrogène. À l’issue de la troisième vague de visites décennales en 2003, la décision a été prise de renforcer la boulonnerie de l’enceinte de confinement, d’équiper les réacteurs d’un système de détection de percée de cuve et d’un autre de mesure de l’hydrogène dans l’enceinte. »
Autant d’améliorations qui auraient certainement joué un rôle si elles avaient existé à Fukushima, mais qui demeurent incomplètes, car ne résistant pas forcément aux agressions extrêmes. « Les filtres à sable ne tiennent pas face aux séismes », reconnaît Martial Jorel.
Une analyse partagée par Thierry Charles, son collègue en charge de la sûreté des laboratoires et usines. « Comme les réacteurs, les usines du cycle du combustible font l’objet de réexamens de sûreté périodiques où tout est passé en revue au regard des dernières données et connaissances. Par exemple, l’usine de la société FBFC qui produit du combustible à base d’uranium avait bénéficié de nombreux renforcements entre 2003 et 2008, notamment en matière de comportement aux séismes : renforcement des bâtiments, du confinement avec la mise en place d’une deuxième barrière étanche autour des conteneurs d’UF6 (Hexafluorure d’uranium), de la protection contre l’incendie… »

Au programme en 2012
Après les ECS, les conclusions des GPE et les décisions prises par l’ASN début 2012, chaque exploitant proposera une définition pratique, précise et concrète des équipements à mettre en place.
Un calendrier de mise en œuvre, tenant compte de la sensibilité particulière de certains sites, devra être proposé. « Les exploitants ont pris un certain nombre d’engagements dans leurs dossiers, qu’ils doivent aujourd’hui mettre en œuvre », rappelle Daniel Quéniart.
Caroline Lavarenne ajoute : « Les ECS ne sont que la première étape d’un long processus de retour d’expérience après Fukushima. Elles vont déboucher en France sur un renforcement de la capacité des installations à maintenir leurs fonctions fondamentales de sûreté face à des agressions nettement plus importantes que celles retenues lors de leur conception. »
Quid du côté de l’Europe et des stress tests ? Fin 2011, la France, comme chacun des États membres, a transmis à l’ENSREG (European Nuclear Safety Regulators Group, qui coordonne ce dossier pour le Conseil européen et prépare les décisions européennes) et à la Commission européenne un rapport définitif sur les évaluations complémentaires de la sûreté de leurs installations. Cette version est un peu différente dans la forme, mais identique sur le fond au rapport français. « Ce rapport sera soumis à une revue par les pairs durant le premier semestre 2012 », précise Daniel Quéniart. Avec, en filigrane, l’idée d’évoluer vers une approche commune.


Après avoir évalué ses centrales nucléaires, chaque pays d'Europe a soumis ses conclusions à l'œil averti des autorités de sûreté et appuis techniques des autres Etats membres.
Philippe Jamet, commissaire de l'ASN © V. Bourdon/ASNLe 15 septembre 2011, EDF rendait à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) les rapports relatifs à chacune de ses installations. Ces rapports répondaient aux exigences françaises des évaluations complémentaires de sûreté en même temps qu’ à celles des stress tests européens.
« Deux démarches tout à fait similaires », reconnaît Philippe Jamet, commissaire de l'ASN et également président du comité européen chargé de piloter la revue par les pairs des stress tests européens.
Avant de préciser : « L'originalité de la France aura néanmoins été, pour ses rapports nationaux, d'étendre le périmètre à l'ensemble des installations, y compris les réacteurs de recherche et, les installations du cycle du combustible, et non de se limiter aux seules centrales nucléaires. En outre, pour chaque installation, la question de la sous-traitance a dû être abordée par l'exploitant, pour répondre à une demande du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire. » En ce sens, la France a été plus loin que l’Europe.

Une revue croisée entre pairs
Le 1er janvier 2012, une nouvelle étape a commencé : celle d'une revue croisée entre pairs, exercice d'évaluation du travail des uns par les autorités de sûreté et appuis techniques des autres pays européens. A ce stade, le rapport français rédigé par l’ASN a été remis à la Commission européenne et a rejoint une pile de 17 rapports : 15 en provenance des pays de l’Union nucléarisés, dont la France, et deux de pays voisins, l'Ukraine et la Suisse.
« La participation de la Suisse et de l'Ukraine à cet exercice souligne la vision d'une Europe qui ne se limite pas aux frontières de l'Union économique », se réjouit Philippe Jamet. « La Russie, qui a réalisé une évaluation de ses installations sur la base du cahier des charges européen, avait d'ailleurs été invitée à participer à cette revue croisée, mais a finalement décliné l'offre. En outre, des auditeurs de pays non nucléarisés comme l'Autriche, le Danemark, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, la Pologne participent à la revue. »

Une analyse des dossiers papier
Emmanuel Raimond, spécialiste des accidents graves à l'IRSN - DREn pratique, le calendrier est serré : les autorités de sûreté, avec l’appui de leurs experts techniques, disposent de moins d'un mois pour relire les dossiers de leurs homologues européens et émettre des questions écrites. D'où une stratégie de répartition des tâches.
« Chaque autorité avait envoyé trois experts, chacun spécialiste d'un domaine différent : la résistance aux agressions externes comme les séismes ou les inondations, la perte des alimentations électriques ou de moyens de refroidissement des réacteurs, et la gestion d’une situation de fusion de cœur. Cela a permis de former trois groupes d'auditeurs », explique Emmanuel Raimond, spécialiste des accidents graves à l'IRSN.
« Puis, au sein de chaque groupe, nous avons formé des sous-groupes plus particulièrement responsables de trois pays, de manière à être sûrs que tous les pays seraient examinés en détail. J'avais ainsi en charge les chapitres relatifs à la gestion d’un accident dans les rapports ukrainien, roumain et slovaque. »

Des entretiens oraux
A la suite de cette première phase d'analyse sur la base des rapports papier, 80 experts des autorités de sûreté européennes se sont retrouvés au Luxembourg pour une audition de chaque autorité de sûreté nationale, du 5 au 17 février 2012. Outre les auditeurs et les audités, on comptait dans les salles de nombreux observateurs venus du Japon, d'Arménie, des Emirats arabes unis, des Etats-Unis, de Croatie ou encore des membres de l'Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
En pratique, chacune des 17 délégations a été reçue pendant deux heures et demie. Après une demi-heure de présentation, l’autorité de sûreté auditionnée disposait d'une heure pour répondre aux questions écrites qui lui avaient été adressées fin janvier par les auditeurs. Suivait une heure de discussion.
« Je suis intervenu à la fois en tant que membre de la délégation française lors de l'audition de la France par ses pairs, et comme auditeur de trois pays », résume Emmanuel Raimond. « Ces débats ont fait l’objet de compte-rendus et ont permis de compléter les rapports de revue initiés fin janvier par les sous-groupes sur la base des documents papier. »

Des visites de terrain
« Les rapports de revue établis après les auditions du Luxembourg servent de base aux visites effectués courant mars dans chacun des 17 pays participants à la revue européenne », enchaîne Philippe Jamet. Ces visites permettront d’approfondir l’examen des évaluations effectuées par les autorités de sûreté nationales et de leurs conclusions.
La visite d’une centrale nucléaire est par ailleurs programmée dans chacun des États membres. Au programme, par exemple, pour Emmanuel Raimond : la visite de centrales ukrainienne, roumaine et slovaque, au sein d’équipes pluridisciplinaires couvrant les trois domaines abordés.

Demain, une nouvelle réglementation ?
Avril a sonné l'heure de la remise du rapport de conclusion de la revue par les pairs à l'ENSREG (European Nuclear Safety Regulators Group), structure européenne regroupant les autorités nationales, qui doit approuver, ou non, ce travail, au plus tard le 25 avril, et le remettre à la Commission européenne.
« L'ENSREG doit juger du sérieux du travail et de la qualité des conclusions », résume Philippe Jamet. Et ensuite ? « Cette évaluation post-Fukushima sera l’un des éléments sur la base desquels la Commission proposera au Conseil européen un certain nombre d'initiatives dans les domaines de la sûreté et de la sécurité ».

Deux ans après l’accident de Fukushima, en France, la sûreté des installations et l’organisation en cas de crise font l’objet d’améliorations continues, s’appuyant sur les réexamens et sur le retour d’expérience. Le drame nippon a incité à envisager les risques en cas de situations hors normes.
Mars 2013. Deux ans après l’accident de Fukushima, l’approche française en sûreté nucléaire, questionnée par l’accident japonais, a été précisée sur certains aspects : il faut envisager des situations extrêmes et être capable d’y faire face. La France a audité ses installations afin d’évaluer leur résistance à des aléas extrêmes et a réexaminé son organisation de crise.
Le drame nippon soulève plusieurs questions : les installations nucléaires françaises peuvent-elles résister à des agressions naturelles de grande ampleur ? Sont-elles capables de faire face à la perte durable du refroidissement ou des alimentations électriques ? Comment répondre à des défaillances affectant simultanément toutes les installations d’un même site, alors que certains moyens de secours sont communs à deux réacteurs… ?
À la demande du Premier ministre français, François Fillon, un audit de l’ensemble des installations nationales est lancé dès mars 2011 : les évaluations complémentaires de sûreté (ECS). Les délais sont courts. En septembre 2011, les exploitants doivent avoir remis leur rapport. « Ils ont estimé si, oui ou non, leurs installations pouvaient résister à un séisme 50 % plus fort que celui retenu pour le dimensionnement de la centrale, à des crues 30 % plus fortes et à des pluies doublées », résument Karine Herviou et Caroline Lavarenne, expertes de l’IRSN chargées de l’instruction des dossiers ECS.

Intervenir sur site en 24 heures
Concernant les pertes de sources froides ou électriques, les exploitants ont évalué le délai dont ils disposeraient avant un accident grave, avec fusion du cœur, ou avant les premiers rejets. Ils ont proposé des dispositifs pour y faire face : groupe électrogène à moteur diesel d’ultime secours pour parer à une panne conjointe de l’alimentation et des groupes diesels de secours existants, pompes…
L’objectif est de gagner du temps avant l’arrivée des moyens provenant de l’extérieur du site, à savoir la force d’action rapide nucléaire prévue par EDF, qui pourrait se rendre sur tout site français en difficulté en 24 heures maximum. Celle-ci serait capable d’évaluer la situation puis de déployer ses moyens, basés dans quatre localisations sur le territoire français, en trois à cinq jours au plus.
Fin 2011, l’IRSN tirait trois conclusions de l’instruction des 85 rapports d’ECS rendus. Il soulignait en premier lieu l’existence d’écarts de conformité sur certains sites concernant des dispositions prévues pour faire face aux situations envisagées dans les ECS. Des systèmes de ventilation des groupes électrogènes à Paluel (Seine-Maritime), à Flamanville (Manche) et à Saint-Alban (Haute-Garonne) sont sous-dimensionnés en cas de séisme. « Avant de se prononcer sur la résistance en cas de phénomène ‘hors norme’, encore faut-il que les installations soient conformes à ce que prévoient les examens de sûreté », insiste Caroline Lavarenne. EDF s’est ainsi engagé à effectuer cet examen complet de la conformité des dispositions prévues pour fin 2012.
Le référentiel relatif à la perte de source électrique envisagée sur 24 heures seulement doit être revu. Celui qui concerne la perte de source froide sur 100 heures et un seul réacteur doit aussi être révisé. « L’Autorité de sûreté nucléaire a demandé aux exploitants d’identifier pour fin 2013 les référentiels à revoir », poursuit l’experte. « Il est vraisemblable que ces réflexions mèneront à augmenter les réserves en eau, en fioul…, sur chaque site. »
L’idée d’un noyau dur (ensemble de moyens matériels – générateur diesel, pompe… – et humains), prévu pour résister à des agressions extrêmement importantes, a émergé. Les exploitants ont été tenus de définir les matériels à y inclure et les exigences à y associer pour le 30 juin 2012. Les experts de l’IRSN ont effectué un travail similaire en parallèle pour préparer l’expertise. « Il fallait déterminer le niveau de séisme auquel ce noyau dur devait résister. Les sismologues et géologues ont dû tester et croiser différentes méthodes d’évaluation », explique Karine Herviou.

Le noyau dur, un dispositif de sûreté ultime pour résister aux situations extrêmes
Assurer de manière durable les fonctions de sûreté vitales, en cas de perte totale des sources froides ou de l’alimentation électrique, à la suite d’une agression hors norme, tel est l’objectif du noyau dur. Zoom sur le processus en cas d’accident.
Le noyau dur, un dispositif de sûreté ultime pour résister aux situations extrêmes 

Deux cellules de crise créées
Le drame japonais est intervenu alors qu’une organisation de crise renforcée était sur le point d’être mise en place à l’IRSN. « L’adoption de celle-ci a été reportée, afin d’y inclure le retour d’expérience de Fukushima », explique Didier Champion, directeur de la crise à l’Institut. « Deux nouvelles cellules de crise ont été créées : l’une, chargée des personnes exposées et des questions sur les risques pour la santé, et l’autre, qui organise une surveillance adaptée de la radioactivité en France métropolitaine et dans les Drom-Com, en cas d’accident. »
Les événements de mars 2011 ont souligné l’importance de la cellule communication à l’IRSN. Cette dernière a dû faire face à une forte demande des médias, mais aussi des élus et des commissions locales d’information. Un interlocuteur sera désormais dédié à l’information de l’ensemble d’entre eux.

Vingt balises en plus
L’accident de Fukushima a accéléré la mise en œuvre de nouveaux moyens par l’IRSN, en particulier une capacité de modélisation inverse. Grâce à cette dernière, il est possible de déterminer le rejet radioactif à partir de valeurs relevées par des balises de télémesure du rayonnement. « Cette méthode permet d’évaluer le terme-source [1] bien plus vite qu’en procédant à des prélèvements puis des mesures », explique Didier Champion. « Pour améliorer les performances de cette méthode, l’IRSN prévoit qu’en cas d’accident une vingtaine de balises seraient disposées rapidement sur le terrain afin de renforcer la densité des points de surveillance. »
Avoir connaissance des rejets dans les meilleurs délais aide à prendre des mesures immédiates de protection des populations. De nouveaux moyens de mesure permettent, ou permettront à court terme, de réaliser des cartes de dépôt des radionucléides relâchés lors d’un rejet. Cette cartographie est indispensable pour définir les zones contaminées. Elle sert aussi à mettre en place les actions de protection des populations et de gestion des territoires : éloignement des populations, restriction de la consommation de denrées contaminées… Le dispositif Marcassin, spectromètre gamma porté par un quad et testé en 2012 à Fukushima, cartographie les multiples radionucléides à l’échelle de parcelles. Ulysse, spectromètre embarqué dans une voiture, et bientôt dans un avion, est quant à lui destiné à des relevés à grande échelle.
Les exercices internes pour entraîner les équipes de crise de l’IRSN se sont diversifiés pour faire face à des situations de grande ampleur : capacité d’établir un programme de mesure dans des délais ; entraînement des laboratoires à analyser en urgence des échantillons de composition inhabituelle et complexe ; test de capacité de mesure à l’aide de moyens mobiles.
L’Institut va proposer au Codirpa [2] des scénarios d’accidents avec des rejets plus importants et plus longs. Ils permettront d’éprouver et d’adapter les éléments de doctrine de gestion post-accidentelle publiés par l’ASN, en les confrontant à des situations plus complexes que celles considérées jusqu’à présent.

A l’étranger : renforcer les installations en Europe
Dès 2011, l’Europe se lançait dans l’analyse de la robustesse de ses installations nucléaires. Quelles conclusions en a-t-elle tirées ? « Aucune autorité de sûreté n’a jugé nécessaire de fermer immédiatement un site. Mais toutes considéraient que la robustesse des installations devait être accrue », résume Philippe Jamet, commissaire de l’Autorité de sûreté nucléaire et président du comité européen chargé de piloter la revue par les pairs des stress tests. « Quatre recommandations étaient émises en avril 2012 : harmoniser les méthodes de détermination des événements extrêmes ; mettre en œuvre les améliorations en confinement découlant de l’accident de Three Miles Island (Etats-Unis) ; réévaluer périodiquement la sûreté ; renforcer les sites par des équipements mobiles et des équipes de secours. »
Chaque pays membre a été tenu d’élaborer un plan d’action national. Ont suivi des échanges entre pairs au premier trimestre 2013. « Cet exercice est une préparation européenne à l’édition 2014 de la réunion de la convention internationale sur la sûreté où l’ensemble des États présentera l’état de sûreté de son pays et les enseignements tirés de Fukushima », remarque Philippe Jamet.


3 questions à Sophia Majnoni, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France
La société civile a-t-elle suffisamment été informée au moment du drame de Fukushima ?L’IRSN a réalisé un travail de pédagogie et d’information important et inédit. Sans chercher à être rassurant, il a eu le courage de prendre position pour une évacuation plus large que celle ordonnée par les autorités japonaises.
Et sur les stress tests ?
La France a fait un effort de transparence notable à l’échelle européenne. Nous regrettons néanmoins le refus d’intégrer des spécialistes non institutionnels aux équipes. Nous avons cependant bénéficié d’un niveau d’échanges avec l’Autorité de sûreté nucléaire et l’IRSN. Selon un de nos contre-experts américain, cela aurait été inenvisageable aux États-Unis.
Le dialogue avec les experts vous paraît-il parfois difficile ?Il est dommage que la transparence s’arrête au bord de certains sujets sensibles, comme les chutes d’avions ou la recherche, pour les gaines de combustibles, d’alliages alternatifs au zirconium, qui génère des dégagements d’hydrogène. La non-publication des documents d’étude empêche la contre-expertise critique et la montée en compétence de la société civile.


Les évaluations complémentaires de sûreté (ECS) conduites après l’accident de Fukushima ont permis d’identifier des améliorations à apporter aux usines, aux réacteurs expérimentaux et aux laboratoires nucléaires pour résister à des situations extrêmes.
« Dans nos usines de retraitement, d’enrichissement de l’uranium, de fabrication de combustibles ou d’assemblages – comprenant du plutonium recyclé –, des dispositions sont prises pour être mieux à même de prévenir et de gérer un accident grave survenant sur plusieurs installations », indique Jean Riou, inspecteur général de la sûreté chez Areva. « Ceci pour un niveau d’agression naturelle externe au-delà de celui pris en compte dans leur dimensionnement. Nous allons créer de nouveaux centres de crise, plus performants que ceux existants, sur chacun de nos sites. Une force d’intervention nationale d’Areva sera aussi mise en place. Elle sera capable, dans les 48 heures, de renforcer les moyens du site impacté. »
Le CEA et l’Institut Laue-Langevin (centre de recherche en sciences et technologies neutroniques, situé à Grenoble) ont également identifié des améliorations à apporter à leurs installations.
Les ECS ont permis d’expertiser le comportement des installations françaises à des aléas extrêmes – inondations, séismes… En septembre 2011, les exploitants ont remis une première série d’orientations. Quinze sites étaient concernés. Leur examen par l’IRSN a abouti à des recommandations complémentaires. Une seconde série de rapports a été transmise mi-2012. Elle a fait l’objet d’une instruction par l’Institut, avec des conclusions présentées en avril 2013.
L’Institut a estimé que les propositions de "noyaux durs" [1] ont pour objectif d’accroître le niveau de résistance des installations, en cas d’agression naturelle extrême ou de pertes de fonctions vitales sur une longue durée pouvant conduire à des rejets majeurs dans l’environnement. Ces dispositifs doivent être ponctuellement renforcés, par exemple pour prendre en compte des inétanchéités des piscines, des scénarios d’incendie multiple, des moyens de limiter le relâchement de matière.
Quant aux équipements, ils doivent répondre à des exigences élevées pour garantir leur capacité à assurer leurs fonctions face à des agressions extrêmes. Les aléas retenus par l’Institut pour ceux-ci doivent être justifiés, sur la base d’une approche scientifique, et aller de façon significative au-delà des référentiels de dimensionnement initial des installations.

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