vendredi 1 janvier 2016

La nature déboussolée par un hiver si doux


Cerisiers en fleurs à Berlin, le 22 décembre.

Dans les jardins, les champs et les forêts, cette fin du mois de décembre a des airs de printemps. Il n’est pas rare de croiser, en région parisienne, des cognassiers du Japon, des forsythias ou des pruniers pourpres en fleurs, et dans le sud, des amandiers ou des mimosas aux efflorescences tout aussi précoces. Autant de signes d’un cycle de la nature perturbé, alors que se clôt une année 2015 qui bat de nouveaux records de température.

Noël a été le second le plus chaud, derrière 1997, depuis le début des relevés météorologiques en 1880, avec presque 11 °C de moyenne en France le 25 décembre.
Sur les mois de janvier à novembre, l’année qui s’achève est aussi en tête des années les plus chaudes, devant 2014, 2010, 2013, 2005 et 2009 – quatorze des quinze années les plus chaudes se situant au XXIe siècle. En cause, un épisode El Niño particulièrement puissant, un phénomène océanique et atmosphérique dont l’effet s’ajoute à la tendance lourde du réchauffement dû aux émissions humaines de gaz à effet de serre.

« Il ne faudrait pas que cette douceur dure quinze jours de plus »

Sensible à cette élévation du mercure, la végétation ne s’est pas encore entièrement plongée dans sa phase de dormance caractéristique de la saison hivernale. En Alsace, un jardinier amateur raconte à l’Agence France-Presse avoir récolté, le 23 décembre, un kilo d’asperges fraîches, presque quatre mois avant la saison habituelle, et tout aussi goûteuses qu’au printemps.
Dans le Lot-et-Garonne, les salades ont un mois d’avance. En banlieue parisienne, on trouve dans les jardins des framboises mûres. Et en Dordogne, les « fraises du Périgord » rougissent sous des serres ouvertes, sans protections thermiques, alors que ces fruits estivaux – mara des bois, charlotte, cirafines – cessent habituellement leur cycle de production mi-novembre.
« Pour l’instant, il n’y a rien de dramatique, mais il ne faudrait pas que cette douceur dure quinze jours de plus », estime Charlie Gautier, producteur de pommes dans la Sarthe, et vice-président de la Fédération nationale des producteurs de fruits.
Car les arbres fruitiers ont besoin de froid pour développer leurs fruits, une période de dormance qui nécessite environ 800 heures de basses températures pour les abricotiers et les pêchers, ou 1 200 à 1 500 heures pour les pommiers, selon M. Gautier. Il ne faudrait pas non plus que les fruitiers, réchauffés, bourgeonnent trop tôt, auquel cas les gelées plus tardives risqueraient de réduire à néant toute promesse de fruits.


Une productrice de fraises dans le Périgord, à Cendrieux, le 29 décembre.

Un risque d’épuisement

Dans les forêts aussi, les montées de sève, très sensibles aux températures, sont au rendez-vous. D’éventuelles fleurs, tuées par le gel, y auraient moins de conséquences : « 2016 serait une année sans graines, note Régis Alain, responsable forêt de l’ONF (Office national des forêts) à Fontainebleau (Seine-et-Marne). Mais en forêt, on est sur des cycles longs, donc ce ne serait pas trop gênant. »
Il y a peu de risques que les feuilles sortent dès aujourd’hui, les jours étant trop courts. Mais si la douceur de l’hiver se maintient, elles pourraient se déployer trop tôt, dès février ou mars, et seraient alors exposées aux températures négatives, qui les feraient tomber. « Les arbres devraient alors faire une seconde poussée de feuilles, sans l’avantage de leur fonction chlorophyllique, ce qui est très énergivore et augmenterait leur mortalité, par épuisement », explique Régis Alain. Autre risque de cette douceur hivernale : les larves d’insectes, habituellement tuées par le froid, survivent davantage et dévorent les pousses et les jeunes arbres.
A l’image de la flore, les insectes aussi sont quelque peu déboussolés. Les abeilles par exemple, habituellement en hivernage en cette saison, sortent de leurs ruches, volent, butinent les quelques fleurs qui poussent encore. Celles du romarin par exemple, observe Henri Clément, porte-parole de l’Union nationale de l’apiculture française. L’arbrisseau aromatique n’a pas cessé de fleurir dans la garrigue proche de Montpellier où il a des ruches. Mais ses fleurs sont pauvres en nectar, et trop rares pour soutenir l’activité des colonies. De plus, « la floraison est étalée sur presque toute l’année, au lieu d’être intense au bon moment, quand les butineuses sortent au printemps », s’inquiète-t-il.
Christian Pons, un autre apiculteur près de Montpellier, craint de son côté la multiplication d’un parasite redouté des colonies d’abeille, le varroa, qui se fixe sur leurs larves, et pourra continuer à prospérer cet hiver. Car les reines n’ont quasiment pas cessé de pondre, au lieu de se reposer et de reprendre leur ponte en février ou mars. « Les colonies s’épuisent, elles maintiennent leur activité et se multiplient alors que le froid peut encore frapper et qu’il n’y a pas assez de nectar pour les nourrir, elles consomment leurs réserves… Nous devons être très vigilants à leur apporter des compléments pour éviter qu’elles ne meurent de faim », explique encore Henri Clément. En somme, les abeilles, dont la population s’effondre déjà à un rythme effréné dans le monde, se trouvent perturbées, et finalement fragilisées par ce réchauffement.

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