dimanche 13 octobre 2013

Anticoagulant Pradaxa : ce qu'on lui reproche

Erwan Lecomte
Par 
Sciences & Avenir

Les familles de personnes âgées décédées ont porté plainte contre le labo Boehringer Ingelheim commercialisant le Pradaxa.

CAILLOTS. Nouveaux développements dans l'affaire de l'anticoagulant de nouvelle génération (NACO) Pradaxa, prescrit pour empêcher la formation de caillots dans les vaisseaux sanguins. Les familles de quatre personnes âgées décédées début 2013 et qui prenaient le médicament ont décidé de porter plainte contre le laboratoire allemand Boehringer Ingelheim qui le commercialise.
Les plaignants visent aussi l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, ex Afssaps) à qui il est notamment reproché d'avoir méconnu les principes de précaution et de prévention, a précisé Me Philippe Courtois qui appelle toutefois à "ne pas arrêter son traitement sans avis médical".

Une nouvelle génération de molécules

Alors, y a-t-il un scandale Pradaxa ? Ce médicament est en effet soupçonné de provoquer de graves hémorragies internes. L'accusation avait été révélée le vendredi 20 septembre 2013 par la diffusion sur l'antenne de France Info du témoignage d'un homme hospitalisé en urgence après avoir subi pareille mésaventure.
"BOMBE À RETARDEMENT". En fait, le Pradaxa n'est pas le seul médicament dans le collimateur.Dans un communiqué particulièrement alarmiste, le syndicat des jeunes biologistes médicaux pointait du doigt tous les anticoagulants oraux, n'hésitant pas à les qualifier de "bombe à retardement" et d'évoquer le risque d'un prochain scandale de la même ampleur que celle du Médiator.
Actuellement, il existe deux anticoagulants oraux sur le marché : le Pradaxa et le Xarelto. Tous deux sont prescrits pour la prévention des accidents emboliques liés à la "fibrillation atriale" (un trouble du rythme cardiaque). Le Xarelto est également prescrit pour traiter les thromboses veineuses profondes ainsi que l'embolie pulmonaire. Deux nouveaux médicaments sont également attendus d'ici peu : l'Apixaban et l'Edoxaban. Ces nouveaux anticoagulants oraux constituent une génération nouvelle de molécules thérapeutiques, commercialisés en Europe depuis 2008, et en France depuis 2012. "Sur le der­nier tri­mestre 2012, parmi les 100 000 patients entre­pre­nant un trai­te­ment anti­coa­gu­lant, 57 % se sont vus pres­crire un NACO en pre­mière inten­tion" chiffre le Syndicat des jeunes biologistes médicaux sur son site.

En trois points, les doléances des médecins biologistes

Ce que leur reproche le Syndicat des jeunes biologistes ? Trois choses :
  • Leur prix trop élevé : "Le coût men­suel du trai­te­ment par NACOs (nouveaux anticoagulants Oraux) est de 76 € à com­pa­rer aux 12.5 € en moyenne" pour les traitement anticoagulants plus anciens à base d'antivitamine K (AVK), chiffrent-ils.
  • Leur prescription "injustifiée" à des patients qui supportent bien ces traitements plus anciens. 
     Le syndicat des jeunes biologistes médicaux chiffre à 35 000 patients le nombre de patients qui auraient ainsi changé de traitement, avec parmi eux 35 % de per­sonnes âgées de plus de 80 ans.
  • Mais surtout un risque potentiellement supérieur de ces nouveaux traitements. En effet, un dosage trop important d'anticoagulants entraîne un risque important d'hémorragie interne. Avec les anciens traitements, il suffit dans ce cas d'injecter de la vitamine K pour annuler l'effet du médicament. En revanche, en ce qui concerne les nouveaux anticoagulants oraux, "il n’existe pas d’antidote per­met­tant, d’en neu­tra­li­ser l’effet en cas d’hémorragie !" s'alarment les biologistes.
Le syndicat aurait donc fait part, dans un courrier, de ces inquiétudes auprès du ministère de la Santé. Ces éléments portent-ils en eux les germes d'une scandale sanitaire de grande ampleur tels que celui du Médiator ? Pas forcément. 

De nombreuses études préalables

Rappelons tout d'abord que le Médiator était un médicament antidiabétique dont les effets secondaires contre la prise de poids ont conduit à sa prescription en dehors de son champ thérapeutique. Ce qui n'est nullement le cas de ces nouveaux anticoagulants oraux.
"ANTIDOTE". Ensuite, il est vrai qu'il n'existe pas "d'antidote" à ce médicament. Comme c'est d'ailleurs le cas pour de nombreux autres médicaments. Mais cet élément ne constitue pas à lui seul une preuve de leur dangerosité.
De plus, "les NACO ont fait l'objet d'études de grande ampleur qui ont montré une efficacité équivalente à celle des antivitamines K pour la prévention des risques thrombo-emboliques" assure le docteur Serge Kownator, cardiologue à Thionville. "Ces études ont même montré que les NACO n'entrainent pas un risque d'hémorragies plus élevé. bien au contraire, le risque d'hémorragie graves intracrâniennes s'avère inférieur" affirme-t-il.

Mais un risque non négligeable

Toutefois, l'ANSM rappelle fort à propos que les anticoagulants, quels qu'il soient, ne sont pas des médicaments anodins. "Les essais cliniques et l'expérience après la mise sur le marché ont démontré que les évènements hémorragiques majeurs, y compris ceux ayant entraine une issue fatale, ne concernent pas seulement les antagonistes de la vitamine K mais sont aussi un risque important associés à l'utilisation des nouveaux anticoagulants oraux" explique, dans un communiqué récent, l'agence nationale du médicament et des produits de santé.

Faut-il arrêter son traitement ?

Faut-il alors arrêter du jour au lendemain son traitement anticoagulant du fait du risque d'hémorragie ? Surtout pas ! Le Dr Serge Kownator, auquel nous avons posé la question, conseille aux personnes qui prennent ces traitements d'en discuter avant tout avec leur médecin, précisant qu'un arrêt brutal peut faire courir un grave risque d'accident embolique. Me Philippe Courtois, avocat des familles ayant porté plainte, l'a d'ailleurs rappelé lors d'une intervention à l'AFP, comme vous avez pu le lire plus haut.
POSOLOGIE. En effet, seul un professionnel de santé est à même de juger, en fonction du risque hémorragique du patient et des éventuelles interactions médicamenteuses, du traitement le mieux adapté et de sa posologie. Mais en cas de toute, n'hésitez pas à multiplier les avis cas, comme le rappelle l'ANSM, "tous les prescripteurs ne sont pas suffisamment informés de la prise en charge des risques hémorragiques telle que recommandée dans les résumés des caractéristiques du produit".

Une histoire de gros sous ?

Reste enfin l'argument financier avancé par le Syndicat des jeunes biologistes médicaux. "À l’heure où toute ligne de dépense de santé se doit d’être jus­ti­fiée, les prix accor­dés et rem­bour­sés par l’Assurance vis-à-vis des NACOs sont par­fai­te­ment déme­su­rés" s'insurgent-ils, préconisant plutôt l'utilisation des "anciens" traitements à bases d'antagonistes de la vitamine K. 
LABORATOIRES. Des traitements certes 6 fois moins chers, mais bien plus contraignants puisqu'ils nécessitent des prises de sang régulières. Selon l’Afssaps, les contrôles doivent être pratiqués tous les 2 à 4 jours jusqu’à stabilisation de l’INR (un test de coagulation sanguine), puis avec un espacement progressif jusqu’à un intervalle maximal d’un contrôle par mois. Des prises de sang réalisées et effectuées par... des laboratoires de biologie.
Selon l'ANSM, on peut estimer à plus d'un million le nombre de patients traités en France par antivitamines K en 2011. Ce qui fait un sacré nombre de piqûres à facturer. Il est louable que le Syndicat des jeunes biologistes médicaux s'inquiète des tarifs très élevés de ces nouveaux traitements qui se prennent sans qu'il soit nécessaire de surveiller par des prises de sang régulière leur activité anticoagulante, et de leur coût sur la sécurité sociale. Mais peut-être n'est-ce pas là leur seule motivation.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire