Après plus de cinq ans de recherche, c'est un nouveau travail colossal que vient d'achever le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). Ce vendredi, à Stockholm, il dévoile les premières conclusions de son cinquième rapport, un point d'étape crucial sur l'état des connaissances scientifiques. L'organisme, sous l'égide des Nations unies, pointe plus que jamais le rôle des activités humaines dans l'augmentation tant des températures moyennes que dans celles des phénomènes climatiques extrêmes. Valérie Masson-Delmotte est l'une des 800 scientifiques mobilisés sur le sujet. Cette climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement* a supervisé le chapitre consacré aux changements climatiques du passé. Elle nous explique les enjeux de la rencontre entre scientifiques et politiques ainsi que les dernières découvertes sur le climat.
Vous êtes réunis entre scientifiques et représentants de 110 pays depuis lundi à Stockholm. En quoi votre travail a-t-il consisté ces derniers jours ?
L'enjeu était de se mettre autour de la table pour approuver, mot par mot, "le résumé pour décideurs" (
lien en anglais) par l'assemblée des délégués des différents pays. Ce résumé d'une trentaine de pages est épuré des figures (NDLR : graphes, cartes, etc.), mais reste technique. Il s'agit d'aller à l'essentiel. Chaque mot ayant un impact, ils doivent être choisis avec précision. Le document doit ensuite servir de base scientifique commune entre les pays (pour aider à la décision politique, NDLR).
N'y a-t-il pas une tentation pour le personnel politique d'influencer le résultat des recherches des scientifiques ?
Cette phase donne effectivement lieu à des échanges intéressants, car l'agenda politique de chaque pays n'est pas le même. Ce n'est pas une censure, c'est d'abord un travail de décodage : ce que l'on dit est-il bien compris par les politiques, et vice-versa ? Le consensus sur ce résumé ne porte donc pas sur nos résultats, mais sur la manière de dire les choses. Même s'il est vrai que certains aimeraient atténuer le constat, mettre en avant les incertitudes, alors que d'autres mettraient bien sous le tapis les aspects qui rappellent la complexité du système climatique.
Sur place, j'ai été frappée de voir s'exprimer un monde très multipolaire. Nous, scientifiques, travaillons sur le climat de la planète, mais eux représentent la planète humaine. Le fait que le document soit approuvé par des pays aussi différents que l'
Allemagne, l'
Arabie saoudite, le
Brésil et la Chine est un véritable atout pour les discussions entre États.
Quelles sont les grandes lignes, ce qui est confirmé, ce qui est nouveau par rapport aux précédents rapports ?
Le rapport de 2007 affirmait déjà le rôle déterminant des activités humaines sur le climat et l'élévation des températures. Aujourd'hui, ce constat est beaucoup plus fin, clair et précis. À l'échelle de plusieurs décennies, que ce soit sur l'élévation du niveau des mers, la fonte de la banquise et des glaciers, le réchauffement des océans en profondeur ou certains événements extrêmes, l'homme est la cause principale de tous ces changements sans équivoque.
Sur l'évolution des trajectoires des températures, plusieurs scénarios sont toujours possibles d'ici à 2100, en fonction de la composition atmosphérique. Deux chiffres importants sont à retenir : de + 2 °C en cas de fortes diminutions de nos gaz à effets de serre à + 4 °C en cas de poursuite des rejets actuels. Quant à l'élévation du niveau des mers, elle est actuellement de 3 mm par an, après s'être accrue de 20 cm au XXe siècle. Dans les scénarios les plus hauts, l'élévation totale pourrait atteindre à la fin du siècle un mètre par rapport à l'ère préindustrielle.
Sur un rapport final de 1 000 pages, évidemment, nous ne sommes jamais à l'abri d'une erreur. Le processus de relecture a été revu, les éditeurs doivent vérifier la bonne prise en compte des commentaires, en les validant ou en les rejetant. Il est aussi plus facile d'apporter des correctifs.
Avez-vous identifié plus clairement l'origine de ce qu'on appelle la "pause climatique" ?
Il y a bien un ralentissement du réchauffement du climat depuis une quinzaine d'années. Plusieurs éruptions volcaniques et une baisse de l'activité du Soleil ont joué un rôle dans ce tassement de la hausse des températures, mais à la marge. La cause principale est à chercher dans les océans, où la chaleur s'accumule en profondeur.
Concrètement, nous perturbons le climat en renforçant l'effet de serre, en emprisonnant de l'énergie plutôt qu'en la renvoyant vers l'espace. Il faut savoir que 93 % de cette énergie ainsi prisonnière est stockée en réchauffant les eaux maritimes, 3 % réchauffe les sols, 3 % est consommée dans la fonte des glaces et 1 %, uniquement, est stockée à travers le réchauffement atmosphérique. Vous voyez donc bien qu'une toute petite variation des échanges d'énergie entre océans et atmosphère peut jouer un rôle important d'une décennie à l'autre. Nous n'avons aucun contrôle sur ce mécanisme de variabilité interne du climat. Mais quand on regarde à l'horizon de trente ans, tous les scénarios montrent un réchauffement atmosphérique.
Si nos modes de développement ne changent pas, le pire est donc toujours à craindre, mais plutôt pour après-demain ?
Les perturbations liées aux gaz à effet de serre ont une durée de vie longue, de l'ordre du millénaire, tout comme est longue la réponse du climat. C'est donc un problème que l'on va se transmettre en héritage, d'une génération à l'autre. La question du climat est universelle, car elle concerne tous les habitants de la planète.
* Unité mixte de recherche associant le CNRS, le CEA et l'université Versailles-Saint Quentin.
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