samedi 31 janvier 2015

Le « devoir de vigilance » des entreprises renvoyé à plus tard

L’inscription dans la loi du « devoir de vigilance » des multinationales à l’égard de leurs filiales et de leurs sous-traitants a été renvoyée à plus tard lors de l’examen, jeudi 29 janvier, de la proposition de loi (PPL) déposée par Europe Ecologie-Les Verts.

Pour le secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, Matthias Fekl, qui représentait le gouvernement lors des débats parlementaires, ce report, au plus tard à la fin du mois de mars, doit permettre de consolider juridiquement le texte proposé.
« Le gouvernement partage le diagnostic et les objectifs de cette proposition de loi, a-t-il expliqué, (…) mais certaines questions juridiques et techniques devraient être précisées. »
Le texte proposait notamment de modifier le code civil et le code pénal en créant un régime de responsabilité en cas de survenance d’un dommage dans le cadre d’activités économiques ou commerciales d’une société.
« Au-delà du devoir de vigilance, il s’agit d’inscrire dans la loi une responsabilité pénale du donneur d’ordre, d’une obligation de moyens dont doit se doter la société pour contrôler sa chaîne de production et de fournitures et de permettre d’ouvrir des droits à réparation pour les victimes de drames ou de catastrophes », fait valoir Danielle Auroi (EELV, Puy-de-Dôme), rapporteure de la PPL.

Sanctions civiles et pénales

Quand une entreprise ne pourra pas justifier avoir pris les mesures nécessaires de prévention ou qu’elle ne pourra pas prouver qu’elle ne pouvait pas être informée de ces dommages potentiels, le juge pourra appliquer des sanctions civiles ou pénales.
Cette « charge de la preuve » et la mise en place de sanctions déplaisaient fortement au patronat.
Pour certains, comme les organisations non gouvernementales qui ont été associées aux débats et à la préparation de la PPL, regroupées notamment au sein du Forum citoyen pour la responsabilité sociale des entreprises (RSE), le gouvernement a cédé au lobby patronal.
La contrainte qu’instaure ce « devoir de vigilance » est mal vécue par le Medef. Dans un courrier interne de début janvier, l’Association française des entreprises privées (AFEP) indique que « l’approche par la sanction telle qu’envisagée, et compte tenu des difficultés juridiques qui l’entourent, conduirait immanquablement à la judiciarisation des relations entre parties prenantes sans répondre aux objectifs poursuivis. »
Cet argument a été repris tel quel à la tribune de l’Assemblée nationale, jeudi, par le député UMP des Yvelines, Jean-Marie Tetart, qui s’est inquiété du « niveau de contrainte qui pèserait sur les entreprises », de cette « épée de Damoclès pesant sur la confiance des entreprises ».
Bien que se déclarant favorables au texte proposé, les députés socialistes ont finalement rejoint la proposition du gouvernement de renvoyer la PPL en commission.
En novembre 2013 pourtant, le groupe Socialiste, républicain et citoyen (SRC), comme le groupe écologiste, avait déposé cette même PPL, suivi, en février 2014, par le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP) et, en avril 2014, par la Gauche démocrate et républicaine (GDR).

« Lobbying du patronat »

Ce consensus n’a pas résisté à la volonté du gouvernement de prendre plus de temps. « Il faut quelque chose de stable juridiquement et amender ce texte trop compliqué, il faut le réécrire et nous espérons pouvoir déposer une nouvelle proposition avec les écologistes », a estimé Anne-Yvonne Le Dain (PS, Hérault), qui a déposé la motion de renvoi.
Mais certains, parmi les parlementaires socialistes, ont exprimé leur inquiétude. Philippe Noguès (PS, Morbihan), l’un des auteurs du texte de la PPL, a dénoncé le « lobbying du patronat », redoutant que « cette loi ne tombe dans les limbes et n’en sorte pas. »
« Il faut que la proposition de loi aille jusqu’au bout, qu’elle puisse être débattue par l’Assemblée, cela n’a aucun sens de renvoyer ce texte. Nous vous laissons la responsabilité de rejeter un texte que vous avez vous-même soutenu », a répondu, au représentant du gouvernement, Barbara Pompili, présidente du groupe écologiste.
Sans attendre, quatre syndicats qui soutenaient la proposition de loi, la CGT, la CFDT, la CGE-CGC et la CFTC, ont demandé, jeudi, au ministre de l’économie un rendez-vous pour discuter du nouveau texte.
Les ONG ont annoncé, elles, que plus de 130 000 personnes avaient signé la pétition « Rana Plaza, Bhopal, Erika : halte à l’impunité des multinationales », lancée par la plate-forme citoyenne Avaaz.

Les Français favorables à la responsabilité juridique des entreprises

A l’appui de leur démarche, ces associations peuvent se prévaloir d’un soutien de l’opinion publique.
« Une large majorité de Français estime que les multinationales doivent être tenues pour responsables juridiquement des catastrophes humaines et environnementales provoquées par leurs sous-traitants, comme celle du Rana Plaza au Bangladesh », selon un sondage CSA commandé par le Forum citoyen pour la responsabilité sociale des entreprises (RSE), publié mardi 27 janvier.
Cette enquête a été réalisée par internet du 20 au 22 janvier auprès d’un échantillon de 1 000 personnes.
Près de deux ans après l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza à Dacca, qui avait tué 1 135 ouvriers du textile et blessé plus de 2 000 autres, 91 % des personnes interrogées estiment que les grandes marques qui y faisaient produire des vêtements devraient être obligées d’indemniser les blessés et familles de victimes.
Ils sont également une très grande majorité (95 %) à penser que ce type de catastrophe humaine ou de catastrophe environnementale massive comme la marée noire de l’Erika, « pourraient être évitées » si les multinationales prenaient davantage de précautions.
Et 76 % des Français estiment qu’il n’est « pas justifié » qu’une multinationale ne puisse être tenue pour responsable devant la justice des accidents graves provoqués par ses filiales ou ses sous-traitants.

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