mercredi 8 avril 2015

Gaz de schiste: le mythe d'une exploitation «propre»

DÉCRYPTAGE

«Le Figaro» a exhumé un rapport vantant une exploitation alternative à la fracturation hydraulique. Un document très orienté et qui fait fi de la lutte contre le réchauffement climatique.

Le débat sur les «gaz de schiste écologiques» refait surface, après la publication mardi par le Figaro d’un rapport commandé en 2012 par l’ex-ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg et écarté par le gouvernement. Il vante une technique d’exploitation alternative à la très polluante fracturation hydraulique, interdite en France par la loi Jacob de 2011. Et promet la création de 120 000 à 225 000 emplois sur trente ans, ainsi qu’une relance de la croissance. Sauf que ces éléments sont largement orientés et erronés. Et qu’ils occultent la nécessité de devoir laisser la plupart des énergies fossiles dans le sol si l’on veut pouvoir préserver un climat vivable pour l’humanité.

D’où sort ce rapport?

Arnaud Montebourg n’a jamais caché son amour des gaz et pétroles de schiste. Il n’a cessé, tout au long de son passage au gouvernement, de tenter de rouvrir la porte fermée depuis la loi de 2011. Reprenant, au passage, l’argumentaire des industriels, qui ont échoué à faire censurer cette loi. L’idée est de rendre acceptables ces énergies fossiles via l’expérimentation de techniques alternatives à la fracturation hydraulique, qui reste la seule disponible à ce jour. Les industriels n’ont de cesse de réclamer la création d’une commission chargée d’étudier la possibilité d’une expérimentation sur les gaz et pétrole de schiste, prévue par l’article 2 de la loi de 2011, mais jamais constituée.
En janvier 2014, le Canard enchaîné évoquait déjà la volonté de Montebourg de publier après les municipales de l’an dernier un rapport défendant une nouvelle technique expérimentale «propre» d’exploitation des hydrocarbures de schiste. Et en dévoilait les grandes lignes, largement inspirées d’un rapport parlementaire pro gaz de schiste de novembre 2013.
Le gouvernement ayant à plusieurs reprises refusé de rouvrir la porte au gaz de schiste et considérant que l’alternative proposée par le rapport «n’apporte pas de solution», celui-ci n’avait pas été publié. Reste à savoir pourquoi il resurgit aujourd’hui. «C’est un tuyau percé, un coup de communication du lobby, c’est tout. Le rapport n’a pas été enterré, il était connu du petit milieu qui s’intéresse à cela», remarque l’avocat en droit de l’environnement Arnaud Gossement. Et d’ajouter : «On est en plein dans la réforme du code minier, le lobby essaie de faire revenir les gaz de schiste par ce moyen. Et pour cela, il tente d’habituer le public à l’idée qu’il existerait des alternatives à la fracturation hydraulique.»

Quelle est donc cette technique au fluoropropane?

Il s’agit en fait d’utiliser de l’heptafluoropropane ou NFP (non flammable propane), un liquide employé comme propulseur dans des inhalateurs contre l’asthme ou dans les extincteurs. Il est notamment produit par le chimiste franco-belge Solvay.
L’idée de s’en servir pour fracturer la roche à la recherche de gaz et pétrole de schiste est vantée par la société texane eCorpStim, qui a par ailleurs contribué au rapport publié par le Figaro, comme il est écrit page 7 de celui-ci. Le NFP permettrait de ne pas utiliser d’eau et peu, voire pas de produits chimiques. Contrairement au propane, il est non inflammable.
Sauf que cette technique n’a jamais été testée pour fracturer la roche en conditions réelles. Voici ce qu’en dit Ségolène Royal dans un communiqué publié mardi et intitulé Débat sur le gaz de schiste : quelques repères: «C’est une technologie qui n’est pas mature et sans retour d’expérience. Le principe reste toujours la fracturation de la roche-mère. L’eau est remplacée par de l’heptafluoropropane, une molécule dont le potentiel de réchauffement climatique est 3000 fois celui du CO2. En cas de fuite, l’effet sur le climat serait catastrophique. Contrairement à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels, il est toujours nécessaire de multiplier les forages et les stimulations pour exploiter les gaz et les pétroles de schiste. Même si les puits sont de qualité, cela augmente le risque de pollution du sous-sol et des nappes phréatiques, au cours de la phase d’exploitation.»
Et voici ce qu’en dit le rapport parlementaire de novembre 2013, pourtant favorable aux gaz de schiste, page 26 : «Comme le propane, l’heptafluoropropane est onéreux. Pour que l’exploitation soit économiquement rentable, il faudrait que ce coût soit compensé par les gains de productivité réalisés, et par les économies faites sur les additifs chimiques ou le transport. Le caractère récupérable du gaz injecté est un facteur très important d’économie. (…). Si le NFP est sans danger pour la couche d’ozone, il n’est pas sans danger pour le climat.»

Quid des emplois, de la croissance?

Selon le rapport commandé par Arnaud Montebourg, les gaz et pétrole de schiste représenteraient «une manne d’au moins 100 milliards d’euros pour la France» et leur exploitation «créerait entre 120 000 et 225 000 emplois», le tout sur trente ans. Mais plusieurs économistes ont déjà démontré qu’il s’agit là d’une extrapolation de ce qui se passe aux Etats-Unis, qui ne tient pas compte des spécificités françaises et européennes, à commencer par le fait que notre territoire est beaucoup plus densément peuplé et ne pourrait supporter autant de puits. L’économiste Thomas Porcher expliquait à Libération en 2013 pourquoi exploiter les gaz de schiste en France n’entraînerait pas de gains économiques pour la population, notamment car l’expérience américaine n’est pas transposable. Et Thomas Spencer, coauteur d’une étude publiée en février 2014 par l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), soulignait aussi à Libération qu’il serait très exagéré d’y voir l’origine d’un miracle économique.
Lors d’un débat sur la transition énergétique en juillet 2013, l’ancien directeur de Total Gas Shale Europe, Bruno Courme, admettait lui-même : «Il ne faut pas s’illusionner, [le gaz de schiste] n’est pas une industrie qui crée des milliers et des milliers d’emplois, on ne reproduira jamais les centaines de milliers d’emplois des Etats-Unis.» Sauf en cas de forages très intensifs, comme Outre-Atlantique. En Pologne, annoncé comme un eldorado, les compagnies déchantent d’ailleurs et se retirent une à une, y compris Total.

Et le climat, dans tout ça?

C’est le cœur du sujet, occulté par les débats sur les éventuelles techniques d’extraction propres. Car pour espérer éviter une flambée du thermomètre mondial qui rendrait la Terre invivable pour l’humanité, et limiter celle-ci à +2C° par rapport à l’ère pré-industrielle −ce qui est déjà beaucoup, au point d’inquiéter la Banque mondiale−, il faudra laisser dans le sol une grande partie des réserves en combustiles fossiles. Plus précisément, un tiers de nos réserves de pétrole, la moitié de nos réserves de gaz et plus de 80% de nos réserves de charbon devront rester sous terre pour atteindre cet objectif, selon une étude britannique publiée le 7 janvier dans la revue Nature. La conclusion de celle-ci est on ne peut plus claire : «Nos résultats montrent que les instincts des responsables politiques d’exploiter rapidement et complètement leurs combustibles fossiles territoriaux sont, dans l’ensemble, en contradiction avec leurs engagements à l’égard d’une limite de la hausse de la température à 2°C.»
 Coralie SCHAUB

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