Accroché à son inhalateur pour surmonter ses difficultés
respiratoires, Chinnapan Chinnakannu impute à ses années de travail dans
une usine d'amiante-ciment en Inde la dégradation de sa santé.
A
ses débuts, à Gujarat (ouest), Chinnapan recevait un équipement de
protection. Mais «ensuite ils ont cessé de nous fournir des masques et
des chaussures», dit-il.
«J'ai commencé par souffrir
d'essoufflement avec une fréquence qui s'est accrue à un tel point que
je ne pouvais pratiquement plus travailler», déclare Chinnapan, chez qui
une asbestose, maladie due à l'accumulation de fibres d'amiante dans
les alvéoles des poumons, a été diagnostiquée en 2007.
«J'ai
progressivement perdu du poids, je ne pouvais même plus boire d'eau car
je la vomissais immédiatement», raconte cet homme de 64 ans depuis sa
maison d'une pièce, dans la banlieue d'Ahmedabad.
Interdite dans
les pays occidentaux, l'amiante reste très utilisée dans les pays en
développement, en particulier en Inde où s'est développé un secteur de
1,4 milliard de dollars.
Plusieurs pays de l'ONU ont tenté en mai à
Genève d'ajouter l'amiante chrysotile à la liste des substances
dangereuses dont les exportations sont limitées mais un groupe de
nations conduit par la Russie, grand exportateur, s'y est opposé,
soutenu par l'Inde, grand importateur.
Les syndicats et les ONG
appellent le gouvernement indien à reconnaître les dangers de l'amiante,
dont les fibres fichées dans les poumons peuvent causer des cancers et
diverses autres maladies. «Il est temps d'interdire ce produit
complètement et l'Inde doit s'y résoudre», déclare un militant, Gopal
Krishna.
Mais à Genève, New Delhi a assuré qu'il «n'y avait pas de
preuve» que les usines d'amiante ou les produits à base d'amiante
utilisés dans les bâtiments à bas coût étaient dangereux pour la santé.
«Nous
avons adopté une position qui peut sembler favorable à l'industrie mais
cela a été décidé en l'absence de données crédibles» sur les risques
pour la santé, explique à l'AFP Shashi Shekhar, haut responsable des
questions touchant les matériaux dangereux.
- Plein essor -
A
l'autre bout d'Ahmedabad, les affaires vont bon train dans un immense
hangar où Mansur Satani, vendeur d'amiante en gros, a peu de temps pour
parler des dangers de la fibre, sinon pour dire qu'ils n'existent pas.
«Nous
sommes en haute saison pour les affaires», dit Satani, dont le
téléphone ne cesse de sonner. «Ces feuilles d'amiante coûtent entre 550
et 770 roupies (entre 7 et 10 euros) selon la taille, la marque et
l'épaisseur».
Plus de 50 usines en Inde insèrent de l'amiante
chrysotile dans des toitures, des panneaux mureaux et de la tuyauterie.
L'Inde importe ainsi chaque année plus de 400.000 tonnes d'amiante.
TK
Joshi, qui dirige un centre de recherche en santé à l'hôpital Lok Nayak
de New Delhi, met en garde sur les dangers encourus par les salariés du
secteur. «Des milliers de personnes pourraient être concernées. Ce
chiffre risque d'augmenter de façon exponentielle dans le futur, étant
donné que l'usage de l'amiante s'est considérablement développé depuis
15 ans», dit-il à l'AFP.
Le nombre précis de malades dus à
l'exposition à l'amiante est inconnu faute de données. Nombre de
médecins ne connaissent en outre pas les symptômes des maladies
concernées ou ne posent pas de question sur l'exposition aux matériaux
dangereux.
Plus de 300.000 personnes travaillent dans ces usines
et des milliers installent les produits vendus par les commerçants tels
que celui d'Ahmedabad.
«De nombreux cas ne sont pas diagnostiqués,
entraînant une sous-estimation de l'ampleur des dégâts» dus à
l'amiante, déplore Joshi, inquiet du manque de prise de conscience et de
la faible application de la législation.
Les industriels nient tout danger pour leurs employés, affirmant prendre toutes les précautions.
Le
directeur exécutif de la fédération des industriels du secteur, John
Nicodemus, rejette les études de l'OMS et de l'Organisation
internationale du travail (OIT) sur les décès dus à l'amiante. «Leurs
chiffres n'ont aucun sens et les inquiétudes pour la santé sont
surestimées», a dit Nicodemus à l'AFP par email.
- Traitement coûteux -
Gujarat Composite, l'entreprise qui employait Chinnapan, a indiqué à l'AFP avoir respecté la législation.
Raghunath
Manvar, responsable de l'ONG de défense de la santé au travail
Occupational Health and Safety Association, se bat pour obtenir des
indemnisations pour les 30 employés malades de l'asbestose recensés dans
le Gujarat.
«Outre l'asbestose, plus de 100 personnes souffrent
d'un mésothéliome, également dû à l'exposition à l'amiante», explique
Manvar.
Une fois sa maladie diagnostiquée, Chinnapan a dû se
battre pour être indemnisé et reçoit désormais 2.700 roupies (40 euros)
par mois.
Ce sexagénaire touche également une retraite mais doit
continuer de travailler pour nourrir sa famille en dépit de sa santé.
«Je n'ai pas compris ce qui m'est arrivé. Pratiquement tout mon argent
va dans les médicaments et les consultations».
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