C’est
une bonne nouvelle pour le monde du médicament, mais qui risque
d’attirer l’attention des narcotrafiquants. Ces derniers mois, plusieurs
équipes de chercheurs ont publié des articles détaillant les étapes
permettant de faire produire de la morphine et d’autres opiacés par de
la levure de bière modifiée génétiquement. Dans la revue américaine Science datée du jeudi 25 juin, des chercheurs de l’université de York
(Royaume-Uni) apportent le chaînon manquant pour synthétiser des
antalgiques majeurs. Une percée qui fait cependant craindre
l’utilisation de ce procédé à des fins illicites.
La morphine est le traitement puissant de référence contre la douleur. Sa production s’effectue à partir du latex du pavot (Papaver somniferum), plus communément appelé opium, qui possède des vertus sédatives et analgésiques. L’opium contient en effet de nombreux alcaloïdes dont, outre la morphine, la codéine et la thébaïne. Précieuse pour la médecine, la culture de ce pavot restait jusque-là, comme toute production agricole, soumise aux aléas naturels.
La paternité de la découverte et de l’isolement de la morphine – ainsi nommée en référence à Morphée, le dieu grec des rêves – revient à l’Allemand Friedrich Sertürner et remonte à 1804. D’abord utilisée sous forme buvable, elle fut employée sous forme injectable à partir du milieu du XIXe siècle, notamment lors des conflits armés qui allaient suivre. Mais la découverte de toxicomanies aux opiacés entraîna la mise en place, au début du XXe siècle, de législations et de conventions sur le contrôle des opiacés et narcotiques. Elles se sont accompagnées d’une forte diminution de l’usage de la morphine comme antalgique.
La culture illégale de l’opium dans des pays comme l’Afghanistan, la Birmanie, le Laos ou encore le Mexique vise notamment la très lucrative production d’héroïne. Mais il existe, à une moindre échelle et dans une grande discrétion, une production parfaitement légale à des fins médicinales. C’est en effet à partir de Papaver somniferum – appelé en France pavot à œillette – que sont produits la morphine et les autres opiacés.
Francopia, une filiale de Sanofi, produit ainsi pour plus de 80 pays et s’approvisionne auprès de 1 000 agriculteurs et plus de 30 organismes de la filière agricole qui exploitent en France quelque 12 000 hectares de pavot à œillette. Le tout sous haute surveillance tant par le ministère de l’intérieur que par les agences de sécurité sanitaire.
Comme pour certains autres médicaments, la production de morphine reste très dépendante d’extraits de plantes, notamment en raison de la complexité de leur structure n’ayant pas permis de l’effectuer entièrement par synthèse à un coût rentable. Néanmoins, les chimistes se sont intéressés depuis de nombreuses années aux différentes étapes du processus chimique qu’accomplit la plante.
Le développement de technique d’ingénierie génétique modifiant certains organismes simples comme des levures – principalement la levure de bière (Saccharomyces cerevisiae) – a bouleversé les possibilités de synthèse. En les dotant de gènes appropriés, il est possible de leur faire synthétiser des composés provenant habituellement de plantes à des fins thérapeutiques. C’est ainsi que s’effectue la production commerciale d’artémisinine, ingrédient de base de combinaisons thérapeutiques pour traiter le paludisme, normalement dérivé d’une armoise chinoise (Artemisia annua).
Le 23 avril, une équipe montréalaise décrivait dans la revue PLOS One comment elle avait reconstitué le cheminement partant d’un précurseur, la (R)-réticuline, et aboutissant à la production de morphine et de codéine. Cette voie fait appel à 7 gènes que les chercheurs ont fait exprimer à la levure de bière qu’ils ont manipulée.
Le 18 mai, sur le site de Nature Chemical Biology, des chercheurs montréalais et californiens démontraient la possibilité de faire fabriquer à la levure qu’ils avaient rendue apte à produire certaines enzymes de la (S)-réticuline à partir de simple glucose. La (S)-réticuline est transformée en (R)-réticuline par réarrangement spatial de la molécule, mais cette étape n’était pas encore maîtrisée par les chimistes.
C’est chose faite avec l’article de Thilo Winzer (université de York) et ses collègues (dont des chercheurs de GlaxoSmithKline Australie) dans la revue Science. Ils ont découvert que l’enzyme STORR, exprimé par le gène du même nom, permet la transformation en deux temps de la (S)-réticuline en (R)-réticuline par la levure. La voie de biosynthèse de la morphine est donc à présent complétée.
Si ces travaux laissent entrevoir des avancées dans la synthèse d’antalgiques opiacés plus performants, elle inquiète cependant non seulement les autorités, mais aussi les chercheurs eux-mêmes. Les uns comme les autres craignent de voir le procédé récupéré par les narcotrafiquants. Dans un article de commentaire, publié le 21 mai par Nature, deux universitaires américains et une canadienne mettent en garde : un tel procédé de fabrication facile à mettre en œuvre à partir de produits élémentaires légaux avec un kit de brassage de bière, aisément dissimulable, permettrait à des criminels une production locale décentralisée.
Ils recommandent donc un contrôle des souches de levures génétiquement modifiées, de les concevoir de façon à les limiter à la production d’opiacés présentant peu d’intérêt pour le trafic, de recourir à des marqueurs ADN afin de permettre une traçabilité et d’adapter les législations et réglementations.
Pour le docteur Dider Jayle, titulaire de la chaire d’addictologie au Conservatoire national des arts et métiers (Paris), « il faudra adapter les contrôles pour éviter la dissémination des levures génétiquement modifiées », mais il rappelle que
« les contrôles actuels ne marchent pas. La diminution de consommation
d’héroïne n’est pas due aux contrôles mais à la politique de réduction
des risques par les traitements de substitution aux opiacés, qui
remplacent l’injection ».
La morphine est le traitement puissant de référence contre la douleur. Sa production s’effectue à partir du latex du pavot (Papaver somniferum), plus communément appelé opium, qui possède des vertus sédatives et analgésiques. L’opium contient en effet de nombreux alcaloïdes dont, outre la morphine, la codéine et la thébaïne. Précieuse pour la médecine, la culture de ce pavot restait jusque-là, comme toute production agricole, soumise aux aléas naturels.
La paternité de la découverte et de l’isolement de la morphine – ainsi nommée en référence à Morphée, le dieu grec des rêves – revient à l’Allemand Friedrich Sertürner et remonte à 1804. D’abord utilisée sous forme buvable, elle fut employée sous forme injectable à partir du milieu du XIXe siècle, notamment lors des conflits armés qui allaient suivre. Mais la découverte de toxicomanies aux opiacés entraîna la mise en place, au début du XXe siècle, de législations et de conventions sur le contrôle des opiacés et narcotiques. Elles se sont accompagnées d’une forte diminution de l’usage de la morphine comme antalgique.
Production parfaitement légale d’opium
Cependant, au cours des vingt-cinq dernières années, elle a connu un retour en grâce sous l’impulsion de professionnels de santé engagés dans la lutte contre la douleur, qui ont démontré que son usage dans un cadre médical maîtrisé n’entraînait pas de dépendance.La culture illégale de l’opium dans des pays comme l’Afghanistan, la Birmanie, le Laos ou encore le Mexique vise notamment la très lucrative production d’héroïne. Mais il existe, à une moindre échelle et dans une grande discrétion, une production parfaitement légale à des fins médicinales. C’est en effet à partir de Papaver somniferum – appelé en France pavot à œillette – que sont produits la morphine et les autres opiacés.
Francopia, une filiale de Sanofi, produit ainsi pour plus de 80 pays et s’approvisionne auprès de 1 000 agriculteurs et plus de 30 organismes de la filière agricole qui exploitent en France quelque 12 000 hectares de pavot à œillette. Le tout sous haute surveillance tant par le ministère de l’intérieur que par les agences de sécurité sanitaire.
Comme pour certains autres médicaments, la production de morphine reste très dépendante d’extraits de plantes, notamment en raison de la complexité de leur structure n’ayant pas permis de l’effectuer entièrement par synthèse à un coût rentable. Néanmoins, les chimistes se sont intéressés depuis de nombreuses années aux différentes étapes du processus chimique qu’accomplit la plante.
Le développement de technique d’ingénierie génétique modifiant certains organismes simples comme des levures – principalement la levure de bière (Saccharomyces cerevisiae) – a bouleversé les possibilités de synthèse. En les dotant de gènes appropriés, il est possible de leur faire synthétiser des composés provenant habituellement de plantes à des fins thérapeutiques. C’est ainsi que s’effectue la production commerciale d’artémisinine, ingrédient de base de combinaisons thérapeutiques pour traiter le paludisme, normalement dérivé d’une armoise chinoise (Artemisia annua).
Procédé révolutionnaire
Le même procédé révolutionnaire paraît à présent à portée de main pour fabriquer de la morphine et ses dérivés. Il ouvre même la perspective de composés aussi efficaces ou davantage et possédant un meilleur profil de sécurité.Le 23 avril, une équipe montréalaise décrivait dans la revue PLOS One comment elle avait reconstitué le cheminement partant d’un précurseur, la (R)-réticuline, et aboutissant à la production de morphine et de codéine. Cette voie fait appel à 7 gènes que les chercheurs ont fait exprimer à la levure de bière qu’ils ont manipulée.
Le 18 mai, sur le site de Nature Chemical Biology, des chercheurs montréalais et californiens démontraient la possibilité de faire fabriquer à la levure qu’ils avaient rendue apte à produire certaines enzymes de la (S)-réticuline à partir de simple glucose. La (S)-réticuline est transformée en (R)-réticuline par réarrangement spatial de la molécule, mais cette étape n’était pas encore maîtrisée par les chimistes.
C’est chose faite avec l’article de Thilo Winzer (université de York) et ses collègues (dont des chercheurs de GlaxoSmithKline Australie) dans la revue Science. Ils ont découvert que l’enzyme STORR, exprimé par le gène du même nom, permet la transformation en deux temps de la (S)-réticuline en (R)-réticuline par la levure. La voie de biosynthèse de la morphine est donc à présent complétée.
Si ces travaux laissent entrevoir des avancées dans la synthèse d’antalgiques opiacés plus performants, elle inquiète cependant non seulement les autorités, mais aussi les chercheurs eux-mêmes. Les uns comme les autres craignent de voir le procédé récupéré par les narcotrafiquants. Dans un article de commentaire, publié le 21 mai par Nature, deux universitaires américains et une canadienne mettent en garde : un tel procédé de fabrication facile à mettre en œuvre à partir de produits élémentaires légaux avec un kit de brassage de bière, aisément dissimulable, permettrait à des criminels une production locale décentralisée.
Ils recommandent donc un contrôle des souches de levures génétiquement modifiées, de les concevoir de façon à les limiter à la production d’opiacés présentant peu d’intérêt pour le trafic, de recourir à des marqueurs ADN afin de permettre une traçabilité et d’adapter les législations et réglementations.
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Paul Benkimoun
Journaliste au Monde
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