Keiji Fukuda, Sous-Directeur général de l'OMS pour la sécurité sanitaire
Bien qu’elle inquiète les cliniciens et les scientifiques depuis des décennies, et même si des progrès ont été enregistrés ces dernières années, la résistance aux antimicrobiens est devenue l’une des plus graves menaces des temps modernes pour la santé mondiale. Même si, dans nombre de pays, ce problème est désormais reconnu au-delà du monde médical et scientifique, la surveillance et l’information restent inadaptés, la compréhension du public trop faible, et les mesures de prévention et de lutte, insuffisantes.
La résistance aux antibiotiques atteint des niveaux dangereusement élevés partout dans le monde. Mais seul un quart des pays environ est doté de plans nationaux pour combattre la résistance aux médicaments antimicrobiens tels que les antibiotiques. C’est bien trop peu.
Les antibiotiques sont depuis longtemps considérés comme l’un des plus grands progrès médicaux du XXe siècle. Ils ont transformé le cours des choses pour le bien de la santé humaine. En permettant la guérison de plusieurs infections graves, ces médicaments ont sauvé d’innombrables vies, y compris celles de patients atteints du cancer ou du diabète ou subissant des interventions chirurgicales, particulièrement vulnérables face aux infections.
Les antibiotiques sont désormais si répandus que les médecins comme les patients considèrent qu’il s’agit là d’un acquis. Souvent, ils sont employés à mauvais escient. Malheureusement, cela a eu comme effet d’accélérer l’apparition de la résistance.
Les bactéries et les autres micro-organismes acquièrent naturellement une résistance aux médicaments employés pour les traiter. L’usage des antibiotiques, que ce soit à bon ou à mauvais escient, a accéléré le développement de la résistance à ces médicaments, ce qui a débouché sur la situation actuelle, caractérisée par des niveaux record d’antibiorésistance.
«La maîtrise de la résistance aux antibiotiques est, enfin, à portée de main.»
Keiji Fukuda, Sous-Directeur général de l'OMS pour la sécurité sanitaire et l’environnement
Face à cette situation, plusieurs éléments sont indispensables si l’on veut que les mesures soient complémentaires et éviter doublons et tâches conflictuelles: un leadership durable aux niveaux mondial et national; un engagement de toutes les parties prenantes, y compris le public, les secteurs de la santé et de l’agriculture, le monde des affaires et la société civile; et la coordination et la collaboration intersectorielles (en particulier entre les secteurs de la santé humaine et animale et l’agriculture).
On ne saurait trop insister sur la nécessité d’inscrire l’engagement et l’action sur la durée, car il ne s’agit pas d’une bataille, mais d’un combat au long cours.
En 2014, à la demande de l’Assemblée mondiale de la Santé, l’OMS a lancé un processus mobilisant les parties prenantes en vue d’élaborer un plan d’action mondial pour combattre la résistance aux antimicrobiens.
Ce plan d’action – fruit du travail collectif des pays et de partenaires représentant de multiples secteurs, y compris l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et la société civile – vient juste d’être adopté par les gouvernements à l’Assemblée mondiale de la Santé. Il constitue un schéma directeur mondial dont on avait grand besoin pour que chaque partie prenante sache dans quel domaine sa contribution est nécessaire.
Pour mettre en œuvre ce plan, les gouvernements se sont engagés à obtenir des résultats dans cinq grands domaines:
- améliorer la sensibilisation à la résistance aux antibiotiques et la compréhension du phénomène parmi les populations;
- améliorer la surveillance et la recherche;
- endiguer la propagation de l’infection par des mesures efficaces d’assainissement, d’hygiène et de prévention des infections;
- optimiser l’usage des antibiotiques en santé humaine et animale; et
- renforcer l’innovation et les investissements.
Dans le même temps, nous devons encourager plus efficacement la mise au point de nouveaux médicaments et vaccins et de meilleurs produits de diagnostic rapide et autres technologies. Il est temps d’adopter des approches qui partagent mieux les risques et les avantages de la recherche-développement et incitent les gouvernements à augmenter leurs investissements en R&D.
Nous devons également examiner les systèmes de santé, qui jouent un rôle essentiel pour garantir un accès équitable aux médicaments. Les agents de laboratoire doivent posséder le matériel nécessaire pour diagnostiquer rapidement les infections, les agents de santé doivent recevoir la formation nécessaire pour traiter les infections conformément aux lignes directrices nationales, et tous ceux qui en ont besoin doivent avoir accès aux antibiotiques.
Les attitudes et les comportements doivent évoluer à tous les niveaux de la société et dans chaque pays. En tant que personnes, nous pouvons agir pour empêcher la propagation des infections (par exemple en nous lavant régulièrement les mains), en recourant aux antibiotiques seulement sur ordonnance, et en ne partageant pas ces médicaments.
Les professionnels de la santé peuvent améliorer la lutte contre les infections dans les hôpitaux et les dispensaires et prescrire les antibiotiques seulement lorsque nécessaire. Les décideurs politiques doivent être des agents du changement en réglementant et favorisant le bon usage des antibiotiques, en sensibilisant l’opinion et en récompensant l’innovation. Et l’industrie pharmaceutique doit investir dans les nouveaux antibiotiques, vaccins et produits diagnostiques.
Il n’y a pas de solution toute prête. Mais l’intérêt croissant que suscite cette question dans le monde politique et l’adoption du plan d’action mondial montrent que la maîtrise de la résistance aux antibiotiques est, enfin, à portée de main.
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