La question de la nature juridique de l'accord qui pourrait sortir de la
 Conférence de Paris sur le climat est au cœur des interrogations. 
Marion Lemoine, chargée de recherche au CNRS, décrypte les enjeux pour 
Actu-Environnement.
 Actu-Environnement.com : Quelle forme juridique pourrait prendre un accord issu de la Conférence de Paris ?
Marion Lemoine : A deux mois de la COP 21 à Paris, de 
nombreuses interrogations subsistent concernant la forme juridique de 
l'accord qui doit être conclu. Les Parties semblent prêtes aujourd'hui à
 s'engager sur un ensemble de textes constituant un accord de Paris au 
sens large, constitué d'un accord "socle" auquel viendraient s'ajouter 
des décisions adoptées par la Conférence des Parties (COP). L'enjeu des 
négociations actuelles est de répartir les thèmes entre ces deux 
supports juridiques : l'objectif de 2°C se trouverait dans l'accord 
socle tandis que les contributions nationales (
INDC) seraient
 consignées dans les décisions de la COP ou dans une annexe à l'accord 
socle. Plusieurs sujets majeurs oscillent entre les deux supports selon 
les positions divergentes des Parties : le financement, l'adaptation, la
 révision périodique des INDC.
AE : La phase de ratification d'un traité international est-elle indispensable ?
ML : Il existe deux types d'accords. D'une part, le traité 
international classique, quelle que soit sa dénomination (accord, 
protocole, amendement à la convention par exemple), qui nécessite une 
signature et une ratification. Le traité est alors signé au niveau des 
chefs d'Etat. D'autre part, les accords en forme simplifiée, signés au 
niveau gouvernemental, pour lesquels la seule étape de la signature 
suffit. Ces derniers peuvent intéresser des pays comme les Etats-Unis 
qui cherchent à éviter de soumettre un accord sur le climat à leur 
Parlement mais ils sont rarement utilisés car moins légitimes. Quant aux
 premiers, ils présentent le risque de rester inapplicables faute 
d'atteindre le 
seuil de ratifications nécessaire ou de ne pas être suivis d'effet si ce seuil est fixé à un niveau trop bas.
AE : Quelles sont les conséquences juridiques d'un traité international ?
ML : Les Etats parties sont tenus de respecter le contenu du 
traité. Ils doivent en assurer le suivi en adaptant leur comportement et
 peuvent être soumis à un contrôle du respect de leurs engagements. Le 
traité peut enfin prévoir des sanctions pour les Etats contrevenants. A 
ce titre, le Protocole de Kyoto a favorisé des mécanismes 
d'accompagnement et de facilitation avant d'envisager des sanctions.
Une décision de la COP n'emporte pas les mêmes conséquences 
juridiques qu'un traité : elle n'est pas obligatoire et ne sera pas 
contrôlée. En revanche, elle peut avoir un pouvoir d'incitation ou de 
recommandation très efficace en pratique auprès des acteurs.
AE : Un Etat peut-il se retirer sans dommage d'une convention 
internationale, comme le Canada l'a fait avec le Protocole de Kyoto ?
ML : Cela dépend des clauses du traité. Le Protocole de Kyoto 
en prévoyait la possibilité. Le Canada s'était engagé au titre du 
Protocole à réduire ses émissions de GES de 6% en 2012 par rapport au 
niveau de 1990, mais ses émissions ont au contraire fortement augmenté. 
Il risquait de payer une amende à ce titre. C'est pourquoi il a décidé 
de 
dénoncer le traité
 en décembre 2011. Son retrait a été effectif un an plus tard, comme le 
prévoyait le Protocole, juste avant la fin de la période d'engagement. 
Finalement, il n'a pas été sanctionné.
AE : La réussite de la COP 21 passe-t-elle forcément par la signature d'un traité international ?
ML : L'approche des négociations internationales avec une 
opposition pays développés/pays en développement en vigueur dans le 
Protocole de Kyoto n'est plus valable aujourd'hui. Elle a laissé la 
place à une approche unilatérale "
bottom up" avec une mise en 
commun des contributions nationales à l'effort climatique déterminé par 
chaque Etat. L'enjeu de la conférence est d'aboutir à un support 
juridique suffisamment fort pour répondre à l'
objectif des 2°C
 mais suffisamment souple pour que le maximum d'Etats accepte de s'y 
engager. Ce grand écart entre l'ambition environnementale, l'inclusion 
de tous les Etats à l'échelle planétaire et la transparence du processus
 décisionnel est difficile à opérer. Il est envisageable que soit signé 
un accord obligatoire contenant seulement les grands principes et 
l'objectif de 2°C.
AE : L'accord peut-il prendre d'autres formes ?
ML : Oui, d'autant que plusieurs Etats, comme ceux formant le 
groupe de l'Ombrelle (Note : Etats-Unis, Canada, Australie, 
Nouvelle-Zelande, Norvège, Russie et Japon) sont opposés à l'adoption 
d'un traité international qui contiendrait les contributions nationales.
 L'accord pourrait donc également prendre la forme d'une série de 
décisions de la COP. Il pourrait aussi donner lieu à un document de 
simple information du secrétariat de la Convention cadre des Nations 
unies pour le climat (Ccnucc), comme dans le cas des promesses de 
réduction des émissions faites par les Etats à la suite de la conférence
 de Copenhague.
AE : Des clauses de révision peuvent-elles être prévues dans l'accord ?
ML : C'est le grand défi. Afin d'augmenter graduellement le 
niveau d'ambition de l'accord de Paris, les engagements des Etats 
devraient être adaptables au fur et à mesure de l'évolution des 
connaissances scientifiques, en particulier des rapports du groupe 
d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), et de 
leur engagement politique et économique sur le sujet. Les contributions 
nationales pourraient être révisées périodiquement selon un nombre 
déterminé de périodes pluriannuelles ou par cycle de cinq ans de façon 
plus pérenne. Le format de cette flexibilité temporelle de l'accord n'a 
pas encore été arrêté.
AE : Comment le respect de l'accord peut-il être contrôlé ?
ML : L'autorité de contrôle peut être mise en place par le 
traité international lui-même. Le contrôle est une question épineuse : 
s'agira-t-il d'un mécanisme de contrôle à l'échelle internationale ou 
d'un système moins contraignant de vérification et rapports établis au 
niveau national (
MRV)
 ? De nombreux Etats souhaitent limiter l'étendue de ce contrôle et 
refusent tout mécanisme de sanction. Il passera donc plutôt par un 
système de reporting auprès du secrétariat de la Ccnucc. La Cour 
internationale de Justice peut aussi trancher les différends entre 
Etats, mais il s'agit d'une juridiction non spécialisée, dont les 
jugements ne sont obligatoires que pour les Etats qui y ont consenti. A 
ce jour, la CIJ n'a jamais été saisie d'un différend basé sur les 
traités internationaux sur le climat.
AE : Comment s'articulent les accords bilatéraux, tels que celui 
signé par la Chine et les Etats-Unis, avec les accords multilatéraux ?
ML : Il n'y a pas d'articulation obligatoire au niveau 
international. En revanche, chaque Etat signataire doit s'assurer au 
niveau national qu'il n'existe pas de contradiction entre les différents
 traités qu'il signe.
AE : Peut-on faire appel à d'autres mécanismes que les relations interétatiques ?
ML : Le processus de négociations n'est plus seulement 
interétatique. Il existe des initiatives parallèles, dans le cadre du 
G8, du G20, de l'OMC, lors de sommets du FMI, ou des ententes 
politiques, des partenariats public/privé qui concourent à la prise de 
conscience collective. On se dirige vers une approche polycentrique 
plutôt qu'impulsée par le seul cadre Onusien. La diversité des 
participants à la Conférence de Paris illustre cette diversification, 
avec l'implication des entreprises et des acteurs territoriaux 
infra-étatiques dans le processus de négociation par exemple.