Dans son discours d'ouverture de la COP-21, François Hollande a ouvert la voie à l'inscription dans l'accord "
universel et contraignant",
d'un autre objectif climatique que celui retenu à Copenhague en 2009.
Ne pas dépasser 2°C d'élévation de la température moyenne de la planète
relativement au niveau pré-industriel. L'accord pourrait contenir un
ajout présenté comme un meilleur objectif, "
1,5°C", prudemment précisé d'un "
si c'est possible", a avancé le Président de la République.
On comprend pourquoi François Hollande a fait cette ouverture. Plusieurs
pays très vulnérables au changement climatique,
en particulier les petits Etats insulaires qui risquent de disparaître
sous la montée du niveau marin, négocient en faisant de cet objectif une
condition à leur signature. Comme ils sont nombreux, 43, cela peut
motiver une telle approche pour l'adoption à l'unanimité du texte
(ici la dernière version en discussion).
Surtout que des ONG ont trouvé utile de l'accompagner d'une campagne
internationale qui transforme cet objectif en moyen, puisqu'il faudrait
que la concentration en CO2 dans l'atmosphère revienne à 350 parties par
million, alors qu'elle est déjà à 400 ppm, pour limiter ainsi
l'élévation de température. Mais est-ce une bonne idée ?
Photo officielle de la COP 21C'est
probablement une erreur. Parce qu'elle ne s'appuie pas sur une analyse
scientifique et débouche, pour cette raison, sur une impasse. Il n'y a
rien de pire qu'un objectif chiffré et précis, mais inatteignable, dans
un combat de long terme. A ne pas confondre avec une utopie
mobilisatrice. Or, ce que disent les scientifiques, comme le
climatologue Jean-Louis Dufresne du Laboratoire de météorologie
dynamique (Institut Pierre Simon Laplace), c'est que les 1,5°C sont déjà
dans l'atmosphère. Pourquoi ?
Même un hara-kiri général ne permet pas de respecter 1,5°C
D'abord, parce que les 1°C sont déjà atteints.
Cette année 2015, l'écart à la moyenne calculée non sur la période pré-industrielle mais sur 1951/1980 sera supérieur à 1°C.
Certes, c'est une année particulièrement chaude, en raison d'un fort El
Niño dans le Pacifique tropical. Mais la température ne va pas retomber
beaucoup lorsque ce Niño sera fini, et repartira à la hausse ensuite.
Courbe des températuresEnsuite parce que le potentiel de réchauffement des gaz à effet de serre déjà émis, et surtout du CO
2
qui a la plus longue durée de vie dans l'atmosphère - environ deux
siècles - peut être évalué à environ 0,3°C. Donc, même si, hypothèse
d'école, totalement farfelue et irréaliste, les hommes cessaient demain
matin d'émettre tout gaz à effet de serre - pour cela il faudrait que
nous passions tous de vie à trépas sans délai - la température de la
planète continuerait de s'élever de quelques trois dixièmes de degré.
Mais cela n'est pas tout. Car si le CO
2 que nous avons
émis continuera longtemps d'agir pour réchauffer la planète, notre effet
"kisscool" concomitant lui, va s'arrêter très vite. Cet effet, ce sont
les particules sulfatées que nous émettons par millions de tonnes avec
les gaz à effet de serre en brûlant du charbon et du pétrole. Ces
particules, sous la forme d'äerosols (graphique ci-contre) refroidissent
la Terre en renvoyant les rayons solaires vers l'Espace. Mais elles ne
restent pas longtemps dans
Les aerosols refroidissantsl'atmosphère
et retombent sur terre ou dans les océans. En conséquence, leur effet
refroidissant cesserait très vite. Et de combien est-il ? D'environ
0,3°C ! Bref, la barre des 1,5°C sera atteinte, même si nous décidions
de nous faire tous hara-kiri demain matin.
Ce que la physique du climat dit, c'est que cet objectif est donc
hors de portée. Définitivement. Elle dit même que la simple continuation
des émissions au niveau actuel durant quinze ans engage le système
climatique sur une trajectoire où les 2°C apparaissent presque
inéluctables.
Dire la vérité sur l'insuffisance des politiques climatiques
Dans ces conditions, pourquoi lancer un tel débat, prendre le risque
d'inscrire dans le marbre d'un texte qui serait signé par tous les
gouvernements de la Terre un objectif inatteignable ?
Les négociations de la COP-21 ont démarré avec de grands discours très consensuels, à quelques exceptions près, autour de la
La photo de groupe (partielle) de la COP-21nécessité
de tenir l'objectif des 2°C. Les annonces concrètes qui se succèdent
depuis plusieurs jours montrent que de nombreux acteurs politiques et
économiques prennent au sérieux ce nouveau cadrage de l'activité
économique. Et d'abord pour le cœur du sujet, le plus dur, les énergies
fossiles, charbon, gaz et pétrole. Électrification des transports,
investissements massifs dans les énergies renouvelables solaires et
éoliennes, décision récente du gouvernement américain en faveur de la
poursuite de l'option nucléaire, progrès sur les procédés de
capture et stockage du CO2 dans le sous-sol,
discussions sur le prix des taxes sur le carbone, engagements de
collectivités locales sur des politiques de limitations des émissions
par l'urbanisme et les transports collectifs... D'autres sujets, comme
l'agriculture et ses émissions de méthane, ou à l'inverse les
alternatives - agro-foresterie, meilleur équilibre entre élevage et
cultures végétales - susceptibles de diminuer les émissions ou de
stocker le CO
2 dans les sols, sont intensément discutés.
Ainsi que la déforestation tropicale et les politiques permettant de la
limiter aux stricts besoins alimentaires des populations en croissance,
voire des initiatives comme l
a grande muraille verte en Afrique, au Sahel, qui reçoit de nouveaux soutiens financiers.
la crainte de voir la COP-21 ne "servir à rien" est d'ores et
déjà à écarter. Mais entre ce niveau d'action et celui nécessaire pour
ne pas dépasser les 2°C il y a encore un vaste écart. La conscience en
existe, on le voit dans l'exigence de "clauses de revoyure" à mettre
dans le texte, tous les cinq ans par exemple, pour ajuster les objectifs
à la hausse.
La satisfaction des besoins élémentaires des trois milliards d'êtres humains
Cacophonie climatiqueCette
situation, ce constat d'insuffisance des politiques affichées à la
COP-21 présente un mérite majeur : celui de dire la vérité. Oui,
l'Humanité n'est pas en capacité de fixer la route qui permet de ne pas
dépasser les 2°C, comme je le souligne dans mon livre "les dessous de la
cacophonie climatique". Il vaut mieux le dire que de le cacher.
Cette incapacité tient à des réalités dures: le système économique
dominant, fondé sur de fortes inégalités sociales et une confiance
aveugle dans les mécanismes de marché capitaliste, il produit des
milliardaires et des pauvres, des développements agressifs et
destructeurs de territoires tandis que d'autres sont délaissés au
prétexte des "avantages comparatifs", exige des comportements
consuméristes dopés par une publicité qui envahit les esprits et souvent
les avilit.
Ce système est-il compatible avec les exigences d'une politique
climatique sérieuse ? Ses défenseurs et surtout ceux qui en profitent le
plus vont tenter de le sauver tout en limitant les dégâts car c'est une
nécessité pour leur maintien au pouvoir politique sur la durée. Voire
tenter de trouver de nouvelles sources de profits dans le capitalisme
vert. Mais "limiter les dégâts" ne suffira pas.
Graphique de l'étude DDPP IDDRI.
Une autre réalité dure est que la satisfaction des besoins élémentaires
des trois milliards d'êtres humains qui vivent le plus mal sur la
planète ne pourra être obtenue sans qu'ils puissent accéder à plus
d'énergie qu'aujourd'hui, et, au moins dans les trois décennies à venir,
l'énergie fossile y contribuera fortement.
Dans les pays déjà développés, industrialisés, mais où le chômage de
masse sévit en raison de l'incapacité à redistribuer les progrès de
productivité et de la délocalisation massive des activités de production
vers les pays à main d'oeuvre pas chère, la question est celle de
l'emploi. Aucune politique climatique qui ne serait pas liée à cette
question sociale, voire l'aggraverait, n'y sera acceptée par l'électorat
dans les pays démocratiques, par l'opinion publique dans les
dictatures.
Production électricité DDPP IDDRILes graphiques ci-contre, tirés de l'étude
Pathway to deep decarbonization de l'IDDRI (
ici en pdf),
indiquent les trajectoires d'émissions des pays émettant l'essentiel du
CO2 lié à l'énergie, dans un "chemin" qui permet d'arriver à une
diminution de moitié de leurs émissions globale en 2050, puis, en
dessous, les technologies utilisées pour leurs systèmes électriques. On
est là très loin des discours emphatiques sur "la planète et les ours
polaires" qu'il faudrait sauver, et en plein dans le "cambouis" du vrai
problème climatique.
Ce sont ces réalités dures qui interdisent d'espérer que la COP-21
trace le chemin vers les 2°C. Du coup, introduire un autre objectif, qui
lui ne peut être atteint pour des raisons physiques, car il est en
réalité déjà là dans le système climatique planétaire, ne peut
qu'obscurcir les débats nécessaires.
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