dimanche 6 décembre 2015

COP 21: viser 1,5°C ou 2°C ?

Dans son discours d'ouverture de la COP-21, François Hollande a ouvert la voie à l'inscription dans l'accord "universel et contraignant", d'un autre objectif climatique que celui retenu à Copenhague en 2009. Ne pas dépasser 2°C d'élévation de la température moyenne de la planète relativement au niveau pré-industriel. L'accord pourrait contenir un ajout présenté comme un meilleur objectif, "1,5°C", prudemment précisé d'un "si c'est possible", a avancé le Président de la République. 
On comprend pourquoi François Hollande a fait cette ouverture. Plusieurs pays très vulnérables au changement climatique, en particulier les petits Etats insulaires qui risquent de disparaître sous la montée du niveau marin, négocient en faisant de cet objectif une condition à leur signature. Comme ils sont nombreux, 43, cela peut motiver une telle approche pour l'adoption à l'unanimité du texte (ici la dernière version en discussion). Surtout que des ONG ont trouvé utile de l'accompagner d'une campagne internationale qui transforme cet objectif en moyen, puisqu'il faudrait que la concentration en CO2 dans l'atmosphère revienne à 350 parties par million, alors qu'elle est déjà à 400 ppm, pour limiter ainsi l'élévation de température. Mais est-ce une bonne idée ?
Photo officielle de la COP 21Photo officielle de la COP 21C'est probablement une erreur. Parce qu'elle ne s'appuie pas sur une analyse scientifique et débouche, pour cette raison, sur une impasse. Il n'y a rien de pire qu'un objectif chiffré et précis, mais inatteignable, dans un combat de long terme. A ne pas confondre avec une utopie mobilisatrice. Or, ce que disent les scientifiques, comme le climatologue Jean-Louis Dufresne du Laboratoire de météorologie dynamique (Institut Pierre Simon Laplace), c'est que les 1,5°C sont déjà dans l'atmosphère. Pourquoi ?

Même un hara-kiri général ne permet pas de respecter 1,5°C


D'abord, parce que les 1°C sont déjà atteints. Cette année 2015, l'écart à la moyenne calculée non sur la période pré-industrielle mais sur 1951/1980 sera supérieur à 1°C. Certes, c'est une année particulièrement chaude, en raison d'un fort El Niño dans le Pacifique tropical. Mais la température ne va pas retomber beaucoup lorsque ce Niño sera fini, et repartira à la hausse ensuite.
Courbe des températuresCourbe des températuresEnsuite parce que le potentiel de réchauffement des gaz à effet de serre déjà émis, et surtout du CO2 qui a la plus longue durée de vie dans l'atmosphère - environ deux siècles - peut être évalué à environ 0,3°C. Donc, même si, hypothèse d'école, totalement farfelue et irréaliste, les hommes cessaient demain matin d'émettre tout gaz à effet de serre - pour cela il faudrait que nous passions tous de vie à trépas sans délai - la température de la planète continuerait de s'élever de quelques trois dixièmes de degré.
Mais cela n'est pas tout. Car si le CO2 que nous avons émis continuera longtemps d'agir pour réchauffer la planète, notre effet "kisscool" concomitant lui, va s'arrêter très vite. Cet effet, ce sont les particules sulfatées que nous émettons par millions de tonnes avec les gaz à effet de serre en brûlant du charbon et du pétrole. Ces particules, sous la forme d'äerosols (graphique ci-contre) refroidissent la Terre en renvoyant les rayons solaires vers l'Espace. Mais elles ne restent pas longtemps dans Les aerosols refroidissantsLes aerosols refroidissantsl'atmosphère et retombent sur terre ou dans les océans. En conséquence, leur effet refroidissant cesserait très vite. Et de combien est-il ? D'environ 0,3°C ! Bref, la barre des 1,5°C sera atteinte, même si nous décidions de nous faire tous hara-kiri demain matin.
Ce que la physique du climat dit, c'est que cet objectif est donc hors de portée. Définitivement. Elle dit même que la simple continuation des émissions au niveau actuel durant quinze ans engage le système climatique sur une trajectoire où les 2°C apparaissent presque inéluctables.

Dire la vérité sur l'insuffisance des politiques climatiques

Dans ces conditions, pourquoi lancer un tel débat, prendre le risque d'inscrire dans le marbre d'un texte qui serait signé par tous les gouvernements de la Terre un objectif inatteignable ?
Les négociations de la COP-21 ont démarré avec de grands discours très consensuels, à quelques exceptions près, autour de la La photo de groupe (partielle) de la COP-21La photo de groupe (partielle) de la COP-21nécessité de tenir l'objectif des 2°C. Les annonces concrètes qui se succèdent depuis plusieurs jours montrent que de nombreux acteurs politiques et économiques prennent au sérieux ce nouveau cadrage de l'activité économique. Et d'abord pour le cœur du sujet, le plus dur, les énergies fossiles, charbon, gaz et pétrole. Électrification des transports, investissements massifs dans les énergies renouvelables solaires et éoliennes, décision récente du gouvernement américain en faveur de la poursuite de l'option nucléaire, progrès sur les procédés de capture et stockage du CO2 dans le sous-sol, discussions sur le prix des taxes sur le carbone, engagements de collectivités locales sur des politiques de limitations des émissions par l'urbanisme et les transports collectifs... D'autres sujets, comme l'agriculture et ses émissions de méthane, ou à l'inverse les alternatives - agro-foresterie, meilleur équilibre entre élevage et cultures végétales - susceptibles de diminuer les émissions ou de stocker le CO2 dans les sols, sont intensément discutés. Ainsi que la déforestation tropicale et les politiques permettant de la limiter aux stricts besoins alimentaires des populations en croissance, voire des initiatives comme la grande muraille verte en Afrique, au Sahel, qui reçoit de nouveaux soutiens financiers.

la crainte de voir la COP-21 ne "servir à rien" est d'ores et déjà à écarter. Mais entre ce niveau d'action et celui nécessaire pour ne pas dépasser les 2°C il y a encore un vaste écart. La conscience en existe, on le voit dans l'exigence de "clauses de revoyure" à mettre dans le texte, tous les cinq ans par exemple, pour ajuster les objectifs à la hausse.

La satisfaction des besoins élémentaires des trois milliards d'êtres humains

Cacophonie climatiqueCacophonie climatiqueCette situation, ce constat d'insuffisance des politiques affichées à la COP-21 présente un mérite majeur : celui de dire la vérité. Oui, l'Humanité n'est pas en capacité de fixer la route qui permet de ne pas dépasser les 2°C, comme je le souligne dans mon livre "les dessous de la cacophonie climatique". Il vaut mieux le dire que de le cacher.
Cette incapacité tient à des réalités dures: le système économique dominant, fondé sur de fortes inégalités sociales et une confiance aveugle dans les mécanismes de marché capitaliste, il produit des milliardaires et des pauvres, des développements agressifs et destructeurs de territoires tandis que d'autres sont délaissés au prétexte des "avantages comparatifs", exige des comportements consuméristes dopés par une publicité qui envahit les esprits et souvent les avilit.
Ce système est-il compatible avec les exigences d'une politique climatique sérieuse ? Ses défenseurs et surtout ceux qui en profitent le plus vont tenter de le sauver tout en limitant les dégâts car c'est une nécessité pour leur maintien au pouvoir politique sur la durée. Voire tenter de trouver de nouvelles sources de profits dans le capitalisme vert. Mais "limiter les dégâts" ne suffira pas.
Graphique de l'étude DDPP IDDRI.Graphique de l'étude DDPP IDDRI. Une autre réalité dure est que la satisfaction des besoins élémentaires des trois milliards d'êtres humains qui vivent le plus mal sur la planète ne pourra être obtenue sans qu'ils puissent accéder à plus d'énergie qu'aujourd'hui, et, au moins dans les trois décennies à venir, l'énergie fossile y contribuera fortement.
Dans les pays déjà développés, industrialisés, mais où le chômage de masse sévit en raison de l'incapacité à redistribuer les progrès de productivité et de la délocalisation massive des activités de production vers les pays à main d'oeuvre pas chère, la question est celle de l'emploi. Aucune politique climatique qui ne serait pas liée à cette question sociale, voire l'aggraverait, n'y sera acceptée par l'électorat dans les pays démocratiques, par l'opinion publique dans les dictatures.
Production électricité DDPP IDDRIProduction électricité DDPP IDDRILes graphiques ci-contre, tirés de l'étude Pathway to deep decarbonization de l'IDDRI ( ici en pdf), indiquent les trajectoires d'émissions des pays émettant l'essentiel du CO2 lié à l'énergie, dans un "chemin" qui permet d'arriver à une diminution de moitié de leurs émissions globale en 2050, puis, en dessous, les technologies utilisées pour leurs systèmes électriques. On est là très loin des discours emphatiques sur "la planète et les ours polaires" qu'il faudrait sauver, et en plein dans le "cambouis" du vrai problème climatique.
Ce sont ces réalités dures qui interdisent d'espérer que la COP-21 trace le chemin vers les 2°C. Du coup, introduire un autre objectif, qui lui ne peut être atteint pour des raisons physiques, car il est en réalité déjà là dans le système climatique planétaire, ne peut qu'obscurcir les débats nécessaires.

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