dimanche 6 décembre 2015

COP21: «Il faudrait que toutes les nouvelles usines soient équipées de systèmes de captation du CO2»


De la fumée s'échappe d'une usine d'ArcelorMittal à Bottrop en Allemagne, le 29 décembre 2014 
Et si tout le CO2 émis par les activités humaines partait sous terre plutôt que dans l’atmosphère ? L’idée semble trop simple pour être crédible. Et pourtant, la capture et le stockage du CO2 est une des pistes très sérieusement envisagée par la communauté internationale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le principe : en captant le dioxyde de carbone à la sortie des cheminées d’usine, on le réinjecte dans des sites de stockage en sous-sol. Est-ce bien sans risque ? Samuel Marre, chercheur au CNRS à l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux, fait le point sur cette technologie.

Aujourd’hui, comment capte-t-on et stocke-t-on du CO2?

Les technologies sont les mêmes que celles utilisées par les pétroliers américains qui, depuis une quinzaine d’années, injectent du CO2 dans le sol pour pousser le pétrole qui est au fond. C’est ce qu’on appelle la récupération assistée du pétrole, une technique bien rôdée et fiable. En revanche, pour du stockage pur et dur de CO2, il n’y a encore aucun site en fonctionnement. Seuls des démonstrateurs existent : il y en a environ cinquante dans le monde, notamment en Allemagne et en Espagne, qui ne traitent que des petits volumes de CO2. Le plus grand au monde est dans la mer du Nord, où on injecte environ 1 million de tonnes par an sur le site d’une ancienne plateforme pétrolière.

Quels types de sites pourraient être utilisés pour stocker du CO2?

On peut le faire sur trois types de sites. Il y a d’abord les mines de charbon désaffectées. Ces veines ne sont pas trop loin sous la surface terrestre, mais elles présentent le risque que le CO2 ressorte et leurs capacités de stockage sont relativement faibles. La deuxième solution est d’utiliser les puits de pétrole, où le CO2 peut être utilisé pour faire pression. Là encore, les capacités restent faibles. Enfin, le plus prometteur, mais qui n’est malheureusement pas encore très utilisé, est de stocker le CO2 dans des aquifères. Ces sites, constitués d’eau salée posée sur un lit de sable à plus d’un kilomètre de profondeur, ont l’avantage d’être couverts d’une roche très imperméable : on est sûr que le CO2 ne ressortira pas. De plus, il y a beaucoup d’aquifères tout autour du monde, les capacités de stockage sont énormes.

En France, quelles régions pourraient être géologiquement adaptées au stockage?

Le plus grand aquifère en France est le bassin parisien, on pourrait y stocker du CO2 à environ 2.000m de profondeur. Il y a probablement des aquifères utilisables sur la côte Atlantique. Et il serait intéressant de faire un démonstrateur sur le site de Lacq (Pyrénées-Atlantiques), car on le connaît parfaitement après y avoir exploité du gaz pendant des années.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la capture et le stockage du CO2 pourraient faire baisser les émissions de CO2 mondiales de 19% d’ici à 2050. Cela vous semble crédible?

Si on voulait capter toutes les émissions de CO2, il faudrait pouvoir stocker 30 milliards de tonnes par an.  On aurait la place de le faire, mais il faut faire des études sismologiques en amont. Les prévisions de l’AIE me semblent crédibles. Il faudrait maintenant que toutes les nouvelles usines partout dans le monde soient équipées de systèmes de captation du CO2.

Est-ce rentable pour les entreprises de se doter de ces systèmes?

Capturer le CO2 coûte cher actuellement. Pour que ce soit rentable, il faudrait que la tonne de CO2 captée coûte entre 10 et 15 dollars, alors qu’aujourd’hui cela coûte entre 45 et 50 dollars. Si les technologies progressent et que le coût baisse, les entreprises seront plus intéressées. Idem si le prix de la tonne de CO2 émise augmente.

Est-ce qu’on ne pourrait pas utiliser ce CO2 plutôt que simplement l’enfouir?

Il y a beaucoup de recherches là-dessus. On pense à transformer le CO2 en méthane, qui peut être brûlé et utilisé pour produire de l’électricité. On pourrait aussi faire pomper le CO2 par des réacteurs aux bioalgues ou utiliser les bactéries en profondeur, celles qui ont fait du pétrole et du gaz par le passé, pour régénérer une partie du CO2 et le transformer en méthane réutilisable. Le problème, c’est que certains de ces procédés nécessitent beaucoup d’énergie et émettent plus de carbone qu’ils n’en récupèrent.

Les ONG sont assez réticentes à cette technologie, évoquant des risques de fuites des sites de stockage, ou reprochant de repousser le problème dans le temps, comme pour les déchets nucléaires. Ces craintes sont-elles justifiées?

Concernant les risques de fuites, c’est intéressant de faire des stockages offshore car sous l’eau, à une certaine pression, le CO2 forme des cristaux d’hydrates qui colmatent eux-mêmes la fuite. Dans le sol, on sait que le CO2 injecté finit par devenir liquide et très dense : son volume est 700 fois inférieur dans le sol à ce qu’il est dans l’air. Si la méthode est bien maîtrisée, on peut donc stocker des quantités énormes de CO2 qui, au bout de quelques centaines d’années, vont se transformer en simple calcaire. Je comprends les inquiétudes mais nous travaillons à sécuriser ces procédés.

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