En visite à Paris à l’occasion de la COP21, le président de l’Equateur, dont le pétrole représente plus de la moitié des exportations, plaide pour une transition énergétique et l’instauration d’un « crime contre la nature » en droit international.
A
l’ouverture de la 21e conférence des parties (COP21) de la
Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, vous avez appelé à la création d’un tribunal pénal international sur l’environnement. Pourquoi une telle institution est-elle nécessaire ?
Rafael Correa : Certains problèmes environnementaux ont des effets locaux, d’autres qui ont des conséquences globales. Les premiers peuvent être
traités par des juridictions nationales, les seconds doivent être jugés
par un tribunal international. Il existe des tribunaux internationaux
pour défendre les investissements ou faire
payer des dettes financières parfois assez illégitimes, mais il n’en
existe pas pour défendre quelque chose d’aussi important que la nature
et l’environnement, ou pour faire payer les dettes écologiques qui sont
contractées. Nous avons besoin d’un tel tribunal international, fondé
sur un accord contraignant disant qui doit juger, qui doit payer et qui doit être puni.
Quelles sont l’ambition et les moyens de la transition énergétique en cours en Equateur ?
C’est une révolution énergétique qui touche l’offre et la demande. Pour ce qui est de l’offre, nous sommes en train de bâtir huit barrages hydroélectriques, qui vont doubler
la puissance électrique de l’Equateur. On va aussi faire de l’Equateur
le leader de la production électrique la plus compatible avec la
préservation de l’environnement : 92 % de l’énergie électrique va venir de sources hydriques. C’est une énergie renouvelable, non polluante. Lorsque je suis arrivé au pouvoir, la moitié de notre énergie électrique venait des combustibles fossiles. En outre, nous sommes en train de remplacer
toutes les cuisinières des familles équatoriennes par des cuisinières
électriques à induction, très efficaces. Nous sommes aussi en train de changer le réseau électrique pour limiter les pertes et accroître l’efficacité. Nous travaillons pour faire baisser la demande et maintenir l’offre, tout en la rendant non polluante.
En 2007, vous proposiez à la communauté internationale de financer la préservation de la biodiversité unique du parc national Yasuni, en dédommageant l’Equateur qui s’engageait à renoncer à y exploiter
les réserves pétrolières. Vous avez finalement renoncé, annonçant que
le pétrole du Yasuni serait exploité. Pourquoi n’avez-vous pas attendu
la possible mise en place de mécanismes financiers pérennes de compensation, qui pourraient se décider à la COP21 ?
A l’échelle du monde, l’Equateur est un pollueur marginal. Avec notre initiative Yasuni-ITT [du nom du champ pétrolifère « Ishpingo-Tambococha-Tiputini »], nous voulions contribuer à la préservation de la planète. Il ne s’agissait pas de protéger
le Yasuni, car l’avenir du parc n’est pas en danger, avec ou sans
pétrole. Les forages toucheront 250 hectares sur le million que compte
le parc. Mais brûler le brut extrait de son sous-sol signifie injecter dans l’atmosphère environ 400 millions de tonnes de CO2. Nous avions donc proposé de laisser
ce pétrole sous terre, un immense sacrifice économique pour les
Equatoriens, en échange d’une compensation financière des grands
pollueurs, coresponsables de notre situation.
Aujourd’hui, le pétrole représente plus de la moitié des exportations de l’Equateur. Avez-vous des plans pour libérer votre économie de cette dépendance ?
Bien sûr. Nous avons des plans pour passer
d’une économie basée sur des ressources non renouvelables à une
économie basée sur les seules ressources illimitées : la connaissance,
le talent, l’innovation. C’est pour cela que nous avons le plus grand
programme de bourse de l’Amérique latine. C’est pour cela que nous soutenons très fortement l’éducation, l’enseignement supérieur.
Mais il y a une contradiction : on dit toujours que ce n’est pas l’Etat
qui doit tout faire. Le pétrole, c’est l’Etat, c’est 52 % de nos
exportations. Pourquoi le secteur privé n’augmente-t-il pas sa part dans
les exportations ?
Où en sont les projets de concessions pétrolières accordées dans les zones encore vierges de l’Amazonie équatorienne ?
La partie sud de l’Amazonie [équatorienne] est encore presque inexplorée. Il faut d’abord explorer, pour passer ensuite à l’exploitation, ce qui va prendre quelques années. Mais il faut profiter
de nos ressources. C’est cela que j’ai proposé au peuple équatorien,
très clairement, et nous avons gagné de loin au premier tour, avec
presque 60 % des suffrages. Nous avons dit clairement que nous allions utiliser jusqu’à la dernière goutte de pétrole pour sortir au plus vite de la pauvreté.Comment gérez-vous l’opposition des populations locales ?
«
La chute du prix du baril de pétrole est mauvaise pour nous, mais bonne
pour les Américains en pleine croissance. Cependant, sortir du dollar
entraînerait pour les Equatoriens le chaos économique, social et politique ».
Il y a beaucoup d’exagération, surtout en Europe, où le mythe du bon sauvage reste vivace. Nous avons quatorze nationalités indigènes en Equateur. Une famille indigène du XXIe siècle sans électricité, sans soins de santé, sans eau potable ni éducation, ce n’est ni de la culture
ni du folklore, mais de la misère, de l’exploitation, de l’injustice.
Comme n’importe quel groupe humain, ces communautés veulent accéder
aux avantages de la modernité. Cependant, il y a des organisations non
gouvernementales (ONG) étrangères, européennes, qui payent très bien des
dirigeants indigènes pour s’opposer à tout. Certaines ONG sont
infantiles. On est passés d’un extrême à l’autre. Avant, seule
l’humanité comptait dans la nature. Aujourd’hui, il y a des ONG qui
veulent dépeupler les Galapagos, alors que les îles sont habitées depuis deux siècles.Les critiques vous dérangent ?
Dans une démocratie, on a le droit de s’opposer, mais pas de mentir. J’ai vécu en Europe, un homme politique qui ment en paye le prix. En Amérique latine, politiciens et journalistes mentent beaucoup. Il faut être intolérant contre le mensonge, c’est une forme de corruption ou manipulation. Discutons sur la base d’idées, de la vérité.
Pourquoi n’avez-vous pas mis fin à la dollarisation de l’économie ?
La dollarisation de l’économie équatorienne a été une atrocité technique et sociale, sans oublier la perte de souveraineté que représente le fait de ne pouvoir utiliser sa propre monnaie. Le taux de change est le principal instrument pour contrôler les crises extérieures, c’est le talon d’Achille des pays en développement. Avoir une monnaie commune avec d’autres pays implique de partager les cycles économiques, ce qui n’est pas le cas de l’Equateur et des Etats-Unis. La chute du prix du baril de pétrole est mauvaise pour nous, mais bonne pour les Américains en pleine croissance. Cependant, sortir du dollar entraînerait pour les Equatoriens le chaos économique, social et politique. C’est impossible. Notre décision a donc été de maintenir la dollarisation, tout en profitant de ses avantages, comme le contrôle de l’inflation et la possibilité d’avoir des investissements à long terme.
Président depuis 2006, allez-vous briguer un quatrième mandat ?
Franklin Delano Roosevelt a été élu quatre fois président des Etats-Unis, après avoir surmonté la grande dépression. Je suis favorable à l’amendement constitutionnel qui autorise la réélection indéfinie. Cela étant, pour éviter d’en bénéficier moi-même, je me suis engagé à ne pas me représenter à la présidentielle de 2017.
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Paulo A. Paranagua
Journaliste au Monde
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Stéphane Foucart
Journaliste au Monde
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