Quito - Loin du point final, la condamnation définitive de Chevron à une amende record pour pollution en Equateur n'est qu'un épisode dans le feuilleton politico-judiciaire né dans la forêt amazonienne pour se poursuivre devant les cours internationales.
Le combat entre le géant pétrolier américain et le plus petit membre de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) vient de rebondir avec la confirmation de la responsabilité de la compagnie par la Cour suprême de Quito, qui a toutefois divisé de moitié son amende, la ramenant à 9,5 milliards de dollars.
Les dégâts dans la forêt amazonienne remontent à l'exploitation pétrolière par la compagnie américaine Texaco, qui a opéré en Equateur entre 1964 et 1990, avant d'être rachetée par Chevron, qui juge «illégitime» cette sanction.
«Les deux camps vont lutter à mort dans une série de contentieux juridiques jusqu'à ce que plusieurs juges décident qui a raison. C'est un rapport de force. Et cela ne fait que commencer», estime auprès de l'AFP Xavier Andrade, professeur spécialisé dans les arbitrages à l'Université San Francisco de Quito.
Le pétrolier, qui incrimine la compagnie d’État équatorienne Petroecuador dans les dégâts environnementaux, a porté l'affaire devant une cour de New York et un tribunal d'arbitrage international de La Haye, où Chevron assure avoir été exonéré de toute poursuite collective, version réfutée par Quito.
Sa défense est devenue plus agressive puisque la compagnie met en cause la corruption d'un magistrat équatorien et l'ingérence du gouvernement.
Une «longue course d'endurance»
Selon M. Andrade, le conflit est «tellement acéré» qu'il s'est invité sur le terrain diplomatique et politique.
Le président Rafael Correa, dirigeant socialiste aux relations conflictuelles avec les États-Unis, a lancé une campagne internationale de boycottage contre Chevron, accusé d'être responsable d'un des «pires désastres environnementaux de la planète».
L'affaire a même pris une tournure rocambolesque, le chef de l'Etat ayant affirmé que ses courriers personnels avaient été interceptés puis utilisés par Chevron pour plaider sa cause.
Poursuivie à l'origine par quelque 30.000 indigènes de la région souillée par du brut, la compagnie avait été condamnée en 2011 par la cour de la province amazonienne de Sucumbios (nord) à une amende de 9 milliards de dollars.
Le montant avait été doublé au motif qu'elle n'avait pas présenté d'excuses. Ce qu'a finalement infirmé la Cour suprême, tout en maintenant l'obligation de Chevron d'indemniser le «Front de défense de l'Amazonie», qui regroupe les plaignants.
Ces derniers ont annoncé leur intention de multiplier les procédures pour obtenir un gel sur les actifs de la compagnie dans une trentaine de pays, dont le Brésil et le Canada. Une décision qu'avait déjà prise un magistrat en Argentine, avant d'être finalement annulée.
La décision de la justice équatorienne «renforce les actions des plaignants pour l'exécution de la sentence dans plusieurs pays», estime leur avocat Juan Pablo Saenz.
En Equateur, un magistrat a ordonné une saisie des marques de Chevron, mais cela demeure symbolique: la deuxième compagnie des Etats-Unis, qui a fait 11,5 milliards de dollars de bénéfice au premier semestre 2013, n'opère plus dans le pays, où elle n'a pas d'actifs.
Face au risque de perdre sur le terrain judiciaire, le pays latino-américain a déjà tiré la sonnette d'alarme.
«Une sentence en défaveur de l’Équateur devant le tribunal de La Haye pourrait ruiner le pays», a clamé le mois dernier le ministre équatorien des Affaires étrangères, Ricardo Patiño.
La possibilité d'un arrangement à l'amiable s'éloigne ainsi de plus en plus. «Il n'y a pas de jugement qui puisse prévaloir sur un autre. Et les parties vont donc se lancer dans une longue course d'endurance», confie à l'AFP sous couvert d'anonymat un avocat internationaliste.
Même réduite de moitié, l'amende infligée à Chevron en Equateur représente l'une des plus fortes dans l'histoire du droit de l'environnement, dépassant celle de 4,5 milliards de dollars infligée à ExxonMobil pour la marée noire de l'Alaska en 1989.
© 2013 AFP
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