jeudi 1 janvier 2015

On peut faire des têtards sans casser les œufs

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Un couple de Limnonectes larvaepartus (le mâle à gauche)

L’herpétologiste américain Jim McGuire n’en est toujours pas revenu. Lorsque l’été dernier, crapahutant dans la forêt indonésienne de l’île des Célèbes, ses yeux aiguisés se sont posés sur une petite grenouille verte de 5 cm, il a d’abord ressenti un vif plaisir.

Spécialiste reconnu du genre, le chercheur de l’université de Berkeley, en Californie, ne se souvenait pas avoir déjà vu ce petit animal. Mais c’est lorsqu’il a attrapé ce qu’il pensait être un mâle que la véritable surprise, suivie d’une intense émotion, l’a saisi. Dans ses mains, une douzaine de petits têtards, tout juste nés, rampaient tranquillement. Le biologiste venait de mettre au jour ce qu’il cherchait depuis longtemps : la preuve vivante que certaines grenouilles pouvaient directement donner naissance à des larves, sans passer par le stade de l’œuf. La découverte est rendue publique mercredi 31 décembre, dans le journal PLoS One.
Baptisé Limnonectes larvaepartus, l’animal avait déjà été observé par le scientifique indonésien Djoko Iskandar. Il appartient au petit groupe des grenouilles à crocs, ainsi nommé en raison des deux dents qui pointent sur leur mâchoire inférieure. Quatre d’entre elles, vivant dans les Célèbes, ont déjà été précisément décrites : des bestioles pesant 2 à… 900 grammes. Les chercheurs sont cependant convaincus que la forêt profonde indonésienne cache encore une vingtaine d’autres espèces de ce type.
Mais la grande nouvelle tient dans la façon dont le batracien se reproduit. Chez l’écrasante majorité des grenouilles, le mâle fertilise les œufs tout juste pondus par la femelle et souvent disposés en blocs ou en chapelets . Au bout de quelques jours, les membranes se brisent et font place à des larves – les têtards. Encore quelques semaines, ou quelques mois suivant les espèces, et des grenouilles en bonne et due forme sautent sur le sol ou nagent dans les rivières.

6 000 espèces répertoriées

Parmi les quelque 6 000 espèces répertoriées à travers la planète, « il en existe dix ou douze pour lesquelles la fécondation est dite interne », souligne Jim McGuire. Tout près de Berkeley, dans les trois États de l’ouest américain, la grenouille à queue côtière a même développé une sorte de pénis qui lui permet d’introduire le sperme dans sa congénère. Mais soit ces amphibiens pondent des œufs, soit, dans le cas de deux espèces africaines notamment, ils sautent allègrement la case têtard et donnent directement naissance à des petites grenouilles.
Limnonectes larveapartus, elle, a choisi le milieu du gué. Les larves, sans les œufs. Du jamais vu. Les têtards sont « déposés » par les femelles dans des mares, souvent éloignées des cours d’eau où vivent d’éventuels prédateurs. D’après les premières observations, les mâles se chargeraient de protéger leur progéniture.

Eclosion par la bouche

Dans la famille grenouille, le nouvel arrivant va pouvoir enrichir un paysage reproductif « déjà bien varié », comme dit McGuire. Certains amphibiens portent ainsi leurs œufs dans des poches dorsales, d’autres couvent les têtards dans leur bouche ou dans leur sac vocal, quand ils ne les transportent pas dans les plis de leur dos. Deux espèces particulièrement insolites de grenouilles n’ont rien trouvé de plus sûr que d’avaler leurs œufs, une fois ceux-ci fécondés. Couvés à l’intérieur de l’estomac, les œufs y éclosent et viennent donc au monde par la bouche. Audacieux ? Toutes deux ont en tout cas disparu, pour le plus grand malheur de Jim McGuire.
Car le biologiste a toujours aimé les animaux singuliers. Il porte ainsi une affection toute particulière au lézard volant, une « spécialité » des Célèbes. L’île semble d’ailleurs abriter un nombre particulièrement élevé d’espèces étranges et McGuire s’est donné pour but d’en comprendre les raisons. Sont-elles apparues lorsque les Célèbes se composaient d’un ensemble de petites îles, il y a 8 à 10 millions d’années ? Sont-elles au contraire nées après la fusion des îlots ? Le biologiste va désormais pouvoir pleinement poursuivre sa recherche, un temps troublé par la découverte de cette curieuse grenouille.

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