Une guerre sourde fait rage sur la petite île bretonne de Sein,
particulièrement vulnérable au changement climatique, entre partisans
d'une énergie 100% verte et opposants soutenus par EDF.
«Le
changement climatique fait monter le niveau de la mer et ici on est
directement menacés», explique Serge Coatmeur, gardien du phare de ce
petit bout de rocher posé au large de la pointe du Raz (Finistère), et
sur lequel ne résident au creux de l'hiver que quelque 120 personnes.
L'homme
fait partie de la quarantaine de Sénans qui veulent se passer du fioul,
nécessaire au fonctionnement des groupes électrogènes de l'île.
Objectif: ne plus dépendre que du vent, des courants marins et du
soleil.
En 2014, «nous avons eu cinq tempêtes successives et la
mer a encore grignoté de la terre», explique François Spinec, l'un des
derniers pêcheurs de Sein, lui aussi favorable au projet.
L'altitude
moyenne de l'île culmine à... 1,5 mètre. Pour faire face à la houle,
près de trois kilomètres de digues - autant que la longueur du confetti -
y ont été construites.
«On ne peut pas rester les bras croisés,
on doit faire quelque chose, même si à notre échelle ça peut paraître
dérisoire», plaide M. Spinec, de son regard bleu azur.
De cette
prise de conscience a germé en 2008 l'idée de remplacer par une
éolienne, quelques petites hydroliennes et des panneaux solaires les
trois groupes électrogènes fonctionnant au fioul et dont la combustion
produit du gaz carbonique (CO2), l'un des gaz à effet de serre à
l'origine du réchauffement climatique.
Chaque année, ces moteurs
brûlent 420.000 litres de fioul, portant le prix du KWh produit à 45
centimes, huit fois plus que son prix de vente, fixé réglementairement à
5 centimes. La différence, 450.000 euros par an, est financée via la
contribution au service public de l'électricité (CSPE), une taxe
prélevée au niveau national sur les factures d'électricité (entre 10 et
13% du montant de celles-ci).
- Un système «verrouillé» -
Pour
l'ensemble des îles dont le réseau électrique n'est pas relié au
continent, comme Sein, mais également Ouessant, la Corse ou les DOM, EDF
a dépensé 1,65 milliard d'euros en 2014 pour acheter du fioul (ou du
charbon), soit près de 27% des recettes de la CSPE - davantage connue
comme étant un soutien aux énergies renouvelables -, selon la Commission
de régulation de l'énergie (CRE).
«Le fioul va être de plus en
plus cher au cours des prochaines années, c'est catastrophique»,
souligne François Spinec, qui, avec une quarantaine de Sénans, a créé en
juillet 2013 l'entreprise Ile de Sein Energies (IDSE) avec la volonté
de faire de l'île un territoire alimenté à 100% par des énergies vertes,
ce qui serait une première en France.
Les auteurs du projet
dénoncent cependant l'opposition d'EDF, à qui la loi a confié
l'exclusivité du service public de l'électricité sur les îles non
raccordées au réseau électrique continental, de la production à la
fourniture.
«On ne peut pas considérer qu'on s'oppose à leur
projet puisqu'on n'a été saisi d'aucune demande», répond à l'AFP
l'électricien, qui indique être en train de plancher, en lien avec la
mairie, sur un projet d'installation d'une ou deux éoliennes, couvrant
de 40 à 50% des besoins.
Mais pas davantage, car la réglementation
sur les territoires insulaires limite à 30%, selon EDF, la puissance
d'énergie dite intermittente (éolien, photovoltaïque...), en raison d'un
risque de coupure. D'où la nécessité, selon l'électricien, de prévoir
des installations de stockage d'électricité lorsque la production
dépassera ce seuil.
«C'est un système mis en place par EDF et
verrouillé», regrette Serge Coatmeur, qui réclame un droit à
l'expérimentation, expliquant que pour soumettre le projet à EDF il
faudrait réaliser des études d'un coût de 400.000 euros. «On veut avoir
l'assurance qu'ils ne s'y opposeront pas avant de réaliser de telles
études», abonde Patrick Saultier, ingénieur à la tête d'IDSE et à
l'origine, à Plélan-le-Grand, près de Rennes, d'un des premiers parcs
éoliens citoyens en France.
Une prudence qui s'explique en partie
par la mésaventure récemment vécue par le groupe Quadran sur l'île de
Miquelon (600 habitants), au large du Canada. Début 2014, les 10
éoliennes exploitées depuis 2000 par le groupe ont dû être démontées
pour des raisons économiques, et l'île est repassée au tout thermique
via des centrales au fioul.
- 100%: «ce n'est pas possible» -
La
ferme éolienne «n'a jamais été autorisée à produire à pleine capacité»,
déplore Jérôme Billerey, directeur général de Quadran, dénonçant
l'usage prioritaire des groupes électrogènes d'EDF, qui de son côté met
en avant la «sécurité du réseau».
«EDF craint de perdre le
monopole du réseau de distribution sur les îles non connectées», juge M.
Saultier, fervent défenseur des projets locaux impliquant la
population, s'interrogeant sur le versement par EDF, fin 2012, d'une
subvention de 25.000 euros à la Société nationale de sauvetage en mer
(SNSM) de Sein, et cela quelques jours après l'unique rencontre entre un
représentant de l'électricien et les porteurs du projet IDSE.
Un
versement intervenu peu avant que l'ancien maire, Jean-Pierre Kerloc'h,
très favorable au projet dans un premier temps, ne décide finalement de
se rallier à EDF.
Une île 100% verte «ce n'est pas possible»,
assure également l'actuel maire Dominique Salvert, lors d'un bref
échange avec l'AFP. «On tendra vers une énergie renouvelable le plus
qu'on pourra, mais on ne sera jamais à 100%, ceux qui disent ça disent
des mensonges», assure-t-il.
Ambiance... Dans les étroites
ruelles de Sein, conçues pour résister aux tempêtes, les regards
désormais se font fuyants. Les porteurs du projet IDSE sont persuadés du
bien-fondé de leur entreprise, qui pourrait voir le jour selon eux dans
le cadre du projet de loi sur la transition énergétique, récemment
adopté en première lecture à l'Assemblée nationale et prochainement en
débat au Sénat.
Un amendement rejeté par les députés mais qui
pourrait refaire surface à la haute assemblée vise à donner aux îles non
connectées de moins de 2.000 habitants - à savoir Sein, Molène,
Ouessant et les Glénans (Finistère) mais aussi Chausey (Manche) - la
possibilité d'opter pour un autre opérateur qu'EDF. Cet opérateur
pourrait y mener des expériences alternatives en matière d'énergies
vertes. Il accepterait en contrepartie les contraintes du service
public, mais bénéficierait de la CSPE.
«Tous les territoires
insulaires doivent avoir le droit de monter des projets d'autonomie
énergétique», a récemment assuré à l'AFP la ministre de l'Ecologie,
Ségolène Royal, interrogée sur le projet IDSE. «On va regarder»,
a-t-elle ajouté, laissant entendre qu'elle se pencherait sur le rêve de
ces insulaires de faire de leur rocher une vitrine de la transition
énergétique en France, tout comme le sont devenues trois autres îles, de
taille similaire, en Europe: El Hierro (Espagne), Eigg (Ecosse) et
Samso (Danemark).
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