vendredi 17 avril 2015

La santé radiologique des rivières


Introduction


​ La préservation de la ressource en eau est un enjeu majeur. Aussi, et comme pour les autres compartiments de l’environnement, l’IRSN assure une surveillance des fleuves et des rivières qui vise à garantir la protection des populations et des écosystèmes.
Comment s’exerce cette surveillance ? Que mesure-t-on à l’aval des centrales ? Que représentent  les rejets hospitaliers ? Peut-on retracer la pollution d’un fleuve  à partir de ses sédiments ? Experts de l’IRSN et acteurs de la société civile apportent leurs éclairages.


Comme pour les autres compartiments de l’environnement, l’IRSN assure une surveillance des fleuves et des rivières qui vise à garantir la protection des populations et des écosystèmes. « Ce suivi permet de dire l’état de santé du milieu aquatique », explique Jean-Christophe Gariel, directeur de l’environnement à l’IRSN.
À la différence des exploitants, responsables de la surveillance autour de leur site, la mission de l’Institut s’étend à l’ensemble du territoire et à une triple échelle : locale, régionale et nationale. Cette surveillance englobe toutes les sources de rejets radioactifs : centrales nucléaires, usines de combustible, centres de recherche, hôpitaux et laboratoires médicaux.
Les mesures portent sur le rayonnement alpha global, le rayonnement bêta global et le niveau de tritium, soit les trois indices pris en compte pour le contrôle sanitaire des eaux de consommation, également utilisés pour la surveillance des écosystèmes aquatiques.

Suivre toutes les sources de rejets radioactifs
« Depuis une trentaine d’années, les radionucléides dus aux activités humaines n’ont cessé de baisser dans le réseau fluvial », précise Jean-Christophe Gariel. Et Valérie Bruno, spécialiste de la veille environnementale à l’IRSN d’ajouter : « D’une manière générale, la radioactivité ajoutée par l’homme aux rayonnements naturels reste faible et bien en deçà des seuils susceptibles d’avoir des effets sur les populations. »
Aujourd’hui, l’analyse radiologique détecte d’abord le 'bruit de fond' de la radioactivité naturelle. « Présent en amont comme en aval des installations nucléaires, ce signal reflète la nature géologique des terrains traversés par les cours d’eau », annonce Olivier Pierrard, expert en surveillance de l’environnement à l’IRSN.
Les rivières conservent également les traces des retombées des essais nucléaires atmosphériques antérieurs à 1980 et de l’accident de 1986 à la centrale nucléaire ukrainienne de Tchernobyl. Dans ce dernier cas, il s’agit de traces de césium 137 que le lessivage des sols par les pluies continue de drainer vers le réseau fluvial.
« Les rejets actuels contribuent marginalement à l’apport de radionucléides artificiels », ajoute Olivier Pierrard. Les principaux marquages concernent le tritium et, dans une moindre mesure, le carbone 14 produits par les centrales sous la limite des rejets autorisés. On retrouve aussi l’iode 131 issu de la médecine nucléaire.

Abaisser les limites de détection d’un facteur 100 
Sauf pour le tritium, faiblement radiotoxique, et l’iode 131, les quantités mesurées diminuent au fil des ans du fait de la maîtrise croissante de leurs rejets par les exploitants, et ce même si des progrès peuvent encore être faits pour la gestion des effluents.
« Aujourd’hui, déceler la radioactivité devient très difficile avec des moyens classiques », précise Jean-Christophe Gariel. Cette situation amène l’IRSN à faire évoluer sa stratégie de surveillance.
Au plan local, cette veille radiologique s’appuie sur un réseau d’hydrocollecteurs implantés à proximité des centrales. Ils permettent d’analyser des échantillons d’eau et de matières en suspension. Des prélèvements ponctuels de sédiments ou d’organismes aquatiques – algues, mollusques, poissons… – et des sondes mobiles de télémesure, utilisées notamment à l’entrée de stations d’épuration urbaines, complètent le dispositif.
Prélevement d'eau et de sédiments en CorrèzeLes constats radiologiques régionaux s’éloignent des installations pour prendre une « photographie » de l’état radiologique d’un territoire. L’eau est au cœur de ces études, réalisées le plus souvent à partir de campagnes de prélèvements dans un bassin versant comme le Val de Loire et la  Vallée du Rhône. L’IRSN assure aussi la surveillance  de l’environnement autour des anciennes mines d’uranium en France, dont le premier constat radiologique minier a concerné le bassin de la Dordogne.
À l’échelle nationale, l’IRSN gère, avec Hydrotéléray, un réseau de balises de mesure en continu de la radioactivité dans les principaux fleuves en aval des installations nucléaires. Pour rendre cette surveillance plus efficace, les experts de l’Institut développent des outils. Par exemple, le compteur à scintillation liquide (Aloka), qui mesure le tritium par spectrométrie de masse, abaisse d’un facteur 100 les limites de détection par rapport aux moyens classiques.
« L’enjeu est de pouvoir continuer à tracer la décroissance de la radioactivité dans l’environnement afin d’apporter des réponses crédibles et chiffrées aux interrogations de la société », souligne Jean-Christophe Gariel. L’autre priorité est « d’optimiser les plans de surveillance avec des moyens qui ne doublonnent pas avec ceux des exploitants. Le développement des constats radiologiques régionaux en est l’illustration. »


Des dispositifs de contrôle permettent de s’assurer qu’à aucun moment les effluents radioactifs ne dépassent les limites de rejets autorisées pour chaque centrale. Ils jouent aussi un rôle d’alerte en cas d’incident.

98  % de l’eau prélevée par une centrale dans un fleuve, une rivière ou la mer, principalement pour refroidir les réacteurs, est restituée au milieu naturel, alors que les 2% restants s’évaporent pour refroidir les réacteurs. Toutefois, une centrale produit aussi des eaux usées contenant des traces de radioactivité.
« Pour une installation nucléaire, tout rejet dans l’environnement qui n’est pas spécifiquement autorisé est interdit », rappelle Michel Chartier, expert en radioprotection à l’IRSN. Ce principe de la réglementation française se double d’un autre : « Il n’existe pas de limite générale de rejets. Les quantités maximales de radionucléides permises dans les effluents sont propres à chaque installation et toujours les plus basses possibles. L’exploitant doit utiliser les meilleures techniques disponibles pour réduire ses émissions de polluants à la source. »

L’autorisation de rejet et son expertise
Avant la mise en service de l’installation, l'exploitant va effectuer une demande d’autorisation de rejet et de prélèvement d’eau auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ce document spécifie les types de radionucléides et les niveaux d’activité qui vont être rejetés. L’ASN délivre une autorisation qui devra être renouvelée à chaque modification substantielle de l’installation ou de la réglementation.
Lors de la demande d’autorisation, l’IRSN vérifie que les meilleures techniques disponibles ont été mises en œuvre pour réduire les émissions de polluants à la source. Il effectue des études d’impact sanitaire indépendantes de celles réalisées par EDF.
« Il s’agit d’estimer la dose maximale qui résulterait d’une exposition des populations d’usagers de l’eau aux limites de rejets demandées. L’objectif n’est pas de refaire les calculs de l’exploitant mais de confronter nos évaluations dosimétriques, afin de confirmer l’absence de risque radiologique », précise Michel Chartier.

Des études d’impacts sur l’environnement
EDF comme l’IRSN réalisent également des études d’impact sur les écosystèmes, même s’il n’existe pas à ce jour d’obligation formelle dans ce domaine.
Responsable de son installation, l’exploitant établit un plan de surveillance de l’environnement autour de son site pour vérifier que, pendant toute la vie de la centrale, les rejets effectifs restent inférieurs aux maximums autorisés. L’IRSN peut être sollicité pour évaluer la pertinence du dispositif ou pour accompagner l’ASN lors d’inspections sur site.
Parallèlement, l’IRSN déploie ses propres moyens de mesure sur le terrain, à commencer par son réseau d’hydrocollecteurs. « L’objectif n’est pas de contrôler au sens strict  l’exploitant mais d’acquérir des données indépendamment des moyens utilisés par ce dernier, sans redondance systématique. Il est rare que la confrontation des résultats fasse apparaître des écarts justifiant d’autres analyses », souligne Olivier Pierrard.
D’autres acteurs contribuent ponctuellement à cette surveillance. C’est le cas de certaines Commissions locales d’information nucléaire (Clin). « Le département souhaitait établir l’état de santé radiologique de son territoire au moment où il était question de construire un réacteur EPR à Penly », explique Mathieu Estevao, responsable de la Clin de Paluel-Penly (Seine Maritime). « Le plan de prélèvements dans l’environnement, élaboré par un laboratoire local avec l’appui de l’IRSN, a été lancé à l’été 2014 malgré l’abandon du projet industriel. Il inclut des analyses d’échantillons récoltés près des réacteurs existants, en vue de compléter les données déjà disponibles sur la région. »

La surveillance renforcée en cas d’accident
En cas de rejet accidentel, les données de la surveillance ne suffisent pas toujours pour estimer l’impact de l’événement. Après le rejet accidentel d’uranium dans la Gaffière à l’usine Socatri de Tricastin (Drôme) en 2008, l’IRSN a reconstitué le scénario d’une pollution en complément des mesures dans l’environnement.
Malgré un « trou » de plusieurs heures dans les mesures enregistrées par l’exploitant, le code de calcul Casteaur, développé par l’IRSN et utilisé pour des études d’impact et des exercices de crise en France et à l’international, a permis de retracer toute la chronologie du rejet à partir des mesures disponibles, de calculer son impact radiologique et d’en déduire l’absence de risque pour l’écosystème.
Après l’événement de Tricastin, l’IRSN a dressé pour le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) un bilan de la qualité des eaux souterraines et superficielles près des sites nucléaires.   « Cette étude montre que la situation est connue sur la quasi-totalité du réseau fluvial », conclut Olivier Pierrard. « Elle confirme que des dispositifs de surveillance efficaces sont mis en œuvre par l’ensemble des acteurs pour détecter un problème majeur de nature environnementale ou sanitaire. ». ​

 Les activités diagnostiques, thérapeutiques et de recherche des établissements de santé rejettent des radionucléides à vie courte.
Echantillons d'eaux usées prélevés en aval de centres hospitaliers« Les rejets des services de médecine nucléaire se limitant à des radioéléments à vie courte, ils ont été très tôt jugés sans risque. Peu d’études détaillées étaient menées à ce sujet. Les choses ont changé ces dernières années », constate Alain Rannou, expert en radioprotection à l’IRSN.
Comme tous les producteurs de déchets radioactifs, les établissements de santé qui utilisent des sources de rayonnements ionisants doivent gérer leurs rejets selon les meilleures règles de sûreté et de radioprotection. S’agissant des effluents liquides, seuls ceux contenant des éléments de période radioactive inférieure à 100 jours peuvent être rejetés dans les égouts. Cela limite en théorie la présence d’activité dans les réseaux d’eaux usées, donc dans les cours d’eau.
« Au-delà des effluents hospitaliers autorisés, une partie des rejets provient des patients traités en ambulatoire ou des sanitaires des services hospitaliers échappant aux circuits spécifiques », analyse Erwan Manach, ingénieur en télémesure dans l’environnement.

Un impact sanitaire insignifiant
Les mesures réalisées depuis 20 ans par l’IRSN mettent en évidence la présence quasi systématique d’iode 131 et de technétium 99 métastable dans les stations d’épuration des grandes agglomérations.
« L’iode 131, dont la période est de huit jours, et le technétium 99 métastable (six heures), représentent 90 % des rejets », précise Erwan Manach. « On trouve en faibles proportions d’autres radioéléments comme le thallium 201 (3 jours), l’iode 123 (13 heures) ou l’indium 111 (2,8 jours). »
L’IRSN a développé des outils de calcul pour évaluer leur impact sanitaire. « Celui-ci est insignifiant pour la population susceptible d’être contaminée via les différents usages de l’eau », confirme Alain Rannou. « Les éléments à vie courte ne s’accumulent pas dans l’environnement et la dilution est forte entre le point de rejet et l’Homme. »

Pas de risque pour les égoutiers
La problématique diffère un peu pour les professionnels des réseaux d’assainissement, car les boues d’épuration concentrent la radioactivité, notamment l’iode 131. L’IRSN est régulièrement sollicité à la suite de déversements non autorisés d’effluents hospitaliers. Ces derniers ne sont pas rares du fait du sous-dimensionnement des cuves de décroissance.
En 2012 et 2013, l’Institut de cancérologie Gustave Roussy de Villejuif (Val-de-Marne) a déclaré auprès de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), des vidanges volontaires d’effluents où la concentration en iode 131 dépassait la valeur autorisée de 100 Bq/L. L’IRSN a conclu à l’absence de risque pour les agents du réseau d’assainissement.
En 2011, une étude menée à Nantes à la demande d’hôpitaux et du gestionnaire du réseau des eaux usées a confirmé des niveaux de contamination faibles. « La dose maximale annuelle reçue par les égoutiers nantais, calculée avec des hypothèses majorantes, s’élève à 0,13 mSv », précise Pascal Bechard, personne compétente en radioprotection au Centre hospitalier universitaire de Nantes. « Un chiffre environ 20 fois inférieur à celui de l’exposition moyenne des Français aux rayonnements d’origine naturelle ou à la dose reçue lors de soins médicaux. »
L’IRSN participe depuis 2013 à une réflexion nationale sur les effluents hospitaliers, aux côtés de l’ASN et des parties prenantes. « Les rejets médicaux sont encadrés et globalement maîtrisés », indique Alain Rannou. « Cela n’empêche pas de consolider les bonnes pratiques pour renforcer la fiabilité du dispositif. » 
De l'hôpital au verre d'eau : comment les radionucléides disparaissent
La puissance d’analyse des données radiologiques permet aujourd’hui de retracer une pollution radioactive aussi faible soit-elle, et de trouver les sources de radioactivité ainsi que leur origines. Des vérifications qui sont utiles pour vérifier l’incidence sanitaire des rejets suite à des ​accidents, y compris plusieurs décennies après les faits.

Seine : retracer un rejet accidentel
Carottes sédimentaires prélevées dans la SeineDans la perspective d’aménagements portuaires susceptibles de remuer des polluants chimiques emprisonnés au fond de la Seine, le groupement d’intérêt public Seine-Aval a souhaité avoir un état précis des polluants qui s’y étaient accumulés au cours des dernières décennies.  Comme l’analyse radiologique permet de dater les différentes couches d’une carotte sédimentaire, donc les polluants chimiques qui s’y trouvent, des experts de l’IRSN ont participé à l’analyse des pollutions historiques dans le lit de la Seine.
En cherchant à identifier les radioéléments qui, par leur présence, pourraient servir de traceurs, les experts ont fait une découverte inattendue : des traces de plutonium d’origine inconnue, à hauteur de Rouen (Seine-Maritime). Or, elles ne correspondaient ni aux retombées des essais nucléaires atmosphériques des années 1950-1960, ni à celles de l’accident de Tchernobyl (Ukraine, 1986). Par ailleurs, ce type de rejets n’avait pas été répertorié dans le passé.
Les experts de l’IRSN ont finalement trouvé la source. La profondeur, la concentration et la nature (238Pu) ont permis de dater et ensuite de relier les rejets à un déversement accidentel, en 1975, de plutonium dans les eaux usées du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine).
L’Institut a également vérifié et conclu que ces concentrations bien que faibles n’avaient pas eu d’incidence sanitaire, à l’époque, sur les personnes consommant l’eau de la Seine ou travaillant à son contact – notamment les égoutiers de la station d’épuration d’Achères (Yvelines), qui ont traité ces effluents.
Lire l'avis de l'IRSN sur la détection de concentrations anormales en plutonium dans les sédiments de la Seine

Rhône : expliquer la radioactivité mesurée à Arles
À Arles, le tritium présent dans le fleuve est estimé à environ 300 TBq/anÀ l’embouchure du Rhône, les flux de radionucléides observés sont globalement cohérents avec les quantités de rejets déclarées par les exploitants des centrales et usines nucléaires implantées le long du fleuve et de ses affluents. Sauf pour quelques éléments qui témoignent de l’existence d’autres sources de radioactivité.
C’est ce qui résulte des mesures effectuée depuis 2008 par la Station Observatoire du Rhône en Arles (Sora). Pour des radioéléments spécifiques de l’industrie nucléaire (cobalts, antimoines), l’activité observée à Arles est cohérente avec les déclarations des exploitants. En revanche, des flux excédentaires de certains radionucléides, comme le tritium, le césium 137 et l’iode 131, ont été constatés.
Flux le plus important mesuré dans l’eau (environ 300 TBq sur un an), la présence de tritium résulte à la fois de l’industrie de l’atome, des retombées des tirs nucléaires passés, des rejets atmosphériques des installations nucléaires et de la radioactivité naturelle.
Les excédents mesurés de césium 137, de strontium 90 et d’actinides correspondent, quant à eux, aux retombées atmosphériques anciennes – essais d’armes nucléaires et accident de Tchernobyl, en Ukraine – remobilisées dans l’eau par le lessivage des sols et les brassages de sédiments liés aux crues.
Le surplus d’iode 131 résulte de l’activité des  services de médecine nucléaire. À  l’inverse, certaines concentrations mesurées à l’embouchure du Rhône sont bien inférieures aux déclarations des exploitants : cobalt 58, argent 110m… Cela s’explique par le dépôt d’une partie de ces éléments dans les sédiments avant leur arrivée à Arles.
Lire le rapport d'expertise « Flux de radioactivité exportés par le Rhône en Méditerranée en 2008 - Station Observatoire du Rhône en Arles (SORA) »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire