ctu-environnement.com : Comment ont été recueillis les retours d'expériences et bonnes pratiques de gestion de l'eau et d'adaptation au changement climatique sur un bassin transfrontalier ?
Christophe Brachet : Une plateforme de bassins
a été initiée de manière commune par la Commission économique
européenne des nations unis (CEE-ONU) et le Réseau international des
organismes de bassins (RIOB) pour collecter et échanger les meilleures
pratiques. Mise en place en 2012, elle concernait au départ huit bassins
transfrontaliers européens puis des bassins supplémentaires
internationaux, comme le Niger, Congo, Mekong, ont été intégrés.
Différents rédacteurs ont recueilli ces retours d'expériences pour que
chacun puisse en tirer profit. Ils ont été ensuite rassemblés au sein
d'un ouvrage. Le 7e Forum mondial de l'eau en Corée a été l'occasion pour sa publication.
AE : Quels sont les bassins où la
gestion transfrontalière pour la question de l'eau et du changement
climatique est exemplaire?
CB : Parmi les exemples où des
avancées importantes ont été réalisées, on peut citer en Europe, le
Rhin : la Commission du Rhin a travaillé avec un panel d'experts pour
émettre des recommandations sur des pratiques à initier dans les
décennies à venir. Autres bassins qui présentent des expériences
intéressantes : le Danube et le Mekong. La commission du Mékong a établi
des procédures d'adaptation au changement climatique. Elle comprend le
Vietnam, Laos, Cambodge, Thaïlande. La Chine, en amont du bassin,
demeure juste un observateur.
En Afrique, le bassin du Sénégal est
très avancé dans la gestion transfrontalière : c'est sans doute un des
bassins au monde le plus exemplaire de ce point de vue. Les quatre pays
traversés par le fleuve Sénégal, le Sénégal, la Mauritanie, le Mali et
en amont la Guinée, se sont réuni en 1972 au sein de l'organisation pour
la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Fait assez unique au monde,
les grands barrages construits sont communs : ils appartiennent aux
quatre pays… Ils les remboursent et en retirent les bénéfices de façon
commune selon une clef de répartition : que ce soit pour l'agriculture,
l'irrigation, la sécurité alimentaire et la production hydroélectrique
ou les aspects environnementaux.
AE : Dans cette gestion commune des barrages, ont-ils prévu des critères particuliers concernant le changement climatique ?
CB : Quand les ouvrages ont été
conçus dans les années 90, la question n'était pas encore aussi
cruciale. La bande du Sahel est sûrement un des endroits au monde où les
changements climatiques sont les plus visibles sur l'eau. Durant les
grandes sécheresses des années 70 et 80, les pluies ont baissé d'un
tiers et les débits des grands fleuves Sénégal, Niger, Volta de 40% à
50%.
Aujourd'hui, l'OMVS travaille à
modéliser la gestion de ces ouvrages pour les adapter aux changements
climatiques et des modifications des régimes. Toutefois, les études du
Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec)
présentent de grandes incertitudes sur cette zone pour les prévisions à
30 - 50 ans par rapport à l'Europe. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne
faut rien faire, même si les modèles sont incertains, il est important
de fournir des données aux décideurs pour adapter la gestion de ces
barrages.
AE : Existent-ils aujourd'hui des
grandes lignes directrices sur lesquelles s'appuyer pour éviter les
tensions sur la ressource au niveau des bassins transfrontaliers ?
CB : Il y a eu un énorme progrès en août 2014 : la Convention des Nations-Unies sur les cours d'eau transfrontaliers ou Convention de New-York, validée en 1997, est entrée en vigueur. Il fallait 35 ratifications. Le dernier pays, le Vietnam, l'a donc ratifié en août 2014. Elle donne, pour tous les pays qui l'ont ratifié, un cadre global pour partager un bassin, les principes d'équité et de partage.
Il existe également des situations comme
sur le Nil : l'Egypte refusait que les pays en amont en particulier
l'Ethiopie et le Soudan construisent des barrages par crainte des
impacts sur le barrage d'Assouan. Toutefois, elle a récemment accepté
que l'Ethiopie construise son grand barrage, le barrage de la
Renaissance. Des tensions existent sur le Tigre et l'Euphrate où la
Turquie en amont construit des barrages sans consulter la Syrie et
l'Irak qui ont certes d'autres problèmes à régler en ce moment. Le
Brésil ne collabore pas également énormément avec ses pays voisins. Si
nous voulons bien gérer le fleuve Amazone, il faut aussi bien gérer la
forêt.
AE : Quels sont les autres leviers pour éviter les conflits autour de l'eau au niveau transfrontalier ?
CB : Un des premiers éléments
serait que les pays s'entendent pour créer un organisme de bassin
transfrontalier comme il en existe pour le Rhin, le Danube, le bassin du
Niger, etc.
Dans ce dernier bassin, le Nigeria refusait que les pays amont
construisent des barrages : le processus de vision partagée s'est
déroulé de 2003 à 2008. Les chefs d'Etats, avec un gros appui français,
allemand, européen, canadien ainsi que de la banque mondiale, se sont
accordés sur la construction de trois barrages : un en Guinée en cours
d'étude, un au Niger en construction également et un au Mali. Les chefs
d'Etats ont examiné les modifications qu'apporterait la prise en compte
des changements climatiques.
Différentes études, dont certaines sont encore en cours, ont été lancées.
La mesure la plus adaptée pour protéger un pays, par exemple contre
une inondation, peut se trouver dans un autre pays en amont : il faut
donc que les pays travaillent ensemble. Des aspects économiques entrent
également en jeu : si un pays en amont met en place des solutions pour
protéger un pays en aval, cela pourra être pris en compte dans le
partage des coûts et bénéfices.
Le RIOB regroupe aujourd'hui 180 membres
et observateurs dont une cinquantaine de bassins transfrontaliers et
différents organisme nationaux.
AE : La société civile est-elle prise en compte ?
CB : La participation des
populations est importante : il y a des processus pour impliquer les
citoyens dans les organismes de bassin. Par exemple au départ, au Niger
en 2003, les réunions n'impliquaient que les ministres des neuf pays du
bassin. Nous avons entrepris des démarches avec l'Europe et l'Agence
française du développement (AFD) pour faire participer des acteurs non
étatiques, des usagers de l'eau. Ils ne participent pas encore aux
décisions, c'est un peu tôt, mais désormais c'est institutionnalisé, des
représentants sont consultés. Ce type de processus est reproduit dans
le bassin du Congo et des démarches sont en cours pour le bassin du
Sénégal.
AE : Comment financer cette gestion transfrontalière ?
CB : En ce moment, l'Office
international de l'eau (OIEau) travaille avec l'AFD et le RIOB sur de
nouveaux modèles de financement de ces grands organismes de bassins, qui
pourront d'ailleurs servir à la lutte contre le changement climatique.
L'OMVS est un cas à part puisque ses barrages lui rapportent de
l'argent. Dans ces modèles, nous retrouvons l'hydroélectricité, les
mines, le transport – sur certains tronçons de cours d'eau, comme le
Congo, le transport par voie fluviale est privilégié. A l'image du
modèle français du pollueur payeur, l'idée est de prélever
l'utilisateur. Par exemple, en Afrique de l'Ouest, les mines d'or
consomment et polluent beaucoup d'eau. Les organismes de bassins sont
ainsi en droit de demander des rétributions. Le Sénégal travaille en ce
moment sur des taxes sur le transport. Dans ces régions, au moins 75%
des consommations d'eau sont destinées à l'irrigation, le reste
concernant l'eau potable et les industries. L'eau potable va représenter
de 5 à 10%. Les financements ne peuvent pas se trouver à travers l'eau
potable mais dans les autres secteurs à travers un patchwork de
solutions : partenariats public-privé, contribution des Etats…
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