INTERVIEW - Le Dr Laurent Karila, psychiatre au
service d'addictologie de l'Hôpital Paul-Brousse et vice-président de
l'association SOS Addictions (www.sos-addictions.org), répond au Figaro.
Laurent KARILA. - On ne peut pas dire cela. Nous observons simplement que cette substance attire essentiellement des adolescents et jeunes adultes, et que sa consommation, comme celle de l'alcool, autre produit facilement disponible, est de plus en plus précoce (actuellement, la première rencontre avec le cannabis a lieu vers 12-13 ans). Elle est aussi plus fréquente chez les garçons, même si le nombre de filles consommatrices est en hausse. Pour ce qui est de la vulnérabilité à l'addiction, celle-ci naît probablement d'un «panel» très personnel: puberté, sexe, maturation cérébrale, comportement, environnement, génétique, stress… Ajoutez à cela une tendance à être déprimé, et un certain cocktail favorable à l'addiction se met en place.
Cette dépendance n'est-elle pas surtout liée au produit consommé?
À vrai dire, peu importent les substances en matière d'addiction… Ce qui «accroche» le consommateur, c'est d'abord la disponibilité du produit, le vécu de ses premières expériences de consommation, son développement personnel, l'interaction avec l'environnement…
La tendance dépressive est-elle un facteur d'addiction au cannabis?
Il existe de nombreuses comorbidités avec ce produit: dépression, idées suicidaires, mais aussi troubles anxieux et, depuis des études menées dans les années 1980, les liens avec les épisodes psychotiques. On sait aussi désormais que la consommation de cannabis aggrave ou révèle une schizophrénie latente, c'est-à-dire qui aurait pu se déclarer plus tard… Concernant la dépression, nous avons toutes sortes de profils: des fumeurs dépendants qui dépriment tout en fumant, d'autres qui avaient déjà ce type de trouble avant de consommer, mais aussi certains dont la dépression, masquée, émerge deux ou trois mois après l'arrêt de leur consommation…
Justement, comment favoriser le sevrage de cette drogue considérée comme «douce»?
Il n'existe actuellement aucun médicament pour cela. Mais un programme multimodal (avec infirmière, psychologue, psychiatre, généraliste…) peut aider la personne à arrêter. Nous commençons par un sevrage de trois semaines, soit en hospitalisation, soit en consultation, afin de parer au plus urgent comme la motivation au changement (avec les entretiens motivationnels), les bilans de santé physique et psychique… Puis nous passons à la phase de prévention de la rechute avec de la thérapie cognitive et comportementale.
En quoi consiste cette dernière?
Elle vise à renforcer la motivation du fumeur à arrêter car, malgré son désir et le «déclic», la prise de conscience personnelle qu'il a pu éprouver, il faut travailler sur des obstacles potentiels. Il faut apprendre au sujet à savoir dire non, à reconnaître, à gérer et à lutter contre ses envies en adoptant certaines stratégies… Et si nécessaire, envisager ensuite une psychothérapie plus approfondie comme la psychanalyse.
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