Chassez le nucléaire, il revient au galop… Mis en veilleuse dans le « projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte » adopté en première lecture par les députés, en octobre 2014, l’atome fait un retour en force dans le texte que les sénateurs examinent à leur tour, du mardi 10 au jeudi 19 février, avant un vote solennel prévu le 3 mars. Cette « renucléarisation » ne constitue pas une surprise, l’opposition – majoritaire au Sénat – en ayant fait son principal axe de bataille. Mais elle vide très largement de sa substance le projet de loi, mettant à mal l’ambition de la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, d’engager la France vers « un nouveau modèle énergétique ».
Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale gravait dans le marbre l’engagement de François Hollande de réduire de 75 % à 50 %, d’ici à 2025, la part de l’électricité d’origine nucléaire. Celui dont débat le Sénat est passé, lui, au moulinet des amendements de la commission du développement durable et de celle des affaires économiques, dont il est ressorti sérieusement amputé.Ainsi, il est toujours prévu de « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité », mais « sous réserve de préserver l’indépendance énergétique de la France » et de « maintenir un prix de l’électricité compétitif ». Surtout, si l’objectif de 50 % de nucléaire est encore présent, l’échéance de 2025 a disparu, la nouvelle rédaction « visant à terme » cet objectif. A terme, c’est-à-dire, dans l’esprit des sénateurs, à un horizon le plus lointain possible, n’imposant donc aucune programmation de la baisse progressive du poids de l’atome.
Accroître la production nucléaire
Ce n’est pas tout. Le seul véritable levier d’action dont s’étaient dotés les députés était le plafonnement de la puissance du parc nucléaire français à son niveau actuel de 63,2 gigawatts (GW), là encore un engagement du chef de l’Etat. Ce qui aurait obligé, lors de la mise en service, prévue en 2017, de l’EPR de Flamanville (Manche), de 1 650 mégawatts (MW), à fermer deux réacteurs anciens de 900 MW. Par exemple ceux de Fessenheim (Haut-Rhin), dont M. Hollande a promis la mise à la retraite fin 2016. Le texte discuté au Sénat, lui, plafonne la puissance du parc à 64,85 GW. Le chiffre n’a pas été choisi au hasard : il permettrait, au watt près, d’ouvrir Flamanville sans arrêter aucun des 58 réacteurs actuels. Et donc, au final, d’accroître la production nucléaire au lieu de la diminuer.« Le nucléaire est un atout pour la France et, parce qu’il est une énergie totalement décarbonée, un allié objectif de la transition énergétique », justifie Ladislas Poniatowski, sénateur UMP de l’Eure et rapporteur de la commission des affaires économiques. A un « couperet », il préfère donc « une diversification progressive et maîtrisée de notre mix électrique ». C’est dans le même esprit que le texte du Sénat, sans remettre formellement en cause l’objectif d’une réduction de 50 % de la consommation énergétique à l’horizon 2050 – une autre clé de voûte du projet de loi –, indique seulement que ce but devra être « poursuivi », ce qui n’implique pas qu’il doive être atteint. Explication : « Il est irréaliste de décréter le niveau qu’atteindra cette consommation en 2050 ».
En dépit de ces entorses au projet initial du gouvernement, le Sénat assure vouloir parvenir à un compromis. « Nous pensons qu’un accord est possible avec l’Assemblée nationale », affirme Jean-Claude Lenoir, sénateur UMP de l’Orne et président de la commission des affaires économiques. En gage de bonne volonté, un autre objectif-phare, celui de la rénovation thermique de 500 000 logements par an, est conservé, « même si je n’y crois guère » a lancé M. Poniatowski en commission.
La transition verte de la France entre en tout cas dans une zone de turbulences politiques à haut risque. Il est plus que probable que sur le nucléaire, le Sénat votera le texte qui lui est proposé. Mais ensuite ? La divergence entre les deux chambres étant actée, une commission mixte paritaire (sept députés et sept sénateurs) sera réunie, probablement en mars. Les deux groupes de parlementaires étant de majorités opposées, elle devrait logiquement se conclure par un constat de désaccord, renvoyant le texte, en deuxième lecture, devant les députés puis les sénateurs. Ce qui repousserait de plusieurs mois le vote final.
Difficile compromis
Mais une autre possibilité existe : que le gouvernement et la majorité fassent des concessions, pour permettre un accord en commission mixte paritaire. Auquel cas le texte n’aurait plus qu’à revenir devant l’Assemblée, en lecture défintive, pour être adopté. La France, qui veut se montrer « exemplaire » en vue de la conférence mondiale sur le climat de Paris, en décembre 2015, pourrait ainsi se prévaloir, sans plus attendre, d’une loi consensuelle approuvée par les deux assemblées.Jusqu’où pourraient aller ces concessions ? Où se situe la ligne blanche à ne pas franchir ? Les écologistes ont déjà prévenu que, sur l’atome, ils ne transigeront pas. « S’il y a un recul sur la baisse du nucléaire à 50 % en 2025 et sur le plafonnement, nous ne soutiendrons pas le texte », avertit Denis Baupin, vice-président (EELV) de l’Assemblée nationale. Chef de file des sénateurs écologistes sur le dossier de la transition énergétique, Ronan Dantec (Loire-Atlantique) renchérit : « Nous serons fermes sur la non remise en cause des équilibres de la loi, notamment sur le nucléaire. »
Les socialistes, eux non plus, n’ont pas l’intention de battre en retraite sur le nucléaire. « L’objectif de 2025 doit être maintenu et non pas renvoyé aux calendes grecques, car il permet de mobiliser les acteurs publics pour développer les énergies renouvelables et diversifier le bouquet énergétique », plaide Roland Courteau, sénateur de l’Aude et coordinateur du groupe socialiste pour ce texte.
Le président de la commission du développement durable de l’Assemblée, Jean-Paul Chanteguet, député PS de l’Indre, annonce quant à lui qu’il voterait « contre un texte ne respectant pas les engagements du président de la République ». Il ne serait sans doute pas le seul député socialiste à choisir la fronde. Pour Mme Royal, qui dit rechercher « une loi d’équilibre », la voie du compromis est étroite et périlleuse.
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Pierre Le Hir
Journaliste au Monde
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