Et si l'une des clés de l'apparition de la vie sur Terre se cachait dans quelque chose d'aussi anodin qu'une goutte d'eau. Alors que, dans le monde entier, des exobiologistes -- les spécialistes de l'origine de la vie -- planchent sur la question de l'émergence du vivant, cette hypothèse aussi surprenante que séduisante a surgi dans un laboratoire de l'université de Strasbourg spécialisé dans la microfluidique, la science de la manipulation des fluides à l'échelle micrométrique. Le projet initial des chercheurs était de mettre au point une technique permettant de fabriquer facilement de grandes quantités de molécules différentes, à destination notamment de l'industrie pharmaceutique. Sauf qu'en testant leur dispositif l'équipe d'Andrew Griffiths a eu une sacrée surprise ! En introduisant, dans de micro-gouttelettes d'eau, deux composés (amine et aldéhyde) censés réagir entre eux pour produire une molécule fluorescente (imine fluorescente), les scientifiques ont obtenu des résultats spectaculaires : très vite, toutes leurs micro-gouttelettes se sont mises à briller intensément. Ainsi, non seulement la réaction chimique s'était bien produite, mais quelque chose l'avait aussi considérablement accélérée, le nombre de molécules fluorescentes formées étant pas moins de 45 fois plus élevé que prévu ! Le défi de la complexification Mais quel rapport avec l'origine de la vie ? Alors que l'on sait maintenant que les acides aminés - à partir desquels on pourrait théoriquement former tous les êtres vivants qui existent - sont finalement disponibles un peu partout, y compris dans l'espace, la problématique de l'émergence du vivant réside essentiellement dans le secret de la complexification croissante des molécules jusqu'à la formation de la première cellule vivante. Comment cela a-t-il pu se produire dans un monde où, naturellement, les assemblages de molécules qui se forment ont tendance à se casser, plutôt qu'à évoluer vers des choses plus élaborées ? Il a fallu qu'à un moment donné quelque chose, quelque part, modifie cet équilibre. Et c'est là que notre goutte d'eau intervient peut-être... Car, passé la surprise première, les chercheurs en microfluidique de Strasbourg, avec le renfort d'autres collègues, n'ont pas tardé à chercher à comprendre l'étrange résultat de leur test. Pourquoi la réaction chimique au sein de leurs micro-gouttelettes s'était-elle ainsi emballée ? Après modélisation, la réponse est d'une simplicité presque déconcertante... Aucune énergie extérieure n'a été apportée par un quelconque biais, aucune chimie n'est à l'oeuvre, tout tient dans l'essence même de ce qu'est une goutte : "Sa géométrie, et notamment le fait qu'elle possède une surface importante en proportion de son volume", affirme Jean-Christophe Baret, l'un des membres de l'équipe de recherche, aujourd'hui affilié à l'université de Bordeaux. "En effet, dans une goutte, les molécules sont naturellement attirées vers les parois et vont momentanément s'y accrocher", explique-t-il. C'est le résultat de ce que l'on appelle la tension superficielle : une force qui existe au niveau de toute interface entre deux milieux et qui permet à la goutte de ne pas s'étaler, ou encore à certains insectes de marcher sur l'eau. Un accélérateur universel de réactions chimiques Or, dès l'instant où les molécules se retrouvent plaquées contre la surface de la goutte, elles ne peuvent plus évoluer librement en trois dimensions. Pour un temps, leurs mouvements sont limités à deux dimensions, le long de la paroi. Une situation qui augmente considérablement leurs chances de se rencontrer et donc de réagir les unes avec les autres ! Après quoi le produit de leur réaction va se détacher et retomber au centre de la goutte. Bien sûr, les molécules formées (ici, des imines fluorescentes) vont continuer de se déliter peu à peu. Mais, dans la goutte, l'équilibre de la réaction est modifié de telle sorte que les imines fluorescentes se forment plus vite qu'elles ne se cassent et donc s'accumulent au sein de la goutte qui s'illumine. Le plus beau étant que cela marche quelles que soient les molécules réactives introduites. La goutte est un accélérateur naturel et universel de réactions chimiques, "d'autant plus efficace que la goutte est petite", précise le scientifique. C'est une découverte fortuite, mais sa portée est considérable, sans même penser aux applications industrielles qui peuvent en découler. La goutte est quelque chose de simple, de banal, d'abondant sur Terre, et qui naturellement favorise la complexification des molécules. De toutes les molécules ! Forts de cette trouvaille, les exobiologistes ont déjà commencé à plancher sur l'élaboration de nouveaux scénarios des origines dans lesquels la goutte d'eau pourrait décrocher un rôle important, sinon de premier plan. Maintenant, visualisez, tour à tour, une goutte et une cellule : elles sont petites, elles possèdent une surface qui les sépare du monde extérieur, elles sont le siège de nombreuses réactions chimiques... L'analogie est étonnante, non ? Références des articles scientifiques déjà publiés sur cette découverte : Enhanced chemical synthesis at soft interfaces: a universal reaction-adsorption mechanism in microcompartments. Par Ali Fallah-Araghi, Kamel Meguellati, Jean-Christophe Baret, Abdeslam El Harrak, Thomas Mangeat,Martin Karplus, Sylvain Ladame, Carlos Marques et Andrew Griffiths. Physical Review Letters. 2014 Enhanced imine synthesis in water: from surfactant-mediated catalysis to host-guest mechanisms. Par Kamel Meguellati, Ali Fallah-Araghi, Jean-Christophe Baret, Abdeslam El Harrak, Thomas Mangeat, Carlos M. Marques, Andrew D. Griffiths et Sylvain Ladame. Chemical Communications. 2013
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