Les jardiniers amateurs menacent les insectes pollinisateurs
Souvent montrée du doigt pour son rôle dans l’érosion de la
biodiversité, l’agriculture intensive n’est pas seule en cause dans la
raréfaction des insectes pollinisateurs. Les jardiniers du dimanche ont
aussi une part de responsabilité. C’est, en substance, le résultat de
travaux de chercheurs français, publiés dans la dernière édition de la revue Biological Conservation,
qui montrent pour la première fois que l’utilisation par les
particuliers de pesticides – insecticides et herbicides – peut avoir des
effets négatifs « à grande échelle » sur les papillons et les
bourdons. A l’inverse, et de manière surprenante, d’autres produits
phytosanitaires semblent avoir un effet positif sur ces deux groupes.
Pour
parvenir à ces résultats, Benoît Fontaine, du Muséum national
d’histoire naturelle, et Audrey Muratet, de l’Observatoire de la
biodiversité urbaine de Seine-Saint-Denis, ont utilisé les données
d’observation des jardiniers amateurs eux-mêmes. « Il y a déjà eu de nombreux travaux traitant de l’impact sur la biodiversité des pesticides utilisés en agriculture, explique Benoît Fontaine. Conduire le même genre d’étude dans les jardins privés est plus problématique, car nous n’avons pas accès à ces terrains. »
Réseau participatif d’observation de la nature
Aussi
le Muséum national d’histoire naturelle a-t-il bâti un réseau
participatif d’observation de la nature fondé sur le volontariat. Depuis
respectivement 2006 et 2009, l’abondance et la diversité de 28 espèces
de papillons et 11 de bourdons sont ainsi relevées par des milliers
d’observateurs bénévoles, qui peuvent s’inscrire sur le site Vigie Nature.
Près de 5 000 jardins privés ont pu être inclus dans l’étude, sur l’ensemble du territoire métropolitain. «
A l’aide de quelques critères simples, nous demandons aux participants
de décrire leur jardin, afin d’estimer son “attractivité” pour les
insectes, précise M. Fontaine. Puis les participants déclarent s’il leur arrive d’utiliser, ou non, un certain nombre de catégories de produits. »
Pour éviter des déclarations par trop incertaines, les quantités
épandues ne sont pas renseignées. Ensuite, les observateurs bénévoles
transmettent régulièrement des informations sur le nombre et la
diversité des bourdons et des papillons rencontrés dans leur jardin. Les
données générées sont étonnamment fiables. Par exemple, disent les
chercheurs, la distribution géographique ou saisonnière de certaines
espèces se retrouve dans les observations de ces milliers de bénévoles.
Biais de l’échantillon d’observateurs
Le
principal résultat est que, même dans le cadre d’une utilisation
privée, l’usage d’insecticides réduit les populations de bourdons et les
papillons. Ce qui n’est pas étonnant, de nombreuses études ayant montré
en milieu agricole des effets sur le comportement, l’orientation, la
fertilité et la mortalité des insectes pollinisateurs. « L’effet produit est significatif »,
dit cependant M. Fontaine, ajoutant que l’échantillon des
citoyens-observateurs de Vigie Nature biaise probablement le résultat. «
Les bénévoles qui participent sont déjà sensibilisés aux problématiques
de la biodiversité et on peut légitimement penser qu’ils utilisent
moins de pesticides que la moyenne », précise-t-il. L’effet réel,
sur l’ensemble des jardins privés de France, est donc sans doute
supérieur à celui détecté par les chercheurs.
Autre résultat, moins évident : celui d’uneffet négatifdes herbicides. «
Ces produits ne sont pas utilisés contre les insectes, mais ils
réduisent la diversité végétale dans les jardins, dont profitent les
bourdons et les papillons », explique le biologiste.
De
manière bien plus inattendue, les résultats montrent aussi que les
fongicides, la bouillie bordelaise – un fongicide utilisé en agriculture
biologique – notamment ou encore les anti-limaces ont un effet positif
sur les deux groupes de pollinisateurs étudiés. « Le mécanisme que
nous proposons pour expliquer ce phénomène est que les plantes qui sont
protégées des agressions des champignons, des limaces, etc., peuvent
consacrer plus d’énergie à la production de nectar et qu’elles sont donc
plus attractives pour les bourdons et les papillons », dit M. Fontaine. Cela ne donne pas pour autant un blanc-seing à ces produits. « De nombreux travaux, précise le chercheur, montrent que certains d’entre eux peuvent avoir un effet néfaste sur la faune des sols », qui n’est pas moins indispensable au fonctionnement des écosystèmes que les pollinisateurs.
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