L'Agence du médicament suspend le financement d'une
étude de l'Inserm, qui devait suivre 100.000 femmes sur dix ans.
Baptisée Lucie, une étude de très grande envergure avait été annoncée à grand renfort de communication en juillet dernier. En 2013 en France, on estimait à 346.000 le nombre de femmes porteuses d'implants mammaires. L'étude Lucie devait en suivre 100.000 sur une durée de dix ans pour comptabiliser les effets indésirables potentiels, à moyen et long terme, chez les porteuses d'implants PIP et d'autres marques. Plus généralement, l'objectif était de mieux connaître la santé des femmes qui ont ou qui ont eu des prothèses, que ce soit pour des raisons esthétiques ou médicales (comme une chirurgie réparatrice après un cancer).
La Direction générale de la santé (DGS) avait demandé à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) de réaliser cette étude. Les chercheurs travaillent depuis un an et demi dessus, et l'Agence de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps) devait régler la facture d'un million et demi d'euros, une somme classique pour ce type de travaux.
Dans des courriers consultés parLe Figaro, l'ANSM invoque des histoires de délai pour justifier le gel du financement. «Il nous est impossible de poursuivre l'étude de faisabilité », avance le responsable du pôle animation scientifique de l'Agence.
Le chercheur en charge de l'étude, Florent de Vathaire (qui a refusé de répondre aux questions du Figaro), lui répond le 30 janvier: «L'ANSM n'a financé qu'une 1re partie de l'étude faisabilité (162.000 euros), et il n'avait jamais été question que cette première partie permette, à elle seule, de statuer à la faisabilité de l'étude (…). Face à ces faits, je ne peux que constater que l'ANSM cherche à se dégager de ce projet, mais sans le dire clairement et en prendre la responsabilité».
L'ANSM se défend en expliquant au Figaro avoir «accordé un délai supplémentaire de 6 mois à l'équipe Inserm afin qu'elle apporte des éléments sur la faisabilité définitive de cette étude. Si les informations fournies sont probantes, l'ANSM poursuivra le financement de cette étude en complément des 162.000 € déjà versés».
En résumé: si formellement, il ne s'agit pas d'un «abandon», pour reprendre l'expression du directeur général de la santé, d'un point de vue pratique cela y ressemble beaucoup. Car le délai est impossible à tenir - ce que l'Agence sait parfaitement -, et les six mois ne seront pas financés.
Un vieux connaisseur de l'ANSM décrypte le jargon administratif employé lors des échanges avec l'équipe de l'Inserm: «C'est clair: ils leur coupent les vivres au beau milieu de l'étude! Ce n'est pas correct. Les arguments avancés sont bidon.» Un haut fonctionnaire déplore: «Il y avait vraiment des enseignements à tirer d'une telle étude, car les prothèses sont extraordinairement peu évaluées. On les teste sur 20 personnes avant de les mettre sur le marché.»
Un chirurgien plastique ajoute: «Parfois elles ne sont même pas testées du tout! Les dispositifs médicaux ne sont pas soumis à des essais cliniques mais à des normes. On a vu avec PIP ce que ce système donnait. Sans compter qu'à la différence des médicaments, il n'existe aucun suivi pour les prothèses, qu'elles quelles soient. En ce qui concerne les implants mammaires, quand nous parlons entre nous médecins, nous nous rendons bien compte que les effets indésirables sont nombreux. Mais personne n'a le temps de se pencher sur le sujet.» Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé avait prévenu en 2012 après l'affaire Mediator: le prochain scandale sanitaire sera celui des dispositifs médicaux.
Implants mammaires : pas de danger pour la santé des femmes
Les inspections des fabriquants ainsi que les
analyses des prothèses menées par l'agence nationale de sécurité du
médicament (ANSM) n'ont pas révélé d'irrégularités. Cependant, les
implants censés durer dix ans rompent après 7,6 ans en moyenne.
Un taux de rupture très faible
«Les fabricants ne mettent pas des gels frelatés dans leur implants», assure Brigitte Heuls, directrice des dispositifs médicaux thérapeutiques à l'ANSM. Néanmoins, l'ANSM a relevé «quelques erreurs, des problèmes de conformité chez quelques fabricants, mais qui n'étaient pas susceptibles d'engendrer un risque pour la santé des patients», ajoute-t-elle. Pour ne pas s'être mise en conformité avec des processus de fabrication et de stérilisation, l'une d'elle, la société Cereplas, a vu ses produits retirés du marché temporairement mais «la sécurité des produits concernés n'est pas remise en question».Une analyse des incidents de «matériovigilance» (les examens sur les déficiences des produits) montre que la majorité des signalements déclarés (65 %) à l'ANSM sont des ruptures d'implants. En moyenne, elles surviennent 7,6 années après la pose. Le taux de ruptures est très faible: de 0,01 à 0,30 % en fonction de la durée d'implantation. Les autres incidents concernent la formation d'une coque, de plis, de vagues ou d'une rotation de la prothèse, des inflammations, des infections, ou encore le suintement («perspiration») de silicone. Par ailleurs, les signalements ont remonté 22 cas de cancers du sein, une donnée non supérieure au reste de la population générale des femmes.
L'information des patientes primordiale
L'Agence insiste pour que les femmes soient clairement informées des risques de complications liés à l'intervention chirurgicale et à la pose des implants. Brigitte Heuls rappelle que «la durée de vie des implants est en moyenne de 7 à 10 ans, et non pas au-delà de 10 ans comme c'était envisagé auparavant». Ainsi, il est important que les chirurgiens indiquent que la durée de vie des implants est limitée: «ils ne sont pas éternels et il faudra les changer». En outre, l'agence recommande un suivi médical régulier. Les femmes doivent «être averties du risque anesthésique et savoir qu'elles devront être régulièrement suivies sur le plan médical pour s'assurer de l'intégrité de la prothèse», ajoute Brigitte Heuls.L'ANSM rappelle également qu'«en cas d'incident avec la prothèse et de reprise chirurgicale, le résultat esthétique risque d'être moins bon». Un document écrit, en cours d'élaboration, sera remis à la femme par le chirurgien afin de s'assurer qu'elle recevra l'information la plus complète possible.
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