A la fois victime et responsable du changement climatique,
l'agriculture est soumise à une double contrainte: alléger son empreinte
sur l'environnement tout en augmentant sa production de 70% d'ici 2050
pour répondre aux besoins croissants de l'humanité.
Cet enjeu
majeur sera au coeur d'un colloque réunissant chercheurs et politiques à
Paris vendredi, à la veille du Salon de l'Agriculture, placé sous le
signe de l'innovation. Une manière de lancer l'année du climat puisque
la France accueille en décembre la conférence des Nations unies censée
trouver un accord à 195 pays pour juguler l'envolée du thermomètre
mondial.
La hausse des températures, si elle se poursuit au rythme
actuel, risque fortement d'affecter la productivité, en particulier des
régions déjà fragiles, prévient le climatologue Jean Jouzel,
vice-président du groupe des experts de l'Onu sur le climat (Giec), qui
ouvrira les travaux.
Déjà, «l'impact sur les rendements est
frappant» y compris en France, où ils plafonnent. Pour les quatre
principales cultures vivrières mondiales - blé, maïs, riz, soja - les
régions qui vont perdre en productivité, progressivement «vont
clairement prendre le dessus sur celles qui y gagnent».
Cet impact
sera particulièrement fort dans les régions où l'accès à l'eau est déjà
problématique mais pas uniquement puisque «il y aura des problèmes liés
à la température elle-même, avec le risque que certaines maladies
s'étendent» vers le nord, reprend Jean Jouzel. «Tous les écosystèmes
vont être touchés», comme le vivent déjà les viticulteurs du sud de la
France.
«Il va falloir adapter les espèces végétales plus vite que
prévu», renchérit Michel Griffon, agronome et économiste pour qui «ce
sera l'enjeu majeur des prochaines décennies».
L’agriculture,
victime, est aussi une cause du dérèglement climatique et contribue en
France pour 20% aux émissions de gaz à effet de serre qui réchauffent
l'atmosphère - davantage quand la déforestation est importante.
Plus
encore que le carbone (CO2), elle émet principalement du méthane (40%
des émissions) et de l'oxyde d'azote (50%), des gaz au pouvoir 30 fois
et 300 fois plus réchauffant que le CO2.
- Une agriculture climato-intelligente -
Mais
des solutions existent. A Montpellier, le département
d'éco-technologies de l'Irstea, Institut de recherche sur l'agriculture
et l'environnement y travaille: réduction des phytosanitaires, meilleur
usage de l'eau...
«Pour limiter l'oxyde d'azote, il faut
essentiellement mieux gérer les apports d'engrais et privilégier les
engrais organiques», indique sa directrice Véronique Bellon-Maurel.
«Quand on fabrique un kilo d'engrais chimique, il +coûte+ déjà 1,5 kilo
d'équivalent CO2, sans compter son transport».
L'agroécologie,
cheval de bataille du ministre Stéphane Le Foll, qui clôturera le
colloque avec son homologue des affaires étrangères Laurent Fabius, est
également une réponse, en ménageant les sols.
Quant à la
«méthanisation» qui recycle le lisier, fortement émetteur, en source
d'énergie, elle offre déjà une réponse à l'élevage, qui doit être
complétée par adaptation du régime alimentaire.
L'idée est de
développer une «agriculture climato-intelligente», visant à la fois à
assurer la sécurité alimentaire et à permettre aux agricultures de
résister et de s'adapter aux changements du climat, avance Michel
Griffon.
L'autre enjeu, estime-t-il, est la production d'énergie à
partir de la biomasse et de matériaux capables de remplacer le pétrole:
«les prix de l'énergie vont augmenter, il faut aussi l'anticiper»
martèle-t-il.
L'économiste mise sur le «comportement
entrepreneurial» des agriculteurs: «Le fait qu'on atteigne un coût
environnemental tellement insupportable va inciter à changer les
comportements» espère-t-il.
Restent les 2,7 milliards
d'exploitants agricoles pauvres dans le monde, qui continueront de
produire l'essentiel de l'alimentation mondiale en 2050 et devront faire
un bond considérable pour y parvenir. Sans pour autant étendre à
l'infini les surfaces cultivées. «En continuant comme on le fait on y
parviendra, mais au détriment de l'environnement. Ce qui rendra la Terre
invivable» redoute-t-il.
Pour Jean Jouzel, «c'est important que
la profession agricole prenne conscience que (le climat) c'est son
problème, pas celui des autres». Parce qu'elle «a un rôle très positif à
jouer en termes de solutions».
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