Plusieurs approches sont apparues successivement pour le contrôle du risque d’origine hydrique.
Le contrôle de l’eau distribuée a été instauré en France dès le début du 20e siècle. Il relève du ministère de la Santé. Une soixantaine de composés font actuellement l’objet d’une réglementation. En dépit des progrès analytiques, il se heurte d’une part, à l’impossibilité d’analyser en routine l’ensemble des toxiques et des micro-organismes pathogènes, et d’autre part, à des délais d’analyse qui sont parfois imcompatibles avec la gestion immédiate des contaminations de l’eau.
La démarche d’évaluation quantitative des risques, apparue dans les années 1980, permet d’évaluer les risques imputables aux agents pour lesquels on connaît la relation dose/effet et les concentrations dans l’eau distribuée. De fait, cette approche ne peut servir que pour un petit nombre d’agents et de situations.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) indique que la surveillance épidémiologique reste nécessaire pour appréhender les tendances, les évènements anormaux ou évaluer les actions de santé publique (1). La surveillance épidémiologique, qui se définit comme la collecte systématique et continue de données de santé, leur analyse et leur diffusion, n’est toutefois pas toujours possible ni toujours nécessaire. C'est pourquoi, le programme eau de l’Institut de veille sanitaire (InVS) cible son action et son intervention sur les composés dont l’impact sur la santé des consommateurs est avéré ou fortement soupçonné et dont l’apport hydrique constitue la voie d’absorption principale. L’arsenic et les sous-produits de désinfection correspondent à cette définition. La surveillance des expositions au plomb, en majorité dues aux peintures anciennes dans l’habitat (voir dossier consacré au
saturnisme), ou des expositions aux pesticides, en majorité dues à l’alimentation, est traitée par d’autres entités au sein de l’InVS.
Si le problème sanitaire pour le consommateur est à l’état d’hypothèse, comme c’est le cas des résidus de médicaments, il relève de la recherche et non de la surveillance épidémiologique. En revanche, si le problème est bien connu et contrôlé comme c’est le cas des nitrates dans l’eau, la priorité doit porter sur le contrôle de la bonne application des mesures de gestion, via le contrôle de l’eau distribuée. Enfin pour certains problèmes de santé auxquels l’eau de boisson contribue minoritairement (plomb) ou marginalement (pesticides), les systèmes de surveillance épidémiologique qui couvrent l’ensemble des types d’exposition sont les plus adaptés. On parle d’approche « par le produit » qui s’oppose à l’approche « par le vecteur ». Ces points sont développés dans les paragraphes suivants.
Risque versus danger : l’exemple des nitrates
Le risque peut se définir comme la probabilité de survenue d'un danger, c'est-à-dire la survenue d'un événement de santé indésirable tel qu'une maladie. L’existence d’un risque suppose la présence d’un danger et la notion d’exposition (niveau, durée, voies d’exposition). En ce sens, la présence des nitrates dans l’eau potable peut présenter un « danger ». Dans l’organisme, une partie des nitrates se transforment en nitrites qui se fixent sur l’hémoglobine qui ne peut plus transporter l’oxygène. A forte dose, l’intoxication provoque une méthémoglobinémie plus connue sous le nom de « maladie bleue » ou cyanose. Entre 1945 et 1970, près de 2000 cas de méthémoglobinémies ont été rapportés dans la littérature mondiale, la plupart de ces cas étant associés à la consommation d’eaux de puits privés présentant une forte concentration en nitrates.
L’OMS recommande depuis 1958 la valeur limite de 50 mg de nitrates par litre dans l’eau de boisson, valeur en deçà de laquelle aucun cas de méthémoglobinémie n’a été rapporté. Cette valeur est adoptée par l’ensemble des pays développés. Depuis les années 1990, aucun cas de méthémoglobinémie imputable à l’eau n’a été rapporté dans les pays développés. Le nourrisson de moins de 3 mois est particulièrement sensible aux nitrites en raison d’une faible acidité de son suc gastrique favorisant le développement de bactéries réductrices, d’un défaut de NADH cytochrome-b5-réductase, enzyme favorisant la conversion méthémoglobine -> hémoglobine, et de la présence d’hémoglobine fœtale plus facilement oxydable que l’hémoglobine des adultes.
Le bilan des analyses de nitrates en France et les niveaux mesurés ne justifient pas la mise en place d’une surveillance épidémiologique spécifique aux effets des nitrates sur la santé des consommateurs d’eau du robinet.
Taux de conformité des eaux produites (situation 2002)
Les acteurs de la surveillance
La gestion des risques sanitaires et le contrôle du respect de la réglementation relèvent du ministère chargé de la Santé et des Agences régionales de santé (ARS). L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) est chargée de l'évaluation des risques et de l’appui à la gestion, tandis que l’Institut de veille sanitaire (InVS) est chargé de la surveillance épidémiologique et de l’alerte sanitaire. En France, de nombreux organismes font de la recherche dans le domaine de l’eau. Des progrès sont cependant à faire en épidémiologie des maladies infectieuses d’origine hydrique.
Au sein de l'InVS, l’incidence des infections par ces microorganismes entériques (intestinaux) est surveillée par le département de maladies infectieuses (unité Infections entériques, alimentaires et zoonoses). La légionellose fait l’objet d’un programme de surveillance particulier (voir
Légionellose).
L’InVS assure aussi la coordination des registres des cancers qui oeuvrent au niveau départemental et fournissent aux épidémiologistes les données sur le cancer.
Les acteurs de la surveillance du risque hydrique
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Organisation
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Activité
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Périmètre actuel
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Ministère chargé de la Santé, Agences régionales de santé (ARS)
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Gestion du risque (élaboration de la réglementation et contrôle de son application)
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Eau potable, baignades (piscines, eau naturelles), légionelles…
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Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)
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Evaluation des risques, appui à la gestion + laboratoires d’études et de recherches dont LERH
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Risques par ingestion Baignade et usages récréatifs de l’eau
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Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
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Recherche - épidémiologie
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Divers
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Universités
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Recherche
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Divers
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Producteurs d’eau
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Gestion technique de la production et de la distribution Evaluation du risque Recherche
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Traitement et distribution de l’eau
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Agences de l’eau
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Gestion financière
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Eau potable, eaux usées
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Institut de veille sanitaire (InVS)
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Surveillance épidémiologique
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Eau potable
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Recherche
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Sujets « orphelins » nécessaires à la surveillance ou valorisant les données de surveillance
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Source : La qualité de l’eau potable en France - Aspects sanitaires et réglementaires. Dossier d’information. Direction générale de la santé. Septembre 2005. p19. Disponible sur : www.sante.gouv.fr/htm/actu/eau_potable_070905/dossier_presse.pdf
Définir et estimer l’exposition
L’exposition, qui peut se définir comme le contact entre un agent pathogène ou un produit toxique et le consommateur d’eau de distribution, est une notion fondamentale pour faire le lien entre une pollution de l’eau (danger) et un effet sanitaire (risque). Dans certains cas, la caractérisation des dangers par l’identification de relations doses-réponses et la quantification de l’exposition permettent d'estimer le nombre de cas de maladies attendus. La mesure de l’exposition nécessite de définir les voies d’absorption possibles, la durée d’exposition et les habitudes des français vis-à-vis de leur usage de l’eau de distribution (quantité d’eau bue, utilisation de l’eau du réseau pour la toilette corporelle…). Mis à part les cas d’infections liés à Legionella pneumophilla ouPseudomonas aeruginosa contractés respectivement par inhalation ou contact cutané, la majorité du risque infectieux est associé chez l’homme à l’ingestion d’eau contaminée. Une durée d’exposition courte est dans ce cas suffisante pour contracter la maladie. A l’inverse, la mesure de l’exposition à des polluants toxiques doit tenir compte des propriétés physico-chimiques de chaque polluant pour identifier les voies d’absorption pertinentes : ingestion dans tous les cas, respiration lors d’évènements comme la douche pour les produits volatils (cas du chloroforme, composé majoritaire des sous-produits de chloration), contact cutané lors d’évènements comme la douche ou le bain pour les produits lipophiles (chloroforme également). En dehors des pollutions massives pour lesquelles la durée d’exposition est généralement courte, les cancers associés à des polluants d’origine hydrique surviennent après des dizaines d’années d’exposition.
Proportion de la population desservie par une eau du robinet conforme en permanence vis-à-vis des pesticides – Situation en 2003
Source : La qualité de l’eau potable en France - Aspects sanitaires et réglementaires. Dossier d’information. Direction générale de la santé. Septembre 2005. p23. Disponible sur : www.sante.gouv.fr/htm/actu/eau_potable_070905/dossier_presse.pdf
Considérer l’exposition totale : l'exemple des pesticides
On retrouve actuellement des pesticides dans de nombreuses rivières et nappes souterraines de France. Dans ces régions, l’eau potable peut contenir aussi des pesticides en quantité mesurables.
ll y a comme pour les nitrates une imprégnation généralisée de l’environnement par les pesticides, les eaux pouvant constituer le récepteur final de ces pollutions d’origine agricole. Les risques sanitaires dus aux pesticides représentent un sujet d’inquiétude justifiée par les conclusions de nombreuses études toxicologiques réalisées chez les animaux et d’études épidémiologiques réalisées chez les personnes les plus exposées comme les agriculteurs. Le rôle de l’exposition professionnelle dans l’apparition de certains cancers est reconnu. Concernant l’exposition environnementale (par opposition à professionnelle), la part de l’eau est très minoritaire dans la dose quotidienne de pesticides ingérés. Ainsi, plus de 90 % de l’exposition revient à l’alimentation et la 2esource d’exposition est l’inhalation, avec d’importantes variations selon le lieu de vie et l’usage de pesticides pour le traitement des plantes d’intérieur. La part de l’eau quant à elle représente moins de 2 % de l’apport journalier. Compte tenu de ce niveau de contribution à l’exposition totale, le risque d’origine hydrique ne peut pas faire l’objet d’une surveillance épidémiologique spécifique.
Bien que la part de l’eau soit plus forte dans le cas du plomb, l’exposition hydrique est devenue minoritaire après la mise en œuvre de changement des canalisations en plomb. En ce qui concerne les
sous-produits de désinfection et l’
arsenic, l’eau contribue très majoritairement à l’exposition.
Définir la part de l’eau dans la survenue des pathologies : le cas des gastro-entérites
Tous les micro-organismes entériques sont susceptibles de se propager par l’eau. Il est toutefois difficile de se prononcer sur la part de l’eau dans la survenue des maladies imputables à ces micro-organismes. Aucune n’est en effet spécifique de l’eau. Il est admis que l’eau provoque moins de cas de maladies que la contamination des aliments et, surtout, que le non-respect des règles d’hygiène individuelles. Certains auteurs estiment que les gastro-entérites seraient deux fois moins fréquentes si ces règles étaient respectées, que ce soit pour protéger les autres (lavage des mains en sortant des toilettes) ou soi-même (lavage des mains avant les repas). La répartition des infections par type de voie d’exposition (eau / aliments / mains sales) dépend du type de microorganisme. Il est reconnu que l’épidémie hivernale de gastro-entérite virale se diffuse plutôt par contact interhumain, les bactéries par voie alimentaire, ces dernières étant les seuls microorganismes capables de se multiplier dans les aliments. En revanche, la contamination par voie hydrique semble assez importante pour certains parasites comme Cryptosporidium.
La responsabilité de l’eau de boisson apparaît clairement à l’occasion d’épidémies. Trois types d’arguments peuvent être avancés pour confirmer l’origine hydrique : les arguments microbiologiques, épidémiologiques et environnementaux. La preuve microbiologique repose sur l’identité entre la souche de microorganisme isolée chez les malades et celle trouvée dans l’eau distribuée. L’argumentation épidémiologique repose sur la correspondance entre le secteur où se déclarent les cas de maladie et le réseau de distribution d’eau. Une proportion de buveurs d’eau du robinet supérieure chez les malades que chez les non malades conduit aussi à suspecter la responsabilité de l’eau consommée. La mise en évidence d’une pollution de la ressource ou d’un accident lors du processus de traitement de l’eau pendant la période d’exposition supposée apporte enfin des arguments d’ordre environnemental. D’après l’analyse des épidémies documentées (3), le risque qu’une personne résidant en France soit victime d’une épidémie hydrique cette année se situe entre 1 sur 10 000 et 1 sur 50 000. Le risque culmine dans certaines petites communes rurales du fait de la vulnérabilité de l’eau et de la vétusté des installations.
A côté de ces épidémies, il existe des cas sporadiques, beaucoup plus nombreux que les cas épidémiques. Les experts sont divisés quant à l’importance du rôle de l’eau de distribution dans la survenue de ces cas isolés : pour certains, l’eau intervient de façon très marginale dans l’incidence des cas sporadiques, pour d’autres, plus de 10 % des cas de gastro-entérites seraient véhiculés par l’eau.
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