samedi 14 septembre 2013

Les marchands de sable menacent-ils les dunes françaises ?

Puiser du sable au large ? A Lannion, pas question. Pourtant, les côtes françaises comptent déjà une quinzaine de sites d'extraction. Soupçonnée de faire reculer les plages ou d'intoxiquer le plancton, l'activité inquiète. Des bunkers qui glissent dans la mer en Bretagne, des plages qui rétrécissent à Noirmoutier, des falaises qui s’effritent en Angleterre... Pendant ce temps, au large, des bateaux plongent tranquillement leurs élingues, sortes d’aspirateurs géants, pour racler le fond des océans. Ces sabliers rentreront aux ports de Brest, de la Rochelle ou de Saint-Nazaire sous des monticules de granulats marins [1] voués, pour 95 % d’entre eux, à être changés en béton pour la construction [2]. En France, plus de 7 millions de tonnes de sable sortent ainsi de l’océan Atlantique et de la Manche chaque année. Les dunes rapetissent-elles sous l’appétit des fournisseurs du BTP ? Tandis que les zones d’extraction se multiplient, les soupçons se confirment. « De Bayonne à Dunkerque on prélève du sable » « Quand un enfant creuse un trou dans le sable, la mer le rebouche avec le sable voisin », illustre Chistrophe Le Visage, ingénieur hydrographe à la tête du cabinet « Stratégie Mer et littoral ». Pour lui, cette explication schématique s’applique à l’extraction de granulats marins. « A proximité des côtes, le sable appartient à une seule cellule sédimentaire de plusieurs kilomètres carrés. Les sédiments se déplacent dans cette zone au gré de la houle et des tempêtes », développe cet ancien membre du secrétariat général à la mer, devenu consultant, notamment, pour la Commission européenne. C’est bien le même sable qui recharge les plages au printemps, repart former des dunes sous-marines en hiver, mais ne disparaît jamais. Sauf si l’on vient le chercher. Or, c’est précisément dans ces cellules, à moins de 20 kilomètres des côtes, que les sociétés d’extraction puisent, entraînant ainsi « une modification des flux sédimentaires », explique Pierre-Arnaud Duclos, doctorant en géoscience marine à l’université de Rouen, (dans sa thèse consacrée au sujet). Sur la côte Atlantique, personne n’est épargné, « de Bayonne à Dunkerque, on prélève du sable », affirme Jean Grésy, avocat et membre de l’association « le Peuple des dunes ». Sur les 17 concessions françaises actuellement exploitées, « les bateaux transportent plusieurs dizaines de tonnes de granulats marins par jour », reconnaît Michel Buzot, secrétaire général adjoint de l’Union nationale des producteurs de granulats (UNPG). Mais, en mer, l’activité suscite moins de protestations que l’ouverture d’une carrière. « C’est les Shadoks, on pompe d’un côté, on remblaie de l’autre » Sauf à Noirmoutier. Sur cette île vendéenne, voisine de 6 km d’un site d’extraction, les élus sont remontés. Face à la perspective de cohabiter avec deux nouvelles concessions - en plus du site du Pilier exploité depuis 1998 par l’entreprise Les sabliers d’Odet - la communauté de communes a adopté, en juillet dernier, une motion pour s’opposer, sans pouvoir l’interdire, à toute extraction. « Au nom du principe de précaution, cette prise de position fait l’unanimité » précise Noël Faucher, son président. Et pour cause, au cours des quinze dernières années, certaines plages de Noirmoutier ont perdu 1m50 de largeur. Érosion naturelle ou conséquence de l’activité des sabliers ? « Tant que les exploitants ne parviennent pas à se disculper, on leur demande d’arrêter », gronde l’élu, conscient qu’il n’a aucun moyen de les y contraindre. Alors, en attendant un soutien de l’État, il colmate les pertes. L’an prochain, 145 000 m3 de sable seront déversés sur les plages les plus menacées. A quelque 10 euros le mètre cube, la communauté de communes déboursera ainsi environ 1,5 million d’euros. « Une des options serait que le pétitionnaire (Les sabliers d’Odet, ndlr) recharge lui-même nos plages, au titre des mesures de compensation » avance Noël Faucher. « C’est les Shadoks ! », s’exclame l’avocat Jean Grésy « on pompe d’un côté, on remblaie de l’autre ». Comble de l’ironie, les digues qui protègent le littoral français nécessitent elles-mêmes l’utilisation de granulats marins. « Le sable sert à fabriquer du béton techniquement performant, explique Michel Buzot, comme celui utilisé pour construire des ponts ou les tours de la Défense ». Sauf que puiser dans le lit des fleuves étant désormais interdit, ces roches meubles se font rares. D’où l’intérêt des extractions en mer. Pour autant, le secrétaire général adjoint de l’UNPG relativise : « Les sites ouvrent et ferment au bout de quelques années, il n’y pas de nette augmentation du nombre de sites ». En 2011, un rapport de l’Ifremer répertoriait pourtant des autorisations d’exploitation encore valables pendant 50 ans et comptabilisait 14 nouveaux dossiers en cours d’instruction. « Même si l’activité doublait, elle resterait marginale, tempère le représentant du secteur. Pour l’instant, elle ne représente que 2 % des granulats du BTP. Une part vouée à « augmenter pour répondre à la raréfaction des gisements terrestres », rappelle néanmoins le rapport de l’Ifremer. Les sables marins seront donc plus souvent sollicités pour les ouvrages sensibles, mais pas seulement. « Le sable marin ne coûte pas cher, alors on l’utilise à tort et à travers », déplore Christophe Le Visage. Grâce aux milliards de mètres cube que recèlent nos océans (149 milliards en Manche selon l’Ifremer), le prix du sable marin ne dépasse pas 30 euros la tonne (source pdf). De quoi bouder la filière encore balbutiante du recyclage. Avec seulement 6,3 % des granulats réutilisés, la France est loin de l’objectif de 70% qu’elle s’est fixé pour 2020. « Cette activité n’est pas du tout encadrée » Attractive du fait d’une faible redevance domaniale [3], l’extraction de sable bénéficie aussi d’une règlementation clémente. « A part de vagues orientations dans le Grenelle de l’environnement ( voir le livre bleu des engagements du Grenelle de la mer en pdf), cette activité n’est pas du tout encadrée », précise l’avocat Jean Grésy. Faux, rétorque Michel Buzot, « en France on ne creuse pas des trous comme ça ! » Même en mer, les sociétés d’extraction sont soumises au code minier. Mais les études d’impact, menées par les compagnies elles-mêmes, laissent les associations sceptiques. En 2009, à Lorient, les expertises du groupe Lafarge ont été contredites par un comité scientifique indépendant payé par les communes. La même année, le projet a finalement été abandonné. Quant au très contesté potentiel site d’extraction de Lannion, quatre ans après le lancement du projet, le dossier est jugé incomplet. « Si on ne s’était pas mobilisés, ça passait comme une lettre à la poste », estime Alain Bidal porte-parole de l’association « Le Peuple des dunes en Trégor », reçu le 27 septembre au ministère du Redressement productif. « Pour l’instant, même si les procédures sont longues, quasiment aucune demande n’est refusée », confirme Christophe Le Visage. Car les dégâts liés à l’extraction n’ont pour l’heure jamais été prouvés. « Le souci c’est que l’impact d’une exploitation sur le trait de côte peut apparaître après plusieurs décennies », souligne Jean Gresy. A l’UNPG, Michel Buzot préfère ne pas s’attarder sur un « débat de scientifiques ». Mais pour les élus de Noirmoutier qu’importe, « dans le doute, on préfère éviter l’irréparable », tranche Noël Faucher. Autre solution pour poursuivre l’extraction en limitant les dégâts : aspirer plus loin, donc plus profond. « Au Royaume-Uni, après l’érosion suspecte de quelques falaises, des profondeurs minimales ont été fixées », souligne Christophe Le Visage. En France, en l’absence de telles limitations, les sabliers ne sont pas pressés de prendre le large. Pour le moment, ils puisent à une vingtaine de mètres sous l’eau. « Nous ne sommes pas encore capables d’extraire beaucoup plus profond », avance Michel Buzot. Christophe Le Visage y voit plutôt un manque de volonté : « s’éloigner des côtes augmente sensiblement les coûts de production », note-t-il. De près ou de loin, à Noirmoutier, Noël Faucher ne veut plus entendre parler d’extraction de sable car « dans tous les cas, il s’agit de puiser, sans en connaître les conséquences, dans une ressource non renouvelable et limitée ». Poissons, plancton... les autres victimes de l’extraction de sable Le biologiste Pierre Mollo s’inquiète d’un autre impact, plus immédiat, sur le plancton. « En remuant les fonds marins, l’extraction de sable crée un panache dans lequel remontent des minéraux et métaux lourds enfouis depuis des millénaires, explique l’enseignant chercheur, cela peut contribuer à rendre le plancton toxique ». De quoi ajouter à l’ inquiétude des ostréiculteurs. Elle-même moindre que celle des pêcheurs. Car, par sa seule présence, la bruyante élingue des extracteurs fait fuir les poissons, tout en aspirant leur alimentation. Alors à Lannion, les professionnels de la pêche crient au conflit d’usage. « C’est insoluble car les zones qui présentent le plus grand nombre de sédiments marins, généralement les estuaires, sont aussi des niches de biodiversité », soupire Pierre Mollo. [1] Terme utilisé par les professionnels du BTP pour désigner le sable marin [2] Les 5% restants serviront, comme il en est question pour le très controversé projet de Lannion, d’amendements pour les terres agricoles [3] Contrepartie financière liée à l’usage d’un domaine public

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