C’est un documentaire qui, depuis sa sortie, samedi 28 février, est au centre des discussions en Chine, entre amis dans le monde réel autant que sur les réseaux sociaux, ainsi qu’en tête des sites d’information. L’investigation, menée par une ancienne présentatrice de la télévision nationale, Chai Jing, amène l’opinion chinoise à s’interroger non seulement sur les dangers de la pollution atmosphérique pour la santé, mais également sur les conflits d’intérêts au sein des compagnies d’Etat du secteur énergétique, qui empêchent une lutte efficace contre ce fléau. Sur Youku, une plate-forme de vidéos en ligne parmi d’autres, le documentaire avait déjà été visualisé plus de trente millions de fois lundi matin.
Disponible gratuitement, Under the Dome – Investigating China’s Haze (« Sous le dôme, enquête sur le brouillard chinois », 1 h 43) débute par un récit très personnel, qui explique en partie le succès du documentaire auprès du citoyen lambda, de plus en plus conscient et mécontent du problème environnemental chinois. Mme Chai raconte avoir quitté son poste à la tête d’une émission de société sur la chaîne économique lorsqu’elle a eu une petite fille, au début de l’année 2014. L’enfant avait une tumeur, il a aussitôt fallu l’opérer. Devant une audience captivée, la journaliste raconte avoir, à l’issue de l’opération, continué à s’inquiéter pour sa fille, sauvée, mais qui devrait respirer un air suffocant, et à qui elle doit aujourd’hui interdire d’aller jouer dehors presque la moitié de l’année, « comme un prisonnier ».
L’argument de l’emploi
La journaliste, s’exprimant debout, vidéos et graphiques à l’appui comme Al Gore l’avait fait aux Etats-Unis pour An Inconvenient Truth (« Une vérité qui dérange », 2006), montre par la suite quelques-unes des raisons qui empêchent la Chine de se protéger efficacement contre cet inquiétant smog. Elle demande à un officiel pourquoi ne pas fermer les usines sidérurgiques les plus polluantes de la région qui entoure Pékin. « Vous plaisantez ! », lui répond-il, arguant des emplois que représentent ces fourneaux.Puis Chai Jing se penche sur les faibles exigences du pays en matière de qualité du carburant, qui augmente les émissions de gaz toxiques. Un chercheur qui participe aux réunions au cours desquelles sont fixées les règles, Yue Xin, lui répond que les deux tiers des membres de cette commission et son secrétaire général sont issus de l’industrie pétrolière.
Certains préfèrent rappeler que Mme Chai a donné naissance à sa fille aux Etats-Unis, ce qui lui avait déjà valu les accusations de traîtrise des éléments les plus nationalistes, mais la majorité souligne aujourd’hui son importante contribution à l’éveil des consciences. « La vérité est comme un oignon. Chai Jing en épluche une couche, quelqu’un pèlera la suivante, jusqu’à ce que la vérité nue et cruelle apparaisse finalement », écrit le journaliste d’investigation Luo Changping sur Weibo, le site chinois de microblogging.
Très attendue était la réaction des autorités chinoises – le documentaire disparaîtrait-il du Web, comme c’est si souvent le cas ? –, même si Chai Jing s’en prend davantage aux sociétés d’Etat qu’à la tête du Parti communiste. Le nouveau ministre de l’environnement, Chen Jining, un universitaire spécialiste des questions d’écologie, s’exprimant pour la première fois à la tête de cette administration souvent critiquée, a lui-même expliqué dimanche avoir visionné le film dès la veille. Il s’est félicité que Mme Chai attire l’attention de la population sur l’environnement sous l’angle de la santé publique, ajoutant qu’elle suscitait son admiration.
- Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)
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