Le projet de loi-cadre sur la biodiversité, adopté ce 24 mars en
première lecture à l'Assemblée, renforce le cadre réglementaire via de
nouvelles zones de protection des espèces sauvages et des ressources
halieutiques.
Les députés ont voté ce mardi 24 mars en première lecture - par 325 voix pour, 189 contre et 34 abstentions - le projet de loi-cadre sur la biodiversité, après l'avoir amendé. Ils ont adopté deux nouveaux outils juridiques de protection. Le texte crée par décret des zones prioritaires pour la biodiversité
permettant de rendre obligatoires certaines pratiques agricoles
nécessaires pour la conservation d'une espèce sauvage en voie
d'extinction, via des contrats rémunérés. "Il n'existe pas d'outil en
droit français pour restaurer un habitat dégradé d'une espèce faisant
l'objet d'une protection stricte au titre du L. 411-1 du code de
l'environnement en créant des obligations de faire", a expliqué le gouvernement dans son étude d'impacts du projet de loi.
"Les outils classiquement utilisés (arrêté de protection de biotope par
exemple) ne peuvent prévoir que des interdictions de faire".
Au regard de la directive européenne "Habitats", il s'agit donc de mettre en place un nouvel outil "plus protecteur avec
d'abord la définition d'une zone d'application plus ou moins grande,
correspondant à l'aire géographique de l'espèce concernée, et ensuite un
programme d'action en faveur de cette espèce et de la maîtrise de son
habitat", a indiqué Geneviève Gaillard (députée PS des Deux-Sèvres),
rapporteure du texte à l'Assemblée. Ces zones s'appliquent déjà à
certains bassins d'alimentation de captage d'eau pour les espèces ayant
un habitat agricole. Elles pourront "bénéficier au grand hamster d'Alsace", a souligné Mme Gaillard : la France est menacée depuis 2011 de sanctions européennes pour n'avoir pas suffisamment protégé cette espèce.
Contrats avec les agriculteurs
A l'expiration d'un délai fixé par décret, qui pourrait s'inspirer du
délai de trois ans pour les zones définies pour les captages, certaines
pratiques agricoles "favorables à l'espèce" ou à ses habitats seront rendues "obligatoires",
si les objectifs de préservation de la biodiversité ne peuvent pas être
atteints malgré la mise en place d'outils contractuels. Ces zones ne
seront opérationnelles qu'après prise des arrêtés par le préfet.
Concrètement : "Dans une zone donnée, une espèce menacée est
présente. On sait que pour la protéger, il faut mettre en place des
mesures de gestion agricole favorables, par exemple cultiver de la
luzerne plutôt que du maïs. Les autorités essaient donc de le faire sous
forme contractuelle, mais dans certains cas il peut arriver que les
agriculteurs présents ne le souhaitent pas", a précisé Christophe Aubel, directeur de l'association Humanité et Biodiversité. "Dans
ce cas, si la gravité de la situation l'exige, le Préfet pourra
déclarer l'endroit « zones prioritaires pour la biodiversité », les
agriculteurs seront obligés d'accepter les contrats pour passer à la
luzerne. Ces contrats sont rémunérés, ils ne seront donc pas
économiquement perdants", a-t-il ajouté.
Le projet de loi prévoit des aides, dans le cadre de la Politique agricole commune, si ces pratiques agro-environnementales induisent des surcoûts ou des pertes de revenus. Ce délai pourrait "être
réduit à un an dès lors qu'il serait constaté que les engagements
contractuels pour les mesures agricoles favorables à l'espèce s'avèrent
insuffisants par rapport à l'urgence qu'il y aurait à rétablir l'état de
conservation d'une espèce".
Les députés UMP Dino Cinieri (Loire) et Jean-Marie Sermier (Jura)
voulaient la suppression de ces nouvelles zones alors que l'utilisation
de ce dispositif "réservée aux situations où des objectifs
environnementaux majeurs ne réussissent pas à être atteints, sera
probablement peu utilisé", a souligné M. Aubel. L'étude d'impacts a estimé à 3,33 millions d'euros par an le coût de mise en œuvre de la zone en faveur de trois espèces. "Ce coût n'est toutefois pas supérieur au coût de mesures volontaires si celles-ci rencontrent l'adhésion des agriculteurs", a souligné l'étude. Des contrôles seront réalisés par la police de la nature. "Il
faudra apprécier par la suite l'efficacité de ce dispositif. Ce que
l'on sait, c'est que lorsque l'on prend des mesures de protection
adaptées à certaines espèces, cela fonctionne", a déclaré Mme Gaillard.
Protection intégrée des ressources halieutiques
Les députés ont également adopté la création de zones dédiées à la conservation des zones fonctionnelles des ressources halieutiques (ZCH) en métropole et outre-mer, au sein du code rural et de la pêche maritime. Il s'agit de mesures de police alors qu'aucune aire marine protégée
ne permet actuellement la protection intégrée de ces zones, où les
espèces accomplissent leurs fonctions de reproduction, d'alimentation et
de croissance.
Ce nouvel outil permettra aux autorités de l'Etat d'interdire ou de
réglementer les activités incompatibles avec le bon état des frayères,
nourriceries et couloirs de migration des espèces. Le périmètre des ZCH
concernera un espace en mer situé entre 0 et 12 milles marins des côtes
ainsi qu'une zone fluviale jusqu'à la limite de salure des eaux, prévoit
le texte. La zone sera limitée "au substrat ou à la colonne d'eau sur-jacente nécessaire à la protection de l'espèce en cause", ont ajouté les députés.
Le classement en zone de conservation halieutique sera opéré par décret
: son périmètre, ses objectifs de conservation et la durée de son
classement y seront définis.
Ce classement sera basé sur une analyse scientifique mais également
socio-économique de la zone concernée. Les zones seront définies selon
leur "importance" pour la gestion des stocks
ainsi que leur état de conservation et les risques de dégradation.
Alain Vidalies, secrétaire d'Etat chargé de la mer et de la pêche, a
confirmé qu'une procédure de concertation avec les parties prenantes
sera mise en place en vue de l'identification des zones d'importance.
Une fois cet espace délimité, un plan de suivi de la zone sera élaboré par l'Etat pour "concilier
les différents usages et instaurer des mesures d'interdiction ou de
réglementation des activités humaines qui pourraient avoir des impacts
négatifs", selon le projet de loi. En fonction des situations, ce
plan pourra également comporter un volet expérimental afin d'organiser
des opérations de restauration des milieux ou de tester des "dispositifs d'exploitation innovants" sur la zone.
A la différence des réserves naturelles, les ZCH ne seront pas dotées
de structures permanentes de gouvernance et de gestion. La Polynésie
française, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Martin et Saint-Barthélémy, qui
exercent "des compétences propres en matière maritime, environnementale, économique et littorale", ne sont pas concernées par ces zones.
Le projet de loi prévoit six mois d'emprisonnement et 22.500 €
d'amende, en cas de non-respect des règles et interdictions prévues par
le décret de classement de la zone. Le tribunal peut ordonner, dans un
délai qu'il détermine, des mesures destinées à réparer les dommages
causés. "L'injonction peut être assortie d'une astreinte journalière au plus égale à 3.000 €, pour une durée de trois mois au plus". Ces zones seront intégrées dans la liste des aires marines protégées.
Le Sénat devrait à son tour examiner le texte en juillet.
Rachida Boughriet, journaliste
Rédactrice spécialisée
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