On
la considère comme la plus grande poubelle du monde, des milliards de
déchets qui dérivent dans les océans hors de tout contrôle. En réalité,
ce « 7e continent de plastique », comme il est surnommé, ne
ressemble pas à un gigantesque amas compact de sacs, de bouteilles, de
filets et autres bidons, mais à une « soupe » plus ou moins concentrée,
constituée de quelques macrodéchets épars et surtout d’une myriade de
microfragments, d’un diamètre inférieur à 5 millimètres. Documenté
depuis une quinzaine d’années, le phénomène fait l’objet d’une
recrudescence d’expéditions aux visées scientifiques – et à la
communication – ambitieuses.
Vendredi 15 mai, l’une d’entre elles, l’expédition « 7e continent », s’élancera de Martinique pour un périple d’un mois afin d’explorer la mer des Sargasses et l’Atlantique Nord et prolonger un programme lancé l’an dernier, qui avait avorté en raison d’avaries techniques. A bord d’un catamaran de 18 mètres, 10 navigateurs et scientifiques procéderont à des prélèvements, des mesures et des cartographies.
« Notre objectif est d’améliorer la recherche fondamentale sur le sujet, explique Patrick Deixonne, le chef de l’expédition. Il s’agit de tenter de cartographier par satellite les zones polluées, d’étudier comment se déplacent les microplastiques dans les courants marins, d’analyser des nanoparticules et de savoir si la prolifération de méduses et de sargasses [des algues brunes qui envahissent les Antilles] a un lien avec les plastiques. Nous développons un volet scientifique unique au monde. »
A terre, l’équipe de cinq personnes de l’association française Expédition 7e continent organise, en complément, des actions de pédagogie et de sensibilisation sur la gestion et la limitation de nos poubelles. Des étapes de nettoyage et de collecte des déchets sont ainsi programmées le long de l’arc antillais, du 18 au 23 mai, tandis qu’une caravane sera installée sous le pont Alexandre-III à Paris, du 5 au 8 juin, pour informer le public.
« Nous nous focalisons sur les îles situées dans ces zones, qui agissent le plus souvent comme des barrages naturels, ce qui permet d’évaluer non seulement les types de déchets mais aussi leur volume et leur origine géographique, explique Lucie Gerber, en charge de la communication de Race for Water. Nous survolons d’abord les plages avec des drones pour repérer les déchets, puis nous prélevons manuellement les macroplastiques, ainsi que des échantillons de sable pour analyser les microparticules. Nous interrogeons également les populations locales pour connaître leur réaction face à la prolifération de ces détritus. »
Après les Açores et les Bermudes dans l’Atlantique Nord, passées au crible par l’équipe fin mars, onze étapes scientifiques sont prévues jusqu’à décembre, de l’île de Pâques dans le Pacifique à l’archipel de Tristan da Cunha dans l’Atlantique Sud, en passant par les Chagos dans l’océan Indien. « Nous sommes les seuls à nous rendre dans les cinq gyres dans un temps très court, afin d’avoir des données comparables », avance Lucie Gerber, dont la fondation débourse 2,5 à 3 millions d’euros pour financer le projet. Les résultats sont attendus pour la fin de l’année.
D’autres analyses devraient aboutir d’ici là. La goélette d’exploration Tara, qui a achevé fin novembre un périple de sept mois et 15 000 km en Méditerranée, doit livrer ses résultats sur la composition chimique des déchets collectés ainsi que sur l’interaction entre le plastique et le zooplancton, base de la chaîne alimentaire marine. Ailleurs, aux Etats-Unis notamment, l’institut 5gyres ou l’Algalita Marine Research Foundation, la première ONG à avoir exploré les 3,4 millions de km² de la « grande poubelle du Pacifique », continuent également de filtrer les océans pour traquer les microplastiques.
L’expédition 7e continent affiche ainsi à son tableau de chasse le Centre national d’études spatiales, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Muséum national d’histoire naturelle et Mercator Ocean. Race for Water, de son côté, travaille avec l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne ainsi que les universités américaines de Duke (Caroline du Nord) et de l’Etat de l’Oregon, tandis que la Tara peut se prévaloir du soutien de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et du CNRS.
« Toutes ces expéditions sont de bonnes initiatives, notamment pour faire de la pédagogie et de la sensibilisation. Leur apport scientifique est en revanche plus limité », juge François Galgani, océanographe et chercheur spécialiste des déchets à l’Ifremer. « Il y a un côté aventure humaine qui ne correspond pas aux besoins de la recherche scientifique, explique-t-il. Pour faire des comptages et des relevés, la méthode la plus efficace est de prendre un navire océanique et non un voilier, de même que l’on peut rejoindre les îlots en avion, sans traversée en mer. Ces expéditions peuvent produire des résultats à la marge, mais on a déjà derrière nous près de vingt ans de collecte et d’analyse des microplastiques dans les océans. »
Deux mois plus tard, une autre étude publiée dans Science estimait que les Etats côtiers de la planète avaient produit, en 2010, 275 millions de tonnes de déchets en plastique, dont 4,8 à 12,7 millions de tonnes ont fini leur vie dans les océans.
Une différence de chiffres qui prouve que l’écrasante majorité de ces déchets, loin de flotter à la surface, restent introuvables. Où finissent-ils donc ? En la matière, les études scientifiques n’ont pas encore fait le tour de la question. Plusieurs hypothèses sont avancées : présence dans les fonds océaniques, dégradation par les rayons ultraviolets, biodégradation ou ingestion par des organismes marins.
« Le plus souvent, ces espèces parviennent à rejeter les plastiques ingérés. Le risque de bioaccumulation dans la chaîne alimentaire est sans doute plus faible que ce que l’on craignait, estime François Galgani. En revanche, il y a bel et bien des risques d’occlusions intestinales, de suffocations, de blessures ou d’infections de tortues, d’oiseaux et de mammifères. »
Les polymères entraînent un autre risque moins connu mais néanmoins inquiétant : la prolifération de certaines espèces invasives. « Les fragments deviennent des supports pour certaines espèces qui sont ainsi transportées, avec les courants, dans des zones où elles ne se seraient pas développées et reproduites sinon, explique le chercheur. Ces espèces prennent alors la place d’autres, ce qui risque de créer des déséquilibres des écosystèmes marins. » Là où toutes les expéditions scientifiques se rejoignent, c’est donc qu’il y a urgence à ne plus considérer les océans comme un immense dépotoir à ciel ouvert.
Vendredi 15 mai, l’une d’entre elles, l’expédition « 7e continent », s’élancera de Martinique pour un périple d’un mois afin d’explorer la mer des Sargasses et l’Atlantique Nord et prolonger un programme lancé l’an dernier, qui avait avorté en raison d’avaries techniques. A bord d’un catamaran de 18 mètres, 10 navigateurs et scientifiques procéderont à des prélèvements, des mesures et des cartographies.
« Notre objectif est d’améliorer la recherche fondamentale sur le sujet, explique Patrick Deixonne, le chef de l’expédition. Il s’agit de tenter de cartographier par satellite les zones polluées, d’étudier comment se déplacent les microplastiques dans les courants marins, d’analyser des nanoparticules et de savoir si la prolifération de méduses et de sargasses [des algues brunes qui envahissent les Antilles] a un lien avec les plastiques. Nous développons un volet scientifique unique au monde. »
A terre, l’équipe de cinq personnes de l’association française Expédition 7e continent organise, en complément, des actions de pédagogie et de sensibilisation sur la gestion et la limitation de nos poubelles. Des étapes de nettoyage et de collecte des déchets sont ainsi programmées le long de l’arc antillais, du 18 au 23 mai, tandis qu’une caravane sera installée sous le pont Alexandre-III à Paris, du 5 au 8 juin, pour informer le public.
Goélette d’exploration ou drones de repérage
Cette expédition, si ambitieuse puisse-t-elle paraître, est loin d’être une première en son genre. Mi-mars, un trimaran de 21 mètres, financé par la fondation suisse Race for Water, a de son côté quitté Bordeaux pour une exploration de deux cent soixante-dix jours. Direction : les cinq grands vortex. Dans ces zones, également nommées gyres océaniques, des milliards de détritus s’amoncellent en raison des courants marins et de la force centripète qui les aspire lentement vers le centre de la spirale.« Nous nous focalisons sur les îles situées dans ces zones, qui agissent le plus souvent comme des barrages naturels, ce qui permet d’évaluer non seulement les types de déchets mais aussi leur volume et leur origine géographique, explique Lucie Gerber, en charge de la communication de Race for Water. Nous survolons d’abord les plages avec des drones pour repérer les déchets, puis nous prélevons manuellement les macroplastiques, ainsi que des échantillons de sable pour analyser les microparticules. Nous interrogeons également les populations locales pour connaître leur réaction face à la prolifération de ces détritus. »
Après les Açores et les Bermudes dans l’Atlantique Nord, passées au crible par l’équipe fin mars, onze étapes scientifiques sont prévues jusqu’à décembre, de l’île de Pâques dans le Pacifique à l’archipel de Tristan da Cunha dans l’Atlantique Sud, en passant par les Chagos dans l’océan Indien. « Nous sommes les seuls à nous rendre dans les cinq gyres dans un temps très court, afin d’avoir des données comparables », avance Lucie Gerber, dont la fondation débourse 2,5 à 3 millions d’euros pour financer le projet. Les résultats sont attendus pour la fin de l’année.
D’autres analyses devraient aboutir d’ici là. La goélette d’exploration Tara, qui a achevé fin novembre un périple de sept mois et 15 000 km en Méditerranée, doit livrer ses résultats sur la composition chimique des déchets collectés ainsi que sur l’interaction entre le plastique et le zooplancton, base de la chaîne alimentaire marine. Ailleurs, aux Etats-Unis notamment, l’institut 5gyres ou l’Algalita Marine Research Foundation, la première ONG à avoir exploré les 3,4 millions de km² de la « grande poubelle du Pacifique », continuent également de filtrer les océans pour traquer les microplastiques.
Exposition médiatique et partenariats prestigieux
Si ces habitués des courses maritimes refusent de se positionner en concurrents, tous cherchent néanmoins à recueillir les résultats scientifiques les plus novateurs et leur donner la meilleure exposition médiatique possible, en s’entourant pour cela de laboratoires et d’instituts de recherche de renom.L’expédition 7e continent affiche ainsi à son tableau de chasse le Centre national d’études spatiales, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Muséum national d’histoire naturelle et Mercator Ocean. Race for Water, de son côté, travaille avec l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne ainsi que les universités américaines de Duke (Caroline du Nord) et de l’Etat de l’Oregon, tandis que la Tara peut se prévaloir du soutien de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et du CNRS.
« Toutes ces expéditions sont de bonnes initiatives, notamment pour faire de la pédagogie et de la sensibilisation. Leur apport scientifique est en revanche plus limité », juge François Galgani, océanographe et chercheur spécialiste des déchets à l’Ifremer. « Il y a un côté aventure humaine qui ne correspond pas aux besoins de la recherche scientifique, explique-t-il. Pour faire des comptages et des relevés, la méthode la plus efficace est de prendre un navire océanique et non un voilier, de même que l’on peut rejoindre les îlots en avion, sans traversée en mer. Ces expéditions peuvent produire des résultats à la marge, mais on a déjà derrière nous près de vingt ans de collecte et d’analyse des microplastiques dans les océans. »
Une masse de déchet vertigineuse
La littérature scientifique s’est de fait largement penchée sur la question. En décembre 2014, une vaste étude internationale, parue dans la revue PLOS ONE, a livré pour la première fois une évaluation globale des détritus flottant à la surface de l’ensemble des mers, à l’issue de 24 campagnes effectuées pendant six ans (2007-2013) non seulement sur les cinq grands gyres, mais aussi près des côtes australiennes, dans le golfe du Bengale et en Méditerranée. Les résultats sont vertigineux : 269 000 tonnes constituées de plus de 5 250 milliards de particules de toutes tailles.Deux mois plus tard, une autre étude publiée dans Science estimait que les Etats côtiers de la planète avaient produit, en 2010, 275 millions de tonnes de déchets en plastique, dont 4,8 à 12,7 millions de tonnes ont fini leur vie dans les océans.
Une différence de chiffres qui prouve que l’écrasante majorité de ces déchets, loin de flotter à la surface, restent introuvables. Où finissent-ils donc ? En la matière, les études scientifiques n’ont pas encore fait le tour de la question. Plusieurs hypothèses sont avancées : présence dans les fonds océaniques, dégradation par les rayons ultraviolets, biodégradation ou ingestion par des organismes marins.
Prolifération d’espèces invasives
De même, l’impact précis des plastiques, dont la persistance se compte en centaine d’années, pour les écosystèmes marins doit-il faire l’objet de nouvelles recherches. Selon Greenpeace, un million d’oiseaux et 100 000 mammifères marins meurent chaque année de l’ingestion de plastiques. En réalité, l’étude la plus complète sur le sujet, menée par le biologiste britannique Richard Thompson (université de Plymouth, Royaume-Uni), et publiée en mars, indique que près de 700 espèces marines ont croisé la route de débris, et 10 % des individus ont ingéré des microplastiques.« Le plus souvent, ces espèces parviennent à rejeter les plastiques ingérés. Le risque de bioaccumulation dans la chaîne alimentaire est sans doute plus faible que ce que l’on craignait, estime François Galgani. En revanche, il y a bel et bien des risques d’occlusions intestinales, de suffocations, de blessures ou d’infections de tortues, d’oiseaux et de mammifères. »
Les polymères entraînent un autre risque moins connu mais néanmoins inquiétant : la prolifération de certaines espèces invasives. « Les fragments deviennent des supports pour certaines espèces qui sont ainsi transportées, avec les courants, dans des zones où elles ne se seraient pas développées et reproduites sinon, explique le chercheur. Ces espèces prennent alors la place d’autres, ce qui risque de créer des déséquilibres des écosystèmes marins. » Là où toutes les expéditions scientifiques se rejoignent, c’est donc qu’il y a urgence à ne plus considérer les océans comme un immense dépotoir à ciel ouvert.
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Audrey Garric
Chef adjointe du service Planète/Sciences du Monde
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