Retour sur terre pour des milliers de pneus usagés sortis de la Méditerranée
Objectif
atteint : les derniers pneus collectés ont été hissés sans difficulté à
bord d’un bateau-citerne, mardi 12 mai en fin de journée, soit 2 500
boudins tirés de la Méditerranée. Il en reste toutefois dix fois plus à
une trentaine de mètres de fond, au large de Vallauris Golfe-Juan, dans
les Alpes-Maritimes.
Ces amas de 3 480 mètres cubes ne se
trouvaient pas au fond de l’eau par hasard. Quasiment gratuits,
résistants, abondants, les pneumatiques usagés sont un temps apparus
comme un moyen idéal de fournir des abris aux poissons. En France, dans
les années 1980, on en a donc immergé des centaines de milliers, arrimés
en petits tas ou en longue barrière. L’idée qui venait des Etats-Unis –
les Américains en ont eux-mêmes envoyé deux millions par le fond au
large de Fort Lauderdale en Floride en 1972 – était de permettre à la
ressource halieutique de se fixer et de se régénérer autour de ces
« récifs artificiels ».
Les pêcheurs avaient été consultés pour
déterminer où installer ces maisons à poissons capables, pensait-on, de
repeupler le secteur. Il avait d’ailleurs été décidé que la zone de 50
hectares, classée Natura 2000, dans la baie d’Antibes, serait interdite à
la plongée sous-marine et à la pêche afin de laisser le plus de chance
possible à l’écosystème de se rétablir. Au total, on compte aujourd’hui 90 000 m3 de ces simili-récifs en métropole, dont 32 000 m3 au large du Languedoc-Roussillon et 54 000 m3
de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Le Portugal, l’Espagne,
l’Italie en ont fait à peu près autant, tandis que le Japon se classait
champion mondial avec 20 millions de m3 en mer.
Impact sur les herbiers et les coraux
Las,
l’initiative a fait un flop : cet habitat recyclé n’a pas ou peu été
colonisé. En outre, sous l’effet de la houle et des courants, les
pneumatiques se sont largement dispersés. Aujourd’hui, non seulement ils
font tache dans les paysages sous-marins, mais ils ont aussi un impact
mécanique (d’écrasement)sur les herbiers et les coraux.
Quant
à une possible pollution chimique, elle fait débat. Selon Jacky
Bonnemain, porte-parole de l’association écologiste Robin des Bois, le
peu de succès des pneus auprès de la faune marine est dû à leur
libération progressive d’hydrocarbures dans l’environnement.
L’université de Nice doit effectuer un suivi du site et étudier dans les
prochains mois un éventuel impact chimique. Quoi qu’il en soit, l’idée
qu’il est temps de les sortir de l’eau fait son chemin. « Cela n’a pas évolué comme on l’avait imaginé à l’époque », reconnaît, sibylline, Elodie Garidou, chargée de mission au sein de l’Agence des aires marines protégées (AMP).
C’est cet organisme public qui a pris l’initiative de faire enlever les
pneus devant Vallauris Golfe-Juan en partenariat avec le département
des Alpes-Maritimes, la ville et la prud’homie de pêche
d’Antibes-Juan-les-Pins, avec le concours de financements européens.
L’opération est une première et servira de test. « Le projet a
commencé à prendre corps en 2010, mais il a fallu du temps pour obtenir
les autorisations et l’argent pour lancer des appels d’offres, témoigne Elodie Garidou. Nous
avions une fenêtre assez courte pour mener à bien cette opération
puisque nous devions impérativement avoir fini avant le Festival de
Cannes. »
Le chantier a donc été rondement mené. Un navire de 40 mètres de long
doté de deux grues et de deux bennes étanches, flanqué de deux petits
bateaux chargés d’assurer la sécurité, est resté amarré pendant huit
jours. Six plongeurs sous-marins ont alors formé des « colliers » de 10 à
30 pneumatiques enfilés sur un filin, que soulevait un parachute.
Filière de valorisation
Toute la question
est maintenant de parvenir à mettre en place une filière pour valoriser
ces pneumatiques pas vraiment désagrégés, à peine colonisés par quelques
éponges d’un genre résistant. Si le recyclage existe en France pour la
production de sols synthétiques et de carburant, les pneus ont passé
plus de trente ans en mer et il va falloir les nettoyer au préalable.
Cependant si l’essai est concluant, les 90 % du stock restant pourraient
être enlevés à leur tour à partir de 2016.
La restauration de l’écosystème de la baie « s’inscrit pleinement dans la directive-cadre européenne “Stratégie pour le milieu marin” »,
souligne l’AMP. Le problème tient à l’ampleur de la tâche. En France,
outre les pneus, on a largement exploré le dossier des récifs
artificiels à grands déversements de vieux poteaux électriques,
parpaings, cages d’escaliers en béton, épaves de navires, etc., et ce,
jusqu’en outre-mer.
Devant Vallauris Golfe-Juan dans les années
1980 et 1990, on a aussi immergé des modules de béton de taille variée.
Ces petits HLM ont attiré 40 % de poissons de plus que les entassements
de pneus. Ils se révèlent cependant moins riches que la zone rocheuse
naturelle toute proche qui a eu un effet de réserve favorable à la
biomasse grâce à l’interdiction de pêcher. Tout ça pour ça.
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