mercredi 27 mai 2015

Au Panama, l’environnement reste une idée neuve

L'écologie est une idée neuve au Panama : le ministère de l’environnement fait ses premiers pas, depuis sa création, fin mars.
La nouvelle ministre a le triomphe modeste, mais tout le monde crédite Mirei Endara, 46 ans, de l’élévation de l’Autorité nationale de l’environnement (ANAM) au rang de ministère.
« Beaucoup de gens ont contribué à l’émergence de ce ministère », assure la ministre Endara, en référence aux associations et aux communautés qui ont contribué à la prise de conscience de l’opinion. Trente-cinq organisations non gouvernementales (ONG) étaient parvenues à évoquer l’écologie au cours des deux dernières campagnes électorales. Le président Ricardo Martinelli (2009-2014) est resté sourd à cette problématique. Son successeur, Juan Carlos Varela, qui a pris ses fonctions en juillet 2014, en avait fait une promesse de campagne, qu’il a tenue.
Les gratte-ciel extravagants qui donnent au Panama des allures de Dubaï des Caraïbes ne témoignent pas précisément d’une option vers le développement durable. La ministre en convient : « Depuis 1997, l’ambiance politique n’était pas propice, car l’orientation vers moins d’Etat privilégiait des petites structures autonomes comme l’ANAM. Maintenant, nous pourrons faire entendre notre voix au sein du gouvernement. » Le ministère se trouve à Albrook, un de ces quartiers de Panama qui appartenaient à la « Canal Zone » des Américains. Tout autour de la voie interocéanique on trouve des bâtiments identiques et alignés, comme dans une caserne, rappelant que les Etats-Unis avaient installé leur principale base militaire régionale à proximité du canal de Panama.
« Pour les Panaméens qui travaillent dans les banques ou les services, l’environnement n’est pas une évidence de tous les jours, admet Mirei Endara. Toutefois, la sécheresse et le manque d’eau, les incendies et les inondations font les manchettes. A nous de faire le lien entre ces événements et une vision à long terme. Même la capitale a des problèmes de tout-à-l’égout et de traitement des ordures. Ricardo Martinelli a consacré 800 millions de dollars [740 millions d'euros] au goudronnage d’un tronçon du bord de mer : avec cette somme, on aurait pu régler la pénurie d’eau. »
Le barrage de Barro Blanco contesté
L’ancien président s’est enfui aux Etats-Unis pour échapper à la justice, qui enquête sur les malversations de son gouvernement et a déjà placé en détention plusieurs de ses plus proches collaborateurs. M. Martinelli a laissé en héritage un cadeau empoisonné à la nouvelle ministre de l’environnement : la construction du barrage de Barro Blanco, sur la rivière Tabasara, un fleuve magique pour les communautés indigènes Ngöbe-Buglé. Le projet vient enrichir les ressources hydroélectriques de la province de Chiriqui, dans le nord du pays. La production dépasse les capacités de la ligne électrique reliant cette région à la capitale, ce qui oblige le Panama à exporter l’excédent d’électricité.
L’affaire a été confiée à une entreprise du Honduras, Genisa, qui a obtenu un financement allemand (DEG) et hollandais (FMO). A en croire les détracteurs, l’étude d’impact environnemental a été bâclée. En tout cas, les responsables ont omis de consulter les populations locales, dont les terres seront inondées. Les conventions des Nations unies sur les droits des peuples indigènes en faisaient une obligation.
« On aurait pu éviter la tension entre les promoteurs de Barro Blanco et les communautés indigènes si l’autorisation préalable des populations locales avait été requise, déplore Mirei Endara. L’étude d’impact environnemental n’est pas aussi complète qu’on aurait pu le souhaiter, mais elle a été approuvée par la Cour suprême. L’usine hydroélectrique ne pourra pas être opérationnelle sans arriver d’abord à un accord avec les habitants de la zone. »
La ministre de l’environnement, avec d’autres membres du gouvernement et le représentant de l’ONU au Panama, tente une médiation. Une « table de dialogue » a été installée dans la région. Les dirigeants Ngöbe-Buglé les plus radicaux dénoncent le piège et n’envisagent rien d’autre que l’abandon de Barro Blanco, dont l’avancement serait de l’ordre de 30 %. « L’inondation des terres indigènes toucherait à peine 5,4 hectares, mais les populations sont offusquées, indignées même, parce qu’on ne les a pas respectées ; les promoteurs ont fait comme si elles n’existaient pas, explique la ministre Endara. Aucun projet hydroélectrique ne vaut une vie humaine, a dit le président Varela. »
Barro Blanco n’est pas le seul souci de la ministre : elle souhaiterait aussi préserver la forêt tropicale du Darien, le « mur vert » qui sépare le Panama de la Colombie. La route panaméricaine, qui relie l’Alaska à l’Argentine, s’arrête devant le « tampon de Darien », barrière naturelle longtemps opposée aux trafiquants et aux guérilleros colombiens. Aussi bien la marchandise légale que la contrebande doivent emprunter la mer pour franchir la distance. Seulement, un projet de route est à l’étude, au nord du parc naturel qui protège la faune, la flore et les Indiens de la région. Et ces derniers ne sont plus seuls, la colonisation commence à repousser les limites du parc, des conflits entre paysans et autochtones éclatent.
« La déforestation fait des ravages parce que l’Etat s’est montré incapable d’appliquer les normes d’exploitation du bois, affirme Mirei Endara. Une route signerait la fin de la région. » La ministre rêve d’un tourisme durable, d’un « tourisme vert », à l’instar du Costa Rica. Les touristes viennent au Panama pour connaître le canal et pour faire des courses, profitant le la zone franche de Colon.
Au récent Sommet des Amériques, les 10 et 11 avril, plusieurs présidents ont évoqué le changement climatique. La conférence s’est pourtant achevée sans adopter de déclaration finale, faute de consensus. Le Venezuela et ses alliés ne veulent pas d’accord avec les pays du Nord, le Brésil a sa propre stratégie. « Jusqu’à ce jour, l’Amérique latine n’a pas de position commune en vue de la conférence de Paris, et c’est bien dommage », conclut la ministre panaméenne.

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