Concilier l'inconciliable, entre la préservation d'un mode de vie
ancestral et les mirages d'une «modernité» promise par l'exploitation du
pétrole: tel est le dilemme qu'affrontent des peuples premiers, comme
les Inupiat, en Alaska.
«L'exploitation du pétrole depuis
plusieurs décennies et son extension sont-elles une menace pour leur
mode de vie ou une promesse de développement? Telle est leur
interrogation», résument Zoé Lamazou et Victor Gurrey, qui viennent de
publier un passionnant travail journalistique illustré, «Une saison de
chasse en Alaska», aux éditions Paulsen. Un travail présenté dans le
cadre du festival Etonnants voyageurs à Saint-Malo.
Trois mois en
Alaska pour voir ces communautés qui n'ont rien demandé, auxquelles leur
quotidien convenait parfaitement et que «le capitalisme est venu
bousculer». Un phénomène général au-delà du cercle polaire, quel que
soit l'Etat - y compris en Russie - mais aussi une problématique
mondiale, qu'il s'agisse de l'Amazonie ou de l'Afrique, pour la quête
des minerais rares ou des terres arables.
Dans un premier temps,
les deux enquêteurs - Zoé Lamazou à la plume et Victor Gurrey au pinceau
- se sont rendus à Prudhoe Bay, tout au nord de l'Alaska, «dans le cœur
de la bête», au camp des «pétroliers», «une espèce de paquebot de luxe
au milieu de la glace», pour observer un univers en vase clos, hors du
monde, où la vie, malgré la distance, est identique à ce qu'on vit dans
le reste des Etats-Unis.
L'Alaska, dont le budget provient à 90%
du pétrole, fournit environ 17% de la production pétrolière des
Etats-Unis mais dispose encore d'énormes réserves.
Deuxième étape:
Zoé Lamazou et Victor Gurrey sont partis partager la vie des Inupiat, à
Point Hope, 10.000 habitants répartis sur huit villages, non loin du
détroit de Bering. Une terre habitée depuis plus de deux millénaires,
mais «deux mondes qui s'ignorent» et une communauté méprisée par les
habitants de Prudhoe Bay: «chez eux, y a pas de route et ça pue»,
entend-on là-haut.
- 'Ce sont des riches pauvres' -
A
Point Hope, chez les Inupiat, le pouvoir est désormais «partagé entre
plusieurs entités», ce qui «entraîne une fragilisation des communautés
autochtones autrefois très soudées».
Au printemps, c'est aussi la
chasse à la baleine, «très encadrée par la communauté». «Observer cette
chasse, c'est observer comment la culture est ancrée dans ces
communautés mais aussi comment, dans le même temps, tous les verrous
sont en train de sauter», constate Zoé Lamazou.
Car les habitants
«sont écartelés», témoigne Victor Gurrey, entre une «élite détentrice
d'un petit pouvoir» et le reste de la population.
Une communauté
où «certains touchent jusqu'à 15.000 dollars de rente par an» du
pétrole, mais où, faute de banque, l'argent s'envole en plaisirs
immédiats ou en objets de consommation, superflus. «Ce sont des riches
pauvres», renchérit Zoé Lamazou. «Il sont en train de perdre leur
langue. Avec leur argent, ils ont construit des écoles mais les
enseignants sont des Blancs venus se faire en Alaska une prime
d'éloignement (...) Le village est riche mais il n'y a pas de médecin».
Des
populations en danger d'acculturation, happées par l'alcool, la drogue,
le jeu, où on croise «des gamins obèses qui n'ont plus de dents à six
ans à cause des boissons sucrées». «Le dernier assaut de la
colonisation», commente Victor Gurrey.
Au-delà des questions
environnementales, aucune indulgence à attendre du système, même au plan
économique. «C'est la ségrégation à l'envers. Les compagnies
pétrolières exigent +pas d'alcool, pas de drogue+ sur les chantiers.
Donc, les Inupiat ne peuvent plus y travailler, sauf sur les quelques
chantiers appartenant à leur communauté».
Les deux journalistes
partagent le même constat: «un territoire extrêmement traumatisé par la
présence des compagnies pétrolières».
«Une saison de chasse en Alaska», Zoé Lamazou et Vincent Gurrey, éditions Paulsen, 300 pages, 29 euros.
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