Faut-il barrer la route à la drogue ou protéger la santé ? Longtemps
taboue en Colombie, la fumigation aérienne des plantations illicites a
désormais du plomb dans l'aile après une alerte lancée sur les risques
de l'herbicide utilisé.
Les divisions au sein même du gouvernement
ont éclaté au grand jour cette semaine entre partisans et détracteurs
de cette pratique contre les champs de coca, la plante servant à
fabriquer la cocaïne.
A l'origine de la polémique, la mise en
garde émise récemment par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a
classé le glyphosate, un des principaux herbicides industriels, comme
«cancérigène probable».
Fort de cette étude, le ministre de la
Santé, Alejandro Gaviria, a recommandé de «suspendre de façon immédiate»
les aspersions, au nom du «principe de précaution». Un moratoire auquel
s'oppose vivement son collègue de la Défense, Juan Carlos Pinzon, qui
refuse de «donner un avantage à la criminalité».
Longtemps premier
producteur mondial de cocaïne avec le Pérou, qui vient de la dépasser,
la Colombie recourt depuis des décennies aux aspersions aériennes dans
le cadre d'un plan de lutte antidrogue financé par les Etats-Unis.
Les
fumigations se sont surtout concentrées dans le sud du pays, fief de la
guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), accusée
par les autorités de se financer via le narcotrafic.
Issue d'une
rébellion paysanne il y a plus d'un demi-siècle, la rébellion marxiste
assure défendre la cause des communautés rurales dont la feuille de coca
constitue parfois l'unique revenu.
Toutefois le gouvernement et
les Farc, engagés dans des pourparlers de paix depuis plus de deux ans,
se sont accordés sur la nécessité de soutenir des cultures de
remplacement, misant sur l'arrachage volontaire.
- Amicale pression des Etats-Unis -
Interrogé
par l'AFP, Daniel Mejia, directeur du Centre d'études sur la sécurité
et les drogue (Cesed), estime qu'une suspension du glyphosate irait dans
«la bonne direction».
«Nous avons réalisé une étude montrant que
les fumigations causaient des problèmes dermatologiques et respiratoires
et provoquaient des avortements», explique ce professeur de
l'Université des Andes de Bogota.
Selon cet expert, les aspersions
n'ont en outre qu'un «effet peu efficace» car elles n'ont un résultat
probant que sur 3% des surfaces traitées.
«Cela ne justifie pas un
tel coût collatéral pour la santé», insiste-t-il, exhortant les
autorités à se focaliser sur les vraies questions comme les laboratoires
clandestins ou les voies d'acheminement de la drogue.
Toutefois,
les autorités dressent un bilan positif de leur action contre le trafic
de cocaïne. Selon le dernier rapport des Nations unies publié l'an
dernier, la production a baissé de 13% en 2013 (290 tonnes) et le Pérou a
ravi la première place de cultivateur de feuille de coca avec 49.800
hectares, soit 1.800 de plus que son voisin.
Ce dossier explosif
pourrait aussi prendre une tournure diplomatique en froissant les
Etats-Unis qui ont fourni des avions et les pilotes pour les fumigations
et ne voient pas d'un bon oeil la fin de ce dispositif.
Coïncidence
du calendrier, le débat a surgi durant une visite en Colombie du
secrétaire d'Etat adjoint américain, Antony Blinken, lui donnant
l'occasion d'exercer une amicale pression avec un plaidoyer en faveur du
glyphosate, la «façon la plus efficace de lutter contre les cultures
illicites».
Observant que son objectif est principalement
agricole, ce responsable rappelle que son usage est répandu en Europe
comme aux Etats-Unis. «Nous aurions pris des mesures s'il y avait eu un
problème», a-t-il affirmé dans un entretien à El Tiempo, le premier
quotidien colombien.
Prudent, le président colombien de droite
Juan Manuel Santos a pour l'instant botté en touche, son entourage ayant
fait savoir que la décision définitive sur l'utilisation de cette
technique pourrait revenir au Conseil national des Stupéfiants,
organisme dépendant du ministère de la Justice.
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